Gershon Baskin : « Ce qui suit est la lettre que j’ai envoyée au nouveau chef du Shin Bet, Ronen Bar, le 17 octobre 2021 – Objet : L’ère d’après Abou Mazen et la prévention de la montée du Hamas en Cisjordanie. »


Auteur : Gershon Baskin

Traduction : Google, revue par Y.M.

Photo : © Getty

Mis en ligne le 11 octobre 2025


Cher Monsieur,

Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre accession au poste de directeur du Shin Bet.

Je vous écris parce que vous êtes censé être libre de toute considération politique et parce que, entre autres, vous conseillez également le Premier ministre et le gouvernement sur des questions importantes en matière de sécurité.

L’opinion publique palestinienne en a assez des dirigeants de l’Autorité palestinienne ; à ses yeux, ils sont tous corrompus. La popularité du Hamas en Cisjordanie tient, entre autres, au dégoût que la population éprouve envers ceux qui font passer leurs intérêts personnels avant ceux du peuple palestinien. Il est vrai que les dirigeants du Hamas sont eux aussi corrompus, mais en Cisjordanie, la population souffre quotidiennement de la corruption des responsables de l’Autorité palestinienne et constate moins celle du Hamas.

D’après tous les sondages d’opinion publique palestiniens et d’après les contacts réguliers avec l’opinion publique palestinienne dans toute la Cisjordanie et dans tous les secteurs de la société, il semble que la seule personne actuellement capable de gagner la confiance du public – et peut-être même d’unifier les rangs entre le Fatah et le Hamas – soit Marwan Barghouti.

Je voudrais vous rappeler ce que le gouvernement sud-africain a fait avant la fin de l’apartheid. Les responsables de la sécurité sud-africains, de concert avec le chef de la minorité blanche, le président Frederik Willem de Klerk, ont reconnu que le prisonnier et « terroriste » Nelson Mandela pourrait être disposé à s’entretenir secrètement, depuis sa prison, avec les responsables de la sécurité et de l’État au sujet de l’avènement d’une nouvelle ère. De nombreux entretiens ont eu lieu entre Mandela et les dirigeants blancs au sein de la prison, et des accords ont finalement été conclus qui ont conduit à la libération de Mandela et à la naissance de la nouvelle Afrique du Sud. Bien qu’il existe de nombreuses différences entre l’Afrique du Sud et Israël-Palestine, le passé de l’Afrique du Sud reste riche d’enseignements.

Presque tous les hommes politiques israéliens ayant participé aux discussions avec Marwan Barghouti ont témoigné de sa qualité de leader : un homme de valeurs, honnête et intègre, qui aspire à la paix avec Israël et avec lequel il est possible de parvenir à un accord. Lorsque je dirigeais l’Institut IPCRI dans les années 1990, j’ai organisé de nombreuses rencontres entre Marwan et ses collègues du Tanzim avec des hommes politiques israéliens, principalement du Likoud. Nous avons passé des centaines d’heures avec eux et discuté de toutes les questions essentielles. Marwan était alors un leader et il saura le redevenir.

J’ai récemment demandé à l’avocat de Marwan si celui-ci demeurait intéressé à faire la paix avec Israël et sa réponse a été affirmative. Selon moi, cette réponse demande à être vérifiée et  je suggère de l’examiner, tout d’abord grâce à une conversation directe entre vous et Marwan lui-même. Sachant que Abou Mazen n’a aucun plan n’a rien prévu en ce qui concerne l’ère post Abou Mazen, il ne serait pas très raisonnable qu’Israël reste oisif et attende de voir ce qui prend forme dans notre arrière-cour. Je vous suggère de prendre l’initiative et d’entamer des discussions politiques dans la prison même avec Marwan, de voir s’il est possible d’aboutir à une compréhension mutuelle et d’envisager sa libération sous la condition de progrès dans les pourparlers.

Nous savons que le Hamas est capable d’exiger la libération de Marwan, ainsi que Haniyeh l’a promis à sa femme. Il est évident qu’Israël ne le libèrerait pas  dans le cadre d’un échange de prisonniers. Lors d’éventuelles élections d’un nouveau Président palestinien, Marwan a l’intention de poser sa candidature et pourrait fort bien l’emporter. Ce qui serait fort inconfortable pour Israël. Toutefois, Marwan Barghouti pourrait bien être la clé de la stabilité, de la sécurité et de l’ouverture d’horizons nouveaux entre Israël et les Palestiniens.

Ce serait une erreur de rejeter purement et simplement cette idée et d’éviter d’envisager une telle proposition tant qu’Abou Mazen est encore en fonction.

Sincèrement,

Gershon Baskin

Voici la réponse que j’ai reçue de Ronen Bar :

Dr Baskin,

1. Le Shin Bet œuvre de multiples manières pour préserver la stabilité sur la scène palestinienne ainsi que pour faire face au « jour d’après ».

2. Ceci, bien sûr, sans aborder la question de la politique intérieure palestinienne.

3. Je serais ravi d’entendre toute nouvelle idée sur ce sujet, mais je tiens à vous rappeler que Marwan Barghouti a été condamné à la prison à vie pour le meurtre d’Israéliens et n’a exprimé aucun regret pour ses actes.

Je vous souhaite une bonne année.

Ronen Bar

 

Suite à cette réponse, j’ai contacté l’un des anciens responsables du Shin Bet et lui ai demandé s’il accepterait d’entretenir une correspondance écrite avec Marwan afin de déterminer si ce dernier pourrait être le dirigeant palestinien qui conduirait le peuple palestinien à la paix avec Israël. L’ancien chef du Shin Bet a accepté et a informé Ronen Bar de sa décision. Ronen Bar a demandé à recevoir toute information et contribution intéressantes issues de cette correspondance. Marwan a accepté, et son avocat a été chargé de l’échange de lettres. Le dernier échange a eu lieu en août 2023. La dernière lettre de Marwan comprenait un plan détaillé pour la solution à deux États, incluant des accords régionaux sécuritaires et économiques. Je n’ai pas l’autorisation de publier ces lettres, mais je peux affirmer que la dernière lettre de Marwan de la série indiquait clairement qu’il soutenait toujours la paix avec Israël fondée sur la solution à deux États.

Depuis le début de la guerre, l’administration pénitentiaire de Ben Gvir a transféré Marwan de prison en prison. Il a été placé à l’isolement pendant une grande partie des deux dernières années, souvent dans l’obscurité. Il a été affamé et a subi des violences physiques. Marwan, comme la plupart des prisonniers de sécurité, s’est vu refuser les visites de la Croix-Rouge, de sa famille et même de son avocat.

Je connais Marwan depuis 1996. Il est convaincu qu’il demeure un dirigeant palestinien fort, capable de faire la paix avec Israël. Marwan a été arrêté pour avoir mené la deuxième Intifada. Il était chef du Fatah au Parlement palestinien. Il a été condamné à cinq peines de prison à perpétuité plus 40 ans de prison. Il a été inculpé et reconnu coupable d’être responsable du meurtre de cinq personnes, alors qu’aucune preuve directe ne le prouvait et que Marwan n’en avait tué aucune. Marwan a refusé de reconnaître la légitimité du tribunal et du procès intenté contre lui, car il était un dirigeant politique et un parlementaire élu. Il est le dirigeant palestinien le plus populaire depuis plus de 20 ans. Il est un symbole de la lutte palestinienne pour la liberté et la dignité. Il parle couramment l’hébreu et l’anglais et compte en Israël de nombreux amis d’anciens dirigeants israéliens, qui estiment qu’il doit être libéré.

Depuis des années, j’essaie de convaincre la partie israélienne qu’il serait préférable pour Israël et la Palestine que Marwan soit libéré dans le cadre d’un accord de paix politique négocié avec lui pendant son incarcération. J’ai affirmé qu’il serait préférable pour tous que cela se produise plutôt que la libération de Marwan dans le cadre d’un accord de prise d’otages avec le Hamas. Marwan figurait en tête de la liste des prisonniers soumise par le Hamas, mais il semble qu’Israël ait refusé de le libérer. Ces dernières semaines, j’ai été en contact avec la famille de Marwan et j’ai tenté de convaincre la partie américaine que sa libération était importante pour l’avenir d’Israël et de la Palestine. J’ai appris par les médias que les Américains avaient demandé à Israël d’inclure Marwan dans la liste des prisonniers, mais il semble qu’Israël ait retiré son nom.

Si Marwan n’est pas libéré, une campagne israélienne, palestinienne et internationale devra être organisée pour réclamer sa libération. Même si cela ne devait avoir aucun impact sur le gouvernement israélien actuel, irresponsable et d’extrême droite, nous pouvons en faire un enjeu de campagne pour les prochaines élections israéliennes, si nous rassemblons suffisamment de soutien local et international.

Pour la paix israélo-palestinienne, libérons Marwan.