Haaretz

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(Trad : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant)


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Que cherchait donc Sharon en s’attaquant publiquement au pacte de Genève la
semaine dernière? A-t-il supposé qu’en le révélant au public, il saperait ainsi le projet en train de se faire? Ou a-t-il tout simplement sauté sur l’occasion de s’en prendre à la gauche dans l’espoir de détourner l’attention du public des veritables problèmes? En tout cas, il n’avait certainement pas prévu que son discours, prononcé lors d’une réunion électorale, se transformerait en un argument de vente pour un plan de paix israélo-palestinien.

Les craintes des organisateurs que cette exposition au public refroidirait les Palestiniens se sont dissipées a l’Hotel Movenpick, sur les rives desséchées de la mer Morte. L’un des Palestiniens a informé le groupe israélien qu’il remerciait particulièrement leur premier ministre pour l’importante présence palestinienne.

Cet homme leur dit que l’attaque de Sharon contre la gauche avait donné au
voyage en Jordanie de l’importance aux yeux de la presse palestinienne, le
faisant passer du statut de banale rencontre à celui de véritables négociations politiques. Les critiques formulées par l’ancien premier ministre Ehud Barak ont encore fait monter la popularité de l’initiative Beilin-Abed Rabbo. Au lieu de l’habituelle condamnation pour avoir fait des concessions à des Israéliens non crédibles, les Palestiniens se sont trouvés encensés dans leur presse pour avoir réveillé l’opposition israélienne de son coma, et aussi pour avoir embêté Sharon et Barak.

Le professeur Arie Arnon, l’un des dirigeants de La Paix Paintenant, et l’un des pionniers de l’initiative, dit que le degré de représentation de la délégation palestinienne en Jordanie est le plus haut de toutes celles ayant jamais participé aux discussions. Jusqu’à la dernière minute, Arnon a eu du mal à croire qu’une equipe soutenue par des personnages qui se trouvent au coeur de l’establishment pragmatique de l’Autorité palestinienne (à commencer par Mahmoud Abbas et Ahmed Qorei) signeraient l’accord.

Pour Arnon, l’attaque de Sharon a donné le coup de pouce à une decision
stratégique qui couvait chez les dirigeants palestiniens ; après avoir longtemps hésité, ces dirigeants ont cru bon d’abattre toutes leurs cartes devant un groupe d’Israéliens qui n’est pas autorisé à leur offrir quoi que ce soit.

Toujours pour Arnon, les dirigeants pragmatiques de l’Autorité palestinienne ont compris qu’en tenant secrètes leurs positions (en particulier sur le droit au retour, sujet qui jusqu’alors n’avait été abordé que de façon vague), ils provoquaient une incertitude dans l’opinion publique israélienne et affectaient ses espoirs de paix.

Le « oui » du Tanzim

En meme temps que des hommes connus et faisant partie de l’establishment,
comme les ministres Abed Rabbo et Nabil Qassis, les spécialistes des cartes
Samih al-Abed et Bashar Jum’a, le docteur Nazmi Shubi, spécialiste de
Jérusalem, et le juriste Raith al-Omri, qui a été conseiller politique de
Mahmoud Abbas, de nouveaux visages sont apparus : Jamal Zakut représentait
le leadership de la génération de la premiere intifada, Hisham Abd al-Raziq,
ministre aux affaires des Prisonniers, était là pour les milliers de détenus
et leurs familles, et el general Zoheir Manasra, ancien gouverneur de Jénine
et chef de la securité préventive en Cisjordanie, représentait le lobby des
gouverneurs et l’establishment militaire.

Les personnalites les plus intéressantes étaient « la jeune garde du Fatah »,
les deputés palestiniens Qaddoura Farès et Mohammed Horani. Ces deux hommes, qui ne se sont joints au groupe qu’il y a trois mois, sont arrivés munis de l’accord du Tanzim. Ils ont dit avoir également reçu la bénédiction de leur
camarade emprisonné, Marwan Barghouti. Leur signature est un signe que les
dirigeants de l’intifada Al-Aqsa, ceux-là même qui se sont élevés contre les
accords trouvés à Camp David en 2000, sont aujourd’hui prêts à un accord,
ainsi qu’à une lutte pour la succession [d’Arafat].

Cette lutte va peut-être d’ailleurs commencer avant même que les Suisses aient le temps d’organiser la cérémonie. Les Palestiniens se sont tenus constamment au courant des dernières nouvelles de Ramallah, sur la crise grandissante entre Yasser Arafat et Ahmed Qorei. D’apres une information en provenance de la Mouqata, Qorei a solennellement informé Arafat que si Nasser Youssef n’etait pas nommé ministre de l’Intérieur, il ne serait pas premier ministre. D’après la même source, cette menace n’a pas eu beaucoup d’effet sur Arafat, car celui-ci a déjà décidé que le prochain premier ministre serait Nabil Sha’ath, dont la réputation s’est construite essentiellement sur sa fidélité à Arafat. Les représentants palestiniens à la mer Morte ont dit que si Sha’ath remplaçait Qorei, qui prendrait alors le même chemin qu’Abbas, ce serait la fin d’Arafat. D’après eux, il y a une
limite a ce qu’ils peuvent endurer, meme de la part d’Arafat.

On cache Yossi Beilin

Il y a quelques mois, quand Raith al-Omri, conseiller de Mahmoud Abbas, et Daniel Levy, conseiller de Yossi Beilin, ont formulé la clause sur les refugiés palestiniens qui ne contenait pas la formule menaçante « droit au retour » (même pas vers un Etat palestinien), quand les differences entre les cartes du colonel (res.) Shaul Arieli et celles de Samih al-Abed se sont réduites, et quand Menahem
Klein et Nazmi Shubi sont parvenus à une solution sur la Vieille Ville de Jérusalem, on a dû commencer à penser à la façon de vendre l’accord. Depuis
longtemps, Beilin sait qu’à son grand regret, la plupart des Israéliens hésiteraient à accepter de lui un verre d’eau glacee, meme mourant de soif en plein désert.

Beilin s’est donc mis en quête de « commerciaux » qui pourraient vendre un
accord qui remet aux Arabes 98% de la Cisjordanie, plus 2% de territoires
israéliens. Il voulait échapper au confinement des habituels Haim Oron (Meretz), Arie Arnon (La Paix Maintenant) et Ron Pundak (accords d’Oslo), et se tourner vers le centre et vers le Parti travailliste. Des colombes, des militaires à la retraite et des hommes politiques non identifiés à gauche ont donc fait l’objet d’attentions particulières, et l’equipe enrôla Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d’etat-major, Nehama Ronen (ancienne députée Likoud) et Eti Livni (députée Shinoui).

Le général (ret) Amram Mitzna, toujours président en titre du Parti travailliste, semblait un bon renfort. Et avec les réservistes Gideon Sheffer, Shlomo Brum et Giora Inbar, l’equipe paraissait armée aussi bien pour la guerre que pour des négociations. Pour l’équilibre, on a trouvé aussi les ecrivains Amos Oz, David Grossman et Zvia Greenfield, l’économiste Yoram Gabay et les deputes travaillistes Youli Tamir et Avraham Burg.

Tous n’ont pas pu être présents a la reunion de la mer Morte, premier test
médiatique du groupe. Avant de quiter l’hôtel, la décision a été prise d’éloigner des médias Beilin et les autres politiques. Nehama Ronen et Giora Inbar furent envoyés au front. Cette stratégie mediatique n’a tenu que quelques minutes. L’instinct de la plupart des politiciens, en particulier de ceux qui n’avaient rejoint le groupe que récemment, a repris le dessus devant les micros et les caméras. Le seul à respecter son devoir de silence fut Yossi Beilin. Les anciens du groupe se sont mordu les lèvres.

Ami Ayalon et Sari Nusseibeh ont appris que le plus dur ne commence qu’après
la signature de l’accord. La « commercialisation » du pacte de Genève ne devrait
pas être plus facile. La droite a ignoré l’initiative d’Ayalon, ancien chef du Shin Bet, mais s’agissant de Beilin, elle ne va pas lui rendre la vie facile et le laisser se cacher derriere des généraux. Et Beilin a dû travailler dur pour convaincre son ancien patron Shimon Peres de ne pas attaquer le pacte. Ce qui a aidé, dans une large mesure, ont été les mots très violents qu’a employés Ehoud Barak, nemesis de Peres, contre le pacte.

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