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Ha’aretz, 14 octobre 2005

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Comme chacun sait, il existe des colons « idéologiques » et des colons « qualité de vie ». Une rencontre avec les habitants de la colonie de Maaleh Ephraïm, dans la vallée du Jourdain, a révélé l’existence d’un troisième type : les colons « saleté de vie ». Il y a bien des années, quand ils étaient jeunes et beaux, ils ont été séduits pas l’idée d’une maison au toit en briques rouges et d’un jardin bien vert, tout cela à un prix défiant toute concurrence. Depuis l’intifada, la deuxième surtout, ces maisons sont devenues des lieux de détention, dit l’une des femmes assises dans le jardin de Yehoudit Krinsky. Yehoudit raconte avec tristesse que, si nous étions venus un peu plus tôt, nous aurions vu que son jardin était le dernier de la colonie à verdoyer. Le désespoir a ôté aux habitants tout désir d’entretenir leur environnement. Les derniers vestiges de la qualité de vie qui l’a attirée ici sont la taille du salon et le nombre de pièces dans la maison. Leur zone industrielle est en grande partie désertée, explique-t-elle, plus de la moitié des gens sont au chômage, et famille et amis ne viennent plus très souvent. Il n’y a plus de médecin. Pas étonnant, donc, que la valeur de ces spacieuses maisons ait plongé. Les voisins d’en face, dit quelqu’un d’un ton ouvertement envieux, viennent de vendre leur villa pour une bouchée de pain, 37.000 $, puis ils ont disparu. Car les habitants ne peuvent pas se permettre de rembourser leur crédit et de recommencer une nouvelle vie. Ils savent que les évacués de Yamit [[Yamit : en avril 1982, dans le cadre du traité de paix avec l’Egypte, Israël évacua les colonies créées dans le Sinaï, dont Yamit était la plus importante]] ont fait une bonne affaire dans les années 80, et ils ont suivi avec convoitise le feuilleton des évacués du Goush Katif. Ils espèrent être évacués eux aussi, un jour.

« Enterrés vivants »

Il n’y eut aucun murmure de protestation quand l’invité de la réunion, le député Avhsalom Vilan (Meretz-Yahad – gauche) leur dit, comme s’il révélait un secret, que quelques jours plus tôt, Dov Weissglas, le très proche conseiller d’Ariel Sharon, avait promis, lors d’un forum fermé aux journalistes, que le désengagement de Gaza ne serait pas le dernier de ce type dans les territoires. « J’en ai fini avec les mensonges en politique pendant la guerre du Kippour (1973) quand j’ai perdu mes camarades qui défendaient de leur corps les colonies du plateau du Golan », dit Vilan avec émotion, en ajoutant qu’Israel Galili, l’influent ministre de Golda Meir, avait expliqué alors qu’il y avait envoyé les colons dans l’espoir qu’ainsi, « nous déciderions de la frontière ».
Quand Nissim « Chino » Duanes, ancien maire de Maaleh Ephraïm pendant 20 ans, dit qu’il a entendu certains politiciens parler d’un échange entre les colonies de Cisjordanie et Jérusalem, quelqu’un dans l’assistance murmure « avec l’aide de Dieu », et les gens acquiescent de la tête. « Il vaut mieux que nous nous préparions pour ce jour », dit Chino, « pour ne pas faire comme ceux du Goush Katif qui ont écouté les rabbins qui leur promettaient qu’il n’y aurait pas de désengagement et qui vivent aujourd’hui comme des mendiants. Nous ne devons compter que sur nous-mêmes, et nous assurer que les indemnisations seront raisonnables et peut-être mieux que ça ».

Ces derniers mois, Avshalom Vilan, l’un des fondateurs de l’association « Bait Ekhad » (une seule maison), qui pousse à l’adoption d’une loi d’évacuation-compensation [[(« pinoui-pitzoui ») loi semblable à celle dont ont bénéficié les colons de la bande de Gaza]] pour les colons vivant à l’est de la clôture de sécurité, a rendu visite à un grand nombre de colonies. Cette semaine, par exemple, il était à Teneh-Omarim (où il fut surpris d’apprendre que parmi les évacués de la colonie de Morag, dans la bande de Gaza, qui venaient d’arriver, se trouvaient plusieurs familles évacuées de Yamit !). Toutes ces réunions se tiennent dans une semi-clandestinité : 10 colons embarrassés par ci, une dizaine de colons remplis de honte par là.

A Maaleh Ephraïm, pour la première fois, Vilan a rencontré un groupe important d’hommes et de femmes, plus de 100 habitants pour une colonie qui compte moins de 400 familles, réunis pour écouter un député de gauche, un kibboutznik du Meretz, qui veut démanteler la colonie (les « durs « , les religieux, n’avaient pas été invités). Ils n’ont pas hésité non plus à s’exprimer en présence d’un journaliste et d’un photographe.
Il approuvent de la tête quand Vilan raconte que, lors d’une réunion avec les représentants de « Bait Ekhad », le président Moshe Katsav a dit que leur initiative réduisait la marge de manœuvre du gouvernement dans les négociations avec les Palestiniens. Je lui ai demandé, raconte Vilan au groupe, s’il était moral de transformer des gens en pions dans une négociation.

Dafna, une femme d’une quarantaine d’années, l’air déterminé, demande la parole : « je ne veux plus entendre personne parler d‘idéologie. J’en ai marre de vivre dans des trous. Cela fait 17 ans que je suis enterrée ici. C’est comme être enterrée vivante. Quand les enfants étaient petits, nous avions des activités extrascolaires, mais maintenant, tout cela est fini, comme notre gagne-pain. La dernière fois que nous sommes revenus de vacances à Jérusalem, j’ai dit : ‘Bienvenue au camp de détention de Maaleh Ephraïm’. « 

Inquiétudes pour l’emploi

Assis au premier rang des chaises en plastique, Meron Mansour, cheveux argentés et short : « J’ai perdu un fils dans un attentat terroriste. Je n’ai plus qu’un fils et je n’ai pas envie de le perdre aussi », dit-il, et il demande s’il serait possible d’appliquer la loi d’évacuation – compensation à Maaleh Ephraïm et s’il y avait une chance que le montant des indemnités soit plus élevé si la gauche retournait un jour au pouvoir. Vilan sourit : « je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que la droite peut évacuer des territoires alors que la gauche ne peut que payer ». Une femme nommée Ilana demande comment ils gagneraient leur vie : « tout le monde ici a 50 ans ou plus. Comment retrouverions-nous du travail ? »

Benny Raz, de la colonie de Karnei Shomron, venu avec Vilan, dit qu’il ne n’acceptera jamais d’être l’otage de quiconque, et qu’il fera du bruit, même si cela signifie la perte de son emploi. A la suite de ses activités au sein de Bait Ekhad, il a été renvoyé de la mairie où il travaillait. « Si nous ne nous occupons pas de nous, personne ne le fera, ni Ariel Sharon, ni Shaoul Mofaz (ministre de la Défense). Il y a quelques jours, Mofaz nous a rendu visite à Karnei Shomron et nous a promis une clôture. Mais j’ai appris à ne pas me laisser impressionner par les promesses des politiciens. » (…).

Patiemment, Vilan explique que l’indemnité, telle qu’elle est prévue dans le projet de loi qu’il va proposer à la fin du mois avec la députée Colette Avital (travailliste), permettrait à Benny Raz d’acheter une maison à Afoula ou dans la région d’Ashkelon-Kiryat Gat. Les juristes qui ont concocté la loi d’évacuation-compensation pour les colons du Goush Katif ont calculé que des logements de remplacement pour les 20.000 familles vivant dans les colonies situées à l’est de la clôture de séparation coûteraient environ 3 milliards de $. Si cela s’étend sur une période de 10 ans, cela reviendrait à 300 millions de $ par an, somme qui serait tout à fait supportable pour l’Etat.

Lorsque Vilan aborde le sujet du montant de l’indemnité par famille (150.000 $ pour une maison moyenne), les gens commencent à transpirer et à échanger des regards. Les murmures se transforment rapidement en exclamations de protestation. « 150.000 $, c’est une honte absolue, c’est dégueulasse », s’exclame une jeune femme au deuxième rang. « Avec une somme pareille, on peut acheter une étable. Il vaut mieux rester ici et attendre encore un ou deux ans! ».

Anat surenchérit : « je meurs d’envie de me sauver d’ici, mais je ne veux pas devenir une assistée. Depuis 15 ans, je paye un crédit pour une maison qui ne vaut rien. Si je m’en vais aujourd’hui, je me tire une balle dans le pied. Je ne veux pas m’enrichir, mais au moins, qu’on nous donne une somme qui me permette de vivre dans une villa, comme ici ». Sur son porche, on ne trouvera pas d’écriteau « un Juif n’expulse pas un autre Juif ». Elle promet d’accueillir les fonctionnaires chargés de l’évacuation avec des fleurs et des gâteaux.

Ami, la cinquantaine, se charge de porter l’idée que tout est une question de timing, et qu’en d’autres termes, une évacuation ferait monter le prix dans la négociation : « tout le monde sait que quand le gouvernement veut évacuer des territoires, il est prêt à payer davantage », dit-il sèchement. « Si nous demandons aujourd’hui à partir, nous serons dans une position désavantageuse pour négocier ». Ayelet approuve : « s’ils ont besoin de nos comme pions dans la négociation, comment penser qu’ils ne nous donnerons pas d’indemnités? »

Avshalom Vilan essuie la sueur sur son front. « Vous devez comprendre que quelque chose a changé. Ou bien cette région sera évacuée après négociations, ou bien le danger sur les routes de Cisjordanie augmentera. Il est légitime de décider de rester ici et d’attendre une solution, mais n’espérez de personne qu’on vous donne une maison sur la côte ou à Jérusalem. Si vous dites que vous ne quitterez pas cet endroit pour moins de 300.000 $, le public vous répondra de rester ici ».

Pendant un instant, ce fut comme si l’homme au microphone n’était plus un député de l’opposition de gauche, mais un représentant de Sela (l’organisation chargée de l’aspect administratif de l’évacuation de la bande de Gaza) venu pour faire signer un accord d’évacuation-compensation.

Après le départ de l’invité, Ezra dit d’une voix forte « je n’ai pas peur de rester ici ». Quelqu’un d’autre grommela « ouais, encore un héros ».

Vilan affirme que d’après un récent sondage effectué par son association, 53% des colons disent que ce qui les a attirés était la qualité de vie et le logement bon marché. 30% disent qu’ils seraient prêts à être évacués s’il y avait une compensation financière à la clé. Si tous ces gens, dont la qualité de vie et la valeur de leurs maisons ont été dégradées par l’intifada, se manifestaient ensemble en exigeant de rentrer à la maison, « le prochain désengagement serait bien plus facile ».