« Les nouveaux États ont généralement tendance à s’appuyer sur une vision « nationale » unifiée de l’Histoire comme moyen de développer l’ethos de la société – une mémoire collective partagée. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Un élève de Moaz Hatorah à Bnei-Brak. © Nir Elias / REUTERS

Gershon Baskin pour The JerusalemPost, le 28 août 2019

https://www.jpost.com/Opinion/Encountering-Peace-Back-to-school-what-we-teach-our-children-part-2-600021

ENCOUNTERING PEACE: BACK TO SCHOOL – WHAT WE TEACH OUR CHILDREN – PART 2


Il est urgent de réfléchir et réformer nos manuels scolaires (en Israël comme en Palestine) sur ce que nous enseignons et n’enseignons pas concernant « l’autre ». Bien que la vie réelle ait beaucoup plus d’influence sur les opinions que nous avons sur ces « autres » qui vivent sur cette terre, nos manuels scolaires reflètent ce que nous, en tant que sociétés, avons décidé de transmettre à la prochaine génération. C’est le reflet de nos valeurs et même de nos espoirs et de nos rêves.

Il est fort peu probable que les Israéliens et les Palestiniens partagent la même compréhension et la même interprétation de l’histoire de la terre et du conflit entre ses habitants. Chaque partie a clairement le droit de donner sa propre version de l’histoire dans ses manuels scolaires. Les Israéliens et les Palestiniens ont lutté pour leur liberté et les étudiants des deux camps doivent connaître leur histoire. C’est un élément essentiel de l’édification collective de la nation et de la définition de leur identité nationale. Les textes historiques devraient refléter les points de vue de leur propre histoire et inciter les élèves à s’identifier à leur passé en tant que lien avec le présent et l’avenir.

Les nouveaux États ont généralement tendance à s’appuyer sur une vision  » nationale  » unifiée de l’histoire comme moyen de développer l’ethos de la société – une mémoire collective partagée, à partir de laquelle les citoyens développent leur sens du patriotisme et de la loyauté. Habituellement, cela laisse très peu de place pour d’autres points de vue ou d’autres voix, et si ces points de vue alternatifs existent, leur légitimité et leur exactitude sont souvent mises en doute et même parfois considérées comme relevant quasiment de la trahison. En temps normal, cela peut prendre des décennies avant que de « nouveaux historiens » fassent entendre d’autres voix.

Il est admis que la Palestine est dans sa phase de formation en matière de compréhension de l’histoire (il ne s’agit pas d’une déclaration négative ou d’une forme de jugement – mais d’une description). Par conséquent, on ne devrait guère s’attendre à la volonté ou à la capacité des manuels scolaires palestiniens d’exprimer d’autres points de vue ou d’autres voix. Cependant, les éducateurs palestiniens devraient être conscients que la cause palestinienne gagne considérablement en force si elle ne présente pas une approche monolithique dogmatique de l’histoire.

Les Palestiniens ont droit à leur propre vision de leur propre histoire et personne ne peut contester ce droit fondamental. Le récit historique collectif palestinien présente la création de l’État d’Israël comme un acte non légitime de la communauté internationale. Le sionisme est compris par les Palestiniens comme une extension de l’impérialisme international et du colonialisme, et la naissance de l’Etat d’Israël est considérée comme née dans le « péché ». C’est une vision légitime de l’histoire du point de vue palestinien.

Afin que cette opinion ne soit pas considérée comme un point de vue dogmatique qui considère Israël aujourd’hui comme une non-entité ou comme une entité qui ne devrait pas exister, il est important de se référer à la fois à la décision stratégique palestinienne de faire la paix avec Israël (les accords d’Oslo et l’échange de lettres de reconnaissance mutuelle) et aux valeurs fondamentales élaborées dans la Déclaration d’indépendance palestinienne concernant la décision nationale palestinienne de régler le conflit par des moyens pacifiques, fondés sur la reconnaissance mutuelle et sur le principe de deux Etats pour deux peuples.

Tout comme je recommande à l’État d’Israël d’inclure dans les manuels scolaires israéliens des voix et des idées expliquant les points de vue palestiniens concernant le conflit et le processus de paix, de même il importe d’inclure l’expression de points de vue israéliens dans les manuels scolaires palestiniens. Ceux-ci peuvent provenir de sources déjà existantes ou être commandées spécialement à cet effet.

Il est important que les élèves des deux côtés aient un  » aperçu  » du récit du voisin, non pas comme moyen de convaincre quelqu’un de la justification du récit de l’autre, mais comme moyen d’accroître la capacité des élèves à comprendre le monde complexe dans lequel ils vivent. Dans ce contexte, il serait possible, par exemple, de traiter de questions difficiles telles que l’Holocauste et son impact sur les visions du monde israélienne et juive.

LA cause palestinienne est mieux servie si l’on fournit aux étudiants les outils nécessaires pour comprendre la complexité de leur monde et les problèmes auxquels nous sommes confrontés. L’exactitude factuelle et historique est extrêmement importante pour que les manuels scolaires soient reconnus comme légitimes. Les manuels doivent être en mesure de fournir des explications précises et factuelles sur l’évolution de la réalité au fil du temps. Par exemple, présenter Acre comme une ville arabe (comme c’est le cas dans les manuels scolaires actuels) constitue un regard très incomplet sur la réalité historique et implique une non-reconnaissance d’Israël.

Il n’est pas faux de dire qu’ « Acre était une ville arabe après la chute des Croisades et est restée arabe sous la domination ottomane et jusqu’à la fin du mandat britannique. En 1948, la plupart des Arabes palestiniens d’Acre sont devenus des réfugiés, comme beaucoup d’autres villes et villages palestiniens en Palestine. Mais comme dans beaucoup [de ces endroits]… nombre de Palestiniens sont restés à Acre, et aujourd’hui Acre est situé dans l’État d’Israël. La présence arabe palestinienne et l’identité de la ville sont fortement ressenties, en particulier à l’intérieur des murs de la vieille ville. » Ce genre de déclaration clarifie pour l’étudiant le fait qu’Acre était une ville palestinienne, mais qu’aujourd’hui elle se trouve dans l’État d’Israël, et que la présence et l’histoire palestiniennes y restent fortes. Cela ne pose pas non plus de questions dans l’esprit du lecteur quant à l’existence d’Israël et à l’endroit où il se trouve sur la carte.

Il est tout aussi important d’utiliser des données factuelles vérifiables à l’échelle internationale sur des questions controversées. Les références dans les manuels palestiniens qui « arabisent » les peuples cananéens ne fournissent pas de faits historiques vérifiables au niveau international et, de plus, remettent en question l’ensemble du récit palestinien. Il est clair que les Palestiniens essaient d’établir que la présence arabe sur le territoire est antérieure à la présence juive. Toutefois, prétendre que les peuples cananéens étaient arabes ne peut être certifié sur le plan historique et expose les manuels scolaires à de sévères critiques internationales.

Les revendications palestiniennes sur cette terre sont suffisamment importantes pour ne pas avoir à s’appuyer sur des récits historiques douteux. Dans le même ordre d’idées, il convient de faire référence à la présence historique israélite et juive dans le pays, ainsi qu’aux documents attestant que les Juifs ont été exilés de la terre par les Romains. Le fait de déformer les faits historiques n’accorde pas une plus grande légitimité aux revendications palestiniennes de droits historiques sur la Palestine. Bien au contraire, ignorer les faits historiques les affaiblit davantage. De même, les tentatives d’effacer ou de minimiser le caractère arabe de Palestine/Eretz Yisrael dans les manuels scolaires israéliens déforment la réalité historique et accréditent la notion erronée selon laquelle la Terre d’Israël était une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Il y avait un peuple qui vivait sur cette terre avant l’émergence du mouvement sioniste, et bien qu’elles n’aient pas été organisées pendant longtemps comme un mouvement national distinct, des centaines de communautés arabes avaient sur cette terre des racines profondes et ont laissé leur marque sur le plan culturel pendant des centaines d’années.

 

L’écrivain est un entrepreneur politique et social qui a consacré sa vie à l’Etat d’Israël et à la paix entre Israël et ses voisins. Son dernier livre In Pursuit of Peace in Israel and Palestine a été publié par Vanderbilt University Press et est maintenant disponible en Israël et en Palestine.