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Ha’aretz, 26 mai 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


S’il y a eu un événement historique au cours du lancement d’Ehoud Olmert à la Maison Blanche, ce fut bien que, pour la première fois dans l’histoire du pays, nous avons enfin un premier ministre qui non seulement n’est pas plus petit que son hôte d’un demi mètre, comme l’étaient la plupart de ses prédécesseurs, mais qui dépasse même le président américain d’un centimètre ou deux. Qui a dit qu’il n’y a eu aucun progrès entre les visites des différents premiers ministres israéliens à Washington ?

Autre grand bond en avant : l’apparente inversion des rôles entre l’hôte et son invité. Pour la première fois, un dirigeant israélien propose un retrait des territoires, et son hôte ne saute pas d’enthousiasme. Inversion apparente, du moins quand on pense aux bégaiements horrifiés de certains dirigeants israéliens précédents quand des présidents américains (comme Lyndon Johnson) leur demandaient de décrire les frontières d’Israël qu’ils envisageaient. Mais ne nous y trompons pas : au fond, c’est bien le même menuet qui dure depuis 40 ans, où le succès de la visite à Washington se mesure à l’aune de la longueur du délai que nous obtenons avant d’entamer une négociation directe et immédiate avec nos voisins sur l’avenir des territoires.

Comme pour le villageois de Chelm [[dans le folklore yiddish, un habitant du village de Chelm est par définition un imbécile]] qui ne cherchait sa pièce que sous l’éclairage du lampadaire, il est plus facile de ne pas se mettre d’accord avec les Américains que de se mettre d’accord avec les Palestiniens. Le climat est plus agréable à Washington qu’à Ramallah, et le parfum de Condoleezza Rice est plus raffiné que l’after-shave d’Abou Mazen. Et après le traumatisme créé par [l’échec de] Camp David et des négociations avec l’impossible Yasser Arafat, cette tendance n’a fait que se renforcer : Assez, disons-nous, nous en avons assez de cette région. Nous voulons nous désengager, converger. Mais, bizarrement, le monde, et même les Américains, persiste à dire que nous et les Palestiniens vivons sur le même continent, et même sur la même terre, et qu’il vaudrait mieux que nous nous arrangions entre nous.

Il est vrai que les circonstances sont difficiles, mais Israël a su développer jusqu’au génie l’art de « préparer les conditions pour des négociations sans préalable ». Depuis 40 ans, cela explique pourquoi le terrain d’un véritable dialogue n’a pas été préparé, pourquoi il faut attendre qu’il soit prouvé qu’il n’y a personne à qui parler, ou que nous ayons fini d’écraser celui avec lequel, d’ailleurs, il ne servirait à rien de parler, ou qu’un autre partenaire apparaisse (dont personne ne parle chez lui), ou encore que nous exploitions au maximum la dernière idée géniale en vogue : inventer la Ligue des Villages [[Ligue des Villages : organisation de notables palestiniens choisis par Israël pour leur « souplesse ». Cette entité, fruit d’une opération montée de toutes pièces par Israël sous Begin puis Shamir pour contourner l’OLP, n’a (évidemment ?) jamais réussi à s’imposer en tant que « représentant acceptable » des Palestiniens]] , couronner Gemayel au Liban, créer le Hezbollah, rater Abou Mazen, affaiblir l’Autorité palestinienne, renforcer le Hamas, ou encore exiger la démocratie et se retrouver face à un fondamentalisme théocratique.

Malgré toutes ces recettes alchimiques qui nous explosent à la figure encore et toujours, Israël continue d’adopter une approche du « tout ou rien » : ou bien il y a un « accord total » en deux jours qui mettra un point final, quasi messianique, au conflit à tous ses niveaux, ou bien il n’y a « pas de partenaire », ce qui veut dire, ni dialogue ni même pourparlers.

Cette approche binaire a été celle de ce type de dirigeants qu’on a dits « charismatiques », ces hommes de valeur, brillants, militaires pour la plupart, comme Ehoud Barak ou Ariel Sharon, qui avaient tendance à tout voir en noir et blanc, avec une approche « tout en même temps ».

Dans le rôle de premier ministre, Olmert vient d’ailleurs, pour le meilleur ou pour le pire : gris, civil, souple et indépendant d’esprit, rompu au marchandage politique et à ses compromis cyniques, sachant porter un regard rapide sur une réalité mouvante, et, le plus important, manquant du fardeau qu’est le charisme et des espérances qu’il suscite, avec leur cortège d’ivresses et de châtiments.

Bien sûr, cela pourrait se terminer par un fiasco, mais cela pourrait tout aussi bien marcher, comme pour le premier ministre australien, John Howard, un homme triste et gris, sans aucun charisme ni intégrité particulière, qui a été élu quatre fois d’affilée, à chaque fois avec davantage d’avance sur son poursuivant. L’Australie existe toujours.

Seul l’avenir dira si Olmert, à sa manière, aura été un dirigeant exceptionnel. Saura-t-il reconnaître les nuances de gris présentes dans la réalité ? Comprendra-t-il ce que signifient des compromis pragmatiques qui, par exemple, demanderaient de parler avec le Hamas ? Regardera-t-il la réalité en face, et dira-t-il : Au diable le charisme ? Il n’est pas certain qu’il soit « the right man in the right place », mais il sera intéressant de tester ce nouvel objet : un dirigeant de chair et de sang, dont nous n’espérerions pas grand-chose.