« Les Arabes du Néguev luttent pour protéger leurs terres, et réclament quelque 600 000 dunams, 5% seulement de la superficie du Néguev », écrivait Oudeh Basharat en septembre dernier, alors que tombait une nouvelle décision de démantèlement de villages bédoins “non reconnus“ [1].


À la suite de discussions sans fin, de la démolition de milliers de maisons et de la mise en place de comités divers, la dernière étape concernant les terres arabes dans le Néguev fut le Conseil de sécurité nationale. À savoir le corps qui débat du programme nucléaire iranien.

Dans l’un et l’autre cas, le programme nucléaire iranien et les terres arabes du Néguev, les parties prenantes au débat étaient absentes. Dans le cas du Néguev, aucun Arabe n’officiait au sein de l’un quelconque des comités officiels. Il n’y a qu’un ennemi pour être ainsi traité.

Et c’est ainsi que le chef du Conseil de sécurité nationale, le major général de réserve Yaakov Amidror, intervint sous la pression des ministres d’extrême droite. Même les 183 000 dunams (45 750 acres) que le plan Prawer s’apprêtait à laisser aux Arabes furent amputés quasi de moitié et réduits à environ 100 000 dunams [2]. Après tout, la guerre est la guerre et les sentiments n’y ont aucune place.

Les Arabes du Néguev luttent pour protéger leurs terres, et réclament quelque 600 000 dunams – 5% seulement de la superficie du Néguev. Ils veulent légaliser tous les villages non reconnus [3], où les conditions minimales de vie font défaut. Et la question la plus inquiétante est ce qu’il adviendra de cette génération qui a grandi sans infrastructures, eau ni électricité. Ses membres ne savent rien de l’État d’Israël, hormis les bulldozers qui démolissent leurs maisons ou les contrôleurs qui leur infligent des sanctions. Et l’on se demandera plus tard d’où ont surgi la haine et le fanatisme.

Avec cette décision gouvernementale, c’est comme si l’été de la justice sociale n’était jamais advenu. Où est le professeur Manuel Trajtenberg [4] quand on a besoin de lui ? On menace d’arracher à leur maison et leurs terres quelque 30 000 habitants, et quelque 20 villages de destruction. Une nouvelle version, miniature, de la Nakba [5] guette derrière la porte.

Les habitants de ces villages, qui vivent là depuis des générations, ne sont pas des objets susceptibles d’être déplacés de lieu en lieu. Après tout, l’« histoire », la « nostalgie », les « souvenirs » et les « émotions humaines » ne sont pas seulement l’apanage de ceux qui viennent de loin. Les gens de Al-Arakib ont une histoire, et la nostalgie de leur terre et du cimetière où reposent les ossements des êtres aimés.

La majorité au sein de l’actuelle Knesset, voire d’assemblées moins extrémistes que celle-ci, est prête à entériner n’importe quelle injustice à l’encontre d’Arabes. Mais Al-Arakib a été détruit à 29 reprises, Tawil Abu Jarwal à 51 reprises. À chaque fois, la population est revenue et a rebâti. Les habitants arabes du Néguev n’admettront pas d’être expulsés.

L’Australie, le Canada et de nombreux autres pays se creusent la tête pour trouver comment dédommager leurs populations autochtones de la perte de leurs terres afin de forger un pacte social. Mais ici, on dégringole allègrement au bas de la pente de l’apartheid [6].

La décision adoptée par le gouvernement est un coup dur pour les tenants de la justice sociale, car l’attente fervente de justice sociale décline faute de justice dans le Néguev.


NOTES

1] Voir également l’article de Jack Khoury traduit sur ce site en juin dernier, qui faisait déjà référence à la question des « villages non-reconnus »: [

[2]Le cabinet israélien a approuvé le 11 septembre dernier, lors d’une réunion, un projet basé sur le « Rapport Prawer », qui prévoit le déplacement forcé de 30.000 Bédouins arabes du sud d’Israël, où des populations bédouines vivent depuis des centaines d’années – mais qui n’ont pas été reconnus en 1948 par l’État nouvellement indépendant comme des habitants légitimes. Leurs maisons sont depuis lors régulièrement détruites. Israël a créé trois zones « reconnues » pour les y installer, aux abords de la décharge municipale de Jérusalem, et a essayé à maintes reprises de les contraindre à rejoindre ces secteurs, que beaucoup d’entre eux voient comme des ghettos. L’association pour les droits civils en Israël a formulé de nombreuses objections lors de sa publication en juin dernier, du fait notamment les critères à remplir par les villages bédouins pour être « reconnus », comme dont la viabilité économique et la contiguïté, impliquent à en croire de nombreux Bédouins l’urbanisation forcée de leur culture rurale.

3] “Villages non reconnus“ est une expression neutre pour désigner un ensemble d’agglomérations considérées comme illégales par l’État, et ne pouvant donc bénéficier d’aucun service (adduction d’eau ou d’égouts, électricité, etc.) en attendant de s’effondrer sous les coups des bulldozers, en tout ou partie… avant d’être aussitôt reconstruites avec l’aide du Comité des villages non reconnus qui les réunit. Découlant de la “politique de sédentarisation“ des Bédouins, regroupés au sein de sept “villes“ dans les environs de Beersheva, la mise hors la loi des villages où ils pouvaient faire paître leurs troupeaux et pratiquaient une agriculture vivrière casse leur mode de vie, les marginalise en réduisant à zéro les bénéfices d’une sédentarisation progressive entamée spontanément au XIXe siècle, et participe du fort taux de chômage au sein de cette population. On peut se reporter à l’article de Suzanne Millet dans Un écho d’Israël 37, sept-oct 2007, basé sur une brochure éditée en anglais et en hébreu par le Conseil régional des villages non-reconnus, Ne dites pas : « Nous ne savions pas ! » : [

[4] Économiste de renom, le professeur Manuel Trajtenberg détient la chaire Eytan Beglas de la commission du plan et des budgets du Conseil de l’éducation supérieure en Israël. Benyamin Netanyahu l’a nommé en août dernier président d’un comité chargé de négocier avec les représentants du « Mouvement des Tentes » et de faire des recommandations afin de surmonter la crise. Son rapport est actuellement en discussion.

[5] La Nakba (« Catastrophe », « Désastre ») commémore l’exode palestinien de 1948.

[6] Selon Adalah, l’Association pour les Droits civils en Israël, « si les mêmes critères étaient appliqués à la population juive, des colonies tout entières – y compris des colonies communautaires, des observatoires, des « kibboutzim » et des « moshavim » – seraient vouées à la destruction ».