Haaretz, 10 février 2002

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


A ecouter les declarations du Premier Ministre Ariel Sharon et du Ministre de la Defense Benjamin Ben-Eliezer, on pourrait penser que leur voyage a Washington a ete un enorme succes. Le Ministre de la Communication Reuven Rivlin a dit hier a la radio nationale qu’Ariel Sharon l’avait briefe sur le contenu de son entretien avec le President Bush, et avait mis en avant le fait que les deux Etats etaient en parfaite harmonie.

Devant les micros, Ben-Eliezer a declare que le Vice-President Dick Cheney,
et la conseillere a la securite nationale Condoleeza Rice etaient encore plus dures que lui au sujet d’Arafat et de la facon dont il devrait etre traite. Aussi contents qu’on peut l’etre, tous deux retournent dans un pays qui, chaque jour, panse de nouvelles blessures.

Quelle que soit la sympathie que l’administration Bush peut avoir envers les
souffrances d’Israel, cela est de peu de consolation, puisque cette administration ne fait rien pour eliminer, ou meme soulager ces souffrances. Tout comme le gouvernement Sharon, les USA semblent embarrasses par l’impasse israelo-palestinienne, et incapables de definir un objectif a atteindre. Il est clair qu’on de doit pas dedaigner le fait qu’Israel et les USA soient en accord, mais compte tenu des circonstances auxquelles Israel est confronte, cet accord constitue un succes diplomatique qui manque son but. Israel a besoin aujourd’hui de dirigeants qui puissent sortir le pays de la crise actuelle, alors que les marques de soutien de la part de Washington ne sont qu’un blanc-seing pour la politique que le gouvernement israelien a adoptee.

Il y a un an, quand Ariel Sharon a pris le pouvoir, il esperait vaincre rapidement l’intifada. Ses declarations publiques renforcaient cet espoir. Tres tot, cependant, il a appris que cet objectif etait presomptueux et hors d’atteinte. Tshahal n’operait pas ainsi qu’il l’avait espere, car il s’est avere qu’il devait operer avec beaucoup de prudence vis-a-vis de l’opinion internationale, et que le front interieur etait lui aussi bien mine.

Sharon abandonna alors l’objectif d’ecraser d’un coup la violence palestinienne, et adopta la tactique du siege prolonge. Cela ne constituait pas seulement un changement en termes operationnels, mais un veritable tournant conceptuel. Plutot que d’essayer de mettre fin a la crise (par la force, ou par un accord politique), Sharon choisit de la gerer, tout en reconnaissant que la situation durerait longtemps. Le discours public refletait ce changement conceptuel : Sharon ne parlait plus de « paix et (de) securite », mais de « determination et (de) perseverance ».

Voila sa perspective aujourd’hui. Le Premier Ministre dirige le pays en s’attendant a ce que le bain de sang, le malaise et la stagnation economique soient la pour une periode illimitee. Il ne parait pas avoir envie de changer la situation. On peut dire la meme chose du Ministre de la Defense : Ben-Eliezer accepte le conflit arme avec les Palestiniens comme s’il etait un decret impose d’en haut.

Tous les deux se montrent arrogants, n’hesitant pas a tancer ceux qui osent
se plaindre de la situation et critiquer la politique du gouvernement. Sharon agresse ceux qui declarent que « tout s’ecroule », en arguant du danger de demolarisation de l’opinion. Ben-Eliezer pense que le pays est en train de sauter de joie. Le ministre des Affaires etrangeres Shimon Peres est le seul qui paraisse disposer d’une formule pour changer la situation, mais il est percu comme deconnecte de la realite, et sans influence, et il est ainsi empeche de proposer explicitement une formule qui pourrait sortir le pays du bourbier.

Ce n’est ni une legere modification du caractere de l’occupation israelienne
(comme le propose Peres), ni une formulation astucieuse de la position
palestinienne sur le droit au retour des refugies (comme le proposent
maintenant Arafat et Mohammed Dahlan), qui pourront vraiment changer la
situation. Si les deux peuples veulent s’epargner un bain de sang supplementaire, ils doivent aboutir a deux decisions :
Israel a besoin d’un dirigeant qui reconnaisse la verite a propos de
l’occupation, et qui soit capable de convaincre l’opinion que la meilleure
chose a faire est d’adondonner totalement le reve d’occuper la Bande de Gaza
et la Cisjordanie.
Les Palestiniens ont besoin d’un dirigeant qui les convainque de renoncer
totalement au reve du droit au retour, non par consideration pour les besoins demographiques d’Israel, mais plutot en tant que decision nationale refletant le fait que la Palestine est prete a payer le prix pour obtenir son independance et se debarrasser de l’occupation israelienne.

A ce qu’il semble, le voyage de Sharon et de Ben-Eliezer aux USA n’a rien fait pour promouvoir le changement necessaire.