Fort d’une victoire aussi massive que probable aux toutes récentes élections, Netanayahu dont les prétentions sécuritaires ont apparemment fait florès peut continuer à son aise une politique annexionniste déjà en bonne voie. Nous ne discuterons pas ici une fois de plus de ce qui à nos yeux pourrait seul assurer une paix durable, la solution 2 Peuples/2 États que nous soutenons depuis la fondation de Shalom Akhshav, et qui se trouve aujourd’hui compromise par la fragmentation de la Cisjordanie et celle du mouvement palestinien. Mais le propos de cet article n’est pas là, quoique ces préoccupations n’en soient pas absentes. Il s’agit de l’annexion rampante de la Cisjordanie et de l’expulsion de sa population sous des prétextes sécuritaires. Il suffit de parcourir les médias pour découvrir chaque jour un lot de nouvelles expulsions et appropriations à prétexte, bien sûr, sécuritaire — avec le soutien de Trump, de Poutine et d’une bonne partie de l’Asie du Sud-Est…


Shalom Akhshav, lundi 11 mars 2019

Traduction Jacqueline London pour LPM

Révision, chapô et notes Tal Aronzon pour LPM

Photo Observatoire des colonies « Vue de l’avant-poste de Mitzpeh Kramim » ©Shalom Akhshav [DR]

Article de Shalom Akhshav/Peace Now requests to join Mitzpe  Kramim petition

http://peacenow.org.il/en/peace-now-requests-to-join-mitzpe-kramim-petition


Devant le tribunal

L’État face à la Cour [1]Il est permis d’exproprier des terres palestiniennes au profit de l’avant-poste de Mitzpeh Kramim ».

Shalom Akhshav face à la Cour : « Une telle décision permettrait l’expropriation de milliers de dunams [2] de terres palestiniennes ».

Le 10 mars, l’État a remis ses conclusions avant l’audience [portant] sur l’appel [interjeté] à la suite du verdict [3] du tribunal [de district] en faveur des revendications des colons de l’avant-poste de Mitzpeh Kramim. Simultanément, Shalom Akhshav a présenté à la cour une requête afin d’obtenir pour le mouvement le statut d’« amicus curiae/ami de la Cour » [4], et souhaité discuter des vastes implications de la précédente décision du tribunal ainsi que de l’argument du Garde des biens de l’État dans les Territoires [5] et du Bureau des implantations [plaidant la] « bonne foi ».

En août 2018, le tribunal de district de Jérusalem [présidé par le] juge Arnon Harel a déclaré que les colons bâtissant des habitations sur des terres palestiniennes privées dans l’avant-poste de Mitzpeh Kramim avaient des droits « inaliénables » sur ces terres et que les propriétaires fonciers palestiniens n’avaient pas titre à exiger leur expulsion mais [seulement] des compensations.

Pour plus de détails sur la décision du tribunal de district, voir ci-dessous :

La première décision se fonde sur l’argument voulant que la doctrine de la « régulation du marché » s’applique aux cas dans lesquels des localités ont été construites sur des terres privées palestiniennes ; et que la « bonne foi » peut être accordée aux responsables qui se sont approprié ces terres.

Cette affirmation a été précédemment contestée par l’État dans les conclusions [qu’il a] soumises au tribunal de district en juillet 2018. Contrairement à la position ferme de l’État au début de la procédure, à savoir que les colons avaient envahi illégalement les terres palestiniennes et devaient les évacuer, il a présenté [cette fois] la position opposée. Le changement de position de l’État a eu lieu à la faveur de profondes modifications juridiques entreprises par la ministre de la Justice, Ayeleth Shaked[6], et le procureur-général, Avi’haï Mandelblit [7], lesquelles limitent la protection des droits des Palestiniens et légalisent rétroactivement les actions illégales [poursuivies] dans les implantations.

Shalom Akhshav demande à obtenir le statut d’ami de la Cour :

Le 10 mars, Shalom Akhshav a déposé une demande d’admission à l’audience d’appel en tant qu’« amicus curiae/ami de la Cour ». A cette demande, [le mouvement] a ajouté un avis professionnel énumérant les ramifications de l’arrêt du tribunal et l’implication des autorités dans les vols de terres — qui sapent l’affirmation de « bonne foi ».

A. Les amples retombées du verdict

Shalom Akhshav a soumis à la cour une liste de 132 colonies et avant-postes dans lesquels près de 7 000 unités d’habitation ont été construites, s’étendant sur plus de 10 000 dunams de terres privées palestiniennes. Cela [vient s’ajouter] aux milliers de dunams et [parfois même] aux dizaines de milliers de dunams pris à leurs propriétaires par des implantations [pour monter] des infrastructures, des [installations] agricoles, etc. [à leur usage]. Cette décision va probablement servir de jurisprudence pour les confiscations massives de terres pratiquées par l’État dans les implantations en Judée-Samarie [8] au fil des ans.

B. La gestion des terres par le Garde des biens d’Etat et des biens abandonnés en Judée-Samarie

Une série [ici] décrite de ratés parmi les mesures du directeur général a conduit aux nombreuses « erreurs » consistant à attribuer des terres non détenues par l’État. Certains des ratés ont été exposés dans des rapports gouvernementaux officiels et par le contrôleur de l’État, lesquels attestent de manquements et d’omissions historiques à ce jour non corrigés.

C. La gestion des terres par la Division des Implantations n’a pas été réalisée selon le mode de « bonne foi » 

D’amples informations [sont dispensées] concernant l’action de la Division des Implantations quant à des terres à elle allouées (ou à elle non allouées) l’attribution ou non de terres et dans de nombreux cas d’allocation accordée sans autorisation.

D. La nature du marché pour lequel la régulation s’applique

En fait, il n’y a pas de « marché » ou de « normalité des échanges » dans les transactions du type de celles que l’État gère dans les Territoires. Il n’y a aucune négociation en cours, en tout cas dans les « terres domaniales » attribuées par l’État aux colons ni dans les transactions entre l’État et l’Organisation sioniste mondiale (l’organisme parapluie qui comprend la Division des implantations). Qui plus est, et même en théorie, il n’y a pas la moindre chance de [connaître] la situation contraire : saisir des terres appartenant à des particuliers pour les allouer à des Juifs et les transférer « par erreur » à des Palestiniens. Il n’y a pas non plus d’organisme gouvernemental dans la région qui exproprie des terres privées des Juifs. Depuis 1967, un seul bord est systématiquement discriminé, comme le prouvent les données [collectées], selon lesquelles 99,76% des terres domaniales en Cisjordanie ont été attribuées à la population israélienne [— juive —] et moins de 25% à des Palestiniens.

L’objectif de la requête de Shalom Akhshav d’obtention du statut d’amicus curiae/ami de la Cour, parfois accordé à des organismes ou des individus experts dans un champ en rapport avec la décision [du tribunal] est le suivant : Si la Cour accepte cette demande d’adhésion en tant qu’ami, le requérant [se voit offrir] l’opportunité de présenter aux juges les informations pertinentes concernant leur décision sur la procédure.

Shalom Akhshav a cherché à se joindre aux débats de la cour en raison du potentiel de jurisprudence de cette affaire et grâce aux nombreuses informations accumulées au fil des ans par l’Observatoire de la colonisation [9], qui surveille et documente le contexte du transfert des terres de Cisjordanie à l’usage de civils israéliens.

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NOTES

[1] Il s’agit en l’occurrence du tribunal de district de Jérusalem — la grande Jérusalem, bien entendu, qui enserre nombre de localités palestiniennes.

[2] Dunam : À l’origine, il représentait la quantité de terrain qu’un homme pouvait labourer en un jour. En Israël/Autorité palestinienne, Jordanie/Liban, il vaut depuis la chute de l’Empire ottoman 1 000 m2, soit un hectare..

[3] Verdict rendu en première instance, contre lequel Shalom Akhshav a interjeté appel le 10 mars 2019. Comme nous le verrons plus loin, il s’agit en quelque sorte d’un appel à cassation, puisqu’il est fait état dans les attendus d’un vice de procédure.

[4] Conféré par le tribunal sur requête, le statut d’« amicus curiae/ami de la cour » permet à ce dernier d’interjeter appel afin de soutenir des personnes ou des collectivités qu’il estime lésées et d’exposer ses conclusions à l’appui de sa position.

[5] Garde des biens d’État et des biens abandonnés dans les Territoires [occupés] : L’intitulé de la charge est révélateur, qui englobe de fait sous la dénomination de « biens abandonnés » des terres ou/et des maisons dont les habitants ont été chassés.

[6] En digne représentante de l’extrême extrême-droite israélienne, la ministre de la Justice, Ayeleth Shaked s’est fait une joie de modifier la loi de façon à pouvoir annexer des terres palestiniennes de droit privé sans risque d’inopportuns rappels à l’ordre démocratique de la part, par exemple, de la Cour suprême.

[7] Ferme défenseur de la légalité, le procureur-général Avi’haï Mandelblit est internationalement connu pour la lutte sans faille qu’il mène afin que le Premier ministre Nétanyahou réponde devant les tribunaux israéliens des faits de corruption, népotisme et trucage électoral qui lui sont reprochés. Mais la musique est différente lorsqu’il s’agit des Palestiniens et de leurs droits. Il ne s’agit certes pas de violer la légalité… il suffit de la modifier !

[8] La Cisjordanie, ou pour prendre une dénomination aux références moins historico-politiques et plus simplement topographiques, la rive occidentale [du Jourdain] est une région de 5 860 km² délimitée à l’est par le Jourdain et la Mer Morte, au nord, au sud et à l’ouest par la ligne verte ; Elle contient une population d’environ 2 500 personnes, principalement palestinienne. En Israël, le gouvernement et une grande partie des Israéliens ont adopté depuis l’avènement du premier gouvernement de Mena’hem Begin, en 1977, le nom de Yéhoudah véShomron (« Judée et Samarie »), en référence aux territoires des deux royaumes bibliques issus du schisme entre la Judée, dont la capitale était Jérusalem, et Israël, dont la capitale était Samarie.

[9] L’Observatoire des colonies de Shalom Akhshav a acquis une véritable expertise en ce domaine, photographiant à ses risques et périls les implantations (sauvages en particulier) et accumulant preuves et données.

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L’AUTEUR

Shalom Akhshav (La Paix Maintenant en Français, Peace Now en Anglais) est un mouvement extra-parlementaire créé en  mars 1978 par 300 officiers de réserve de l’armée israélienne. Indépendant des partis politiques son objectif est « de convaincre l’opinion publique et le gouvernement israélien qu’il est possible et nécessaire d’aboutir par la négociation à une paix juste et durable fondée sur le principe « Deux peuples, deux États ». Se réclamant du sionisme, soucieux de la sécurité d’Israël, Shalom Akhshav est favorable à la création d’un État palestinien et fermement opposé à la colonisation.

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