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(cet article fait partie d’une serie d’articles consacres aux « Accords de
Geneve » diffusee par Common Ground News Service (CGNews))

par Toufik Abou Baker[[Toufik Abou Baker est analyste politique, directeur du Center for Strategic
Studies de Jenine, et depute au parlement palestinien. Il est laureat en
2003 du Eliav-Sartawi Awards for Middle Eastern Journalism, categorie
presse.]]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Meme les opposants aux accords de Geneve, qui trouvent aupres des chaines
satellites arabes des bras et des ecrans grands ouverts, ne peuvent nier que
l’initiative a remue les eaux dormantes d’un lac de paix gele, depuis que
les extremistes et les durs, palestiniens comme israeliens, ont pris les
choses en main.

Ces accords ont suscite une nouvelle vague d’initiatives politiques, en
particulier du cote israelien, dont les declarations d’Ehud Olmert,
l’initiative de Peres et celle du parti laique Shinoui. Certaines de ces
initiatives ont pris la forme de resistance passive, comme le refus
d’accomplir son service militaire dans les territoires occupes. Ce mouvement
a meme touche les commandos d’elite (« Sayeret Matkal »), l’unite la plus
motivee de l’armee israelienne. Cette unite est responsable de l’assassinat
de trois dirigeants palestiniens a Beyrouth en 1973, et d’Abou Jihad a Tunis
en 1978. Il y a eu egalement la desobeissance de pilotes de l’armee de
l’air, et les critiques severes de la part de 4 anciens chefs du Shin Bet,
qui ont publie une declaration commune critiquant le gouvernement dans
Yediot Aharonot, quotidien le plus lu en Israel, phenomene inconnu
jusqu’alors en Israel.

Toutes ces initiatives protestent contre le statu quo et demandent de mettre
fin a l’occupation, mais les accords de Geneve viennent clarifier, pour la
premiere fois, les traits que pourrait prendre un accord permanent, a tous
les niveaux, ce qui etait jusqu’alors considere comme tabou. L’initiative
Clinton s’en rapprochait, mais dans un cadre beaucoup plus general. Les
negociations de Taba sont entrees dans une serie de details, et l’initiative
de Geneve s’en est servie. Cependant, c’est bien la premiere fois que les
details specifiques d’un accord permanent sont traites, publies, et
accompagnes d’une trentaine de cartes.

C’est peut-etre la raison pour laquelle on a assiste a un tel dechainement
quand l’initiative a ete rendue publique, en Israel comme en Palestine, car
la plupart de ces details relevaient du tabou, et etaient rejetes par
principe par les oposants a la paix.

Les extremistes israeliens, partisans d’un Eretz Israel historique, ont
exige que les signataires des accords soient juges pour « trahison en temps
de guerre ». Un phenomene similaire s’est produit sur la scene palestinienne,
ou les opposants a la paix, par principe, ont manifeste bruyamment contre
« l’accord de la honte et de la trahison », par ecrit et dans la rue.
L’hysterie est allee jusqu’a une attaque physique contre les participants
palestiniens a la ceremonie de Geneve (1er decembre 2003), alors qu’ils
traversaient la frontiere de Rafah vers l’Egypte pour se rendre a l’aeroport
du Caire, et de la a Geneve. L’assassinat politique peut paver le chemin de
l’assassinat physique, et cela fait peur.

Je suis d’accord pour traiter les initiateurs des accords de « commando », un
commando qui s’attaque aux tabous et les fait tomber de l’arbre en le
secouant vigoureusement, en quete d’une reconciliation historique ou chaque
partie fait des concessions douloureuses et renonce a certaines de ses
revendications pour rencontrer l’autre a mi-chemin.

Telle a ete l’essence de tous les processus de reconciliation historique.
L’orage a fini par se calmer, et les gens ont commence a lire le texte qui
leur etait parvenu chez eux, et decouvert que les titres tronques des
quotidiens, sortis du contexte, ne refletaient pas le veritable esprit des
accords. Il faut garder a l’esprit que ces accords seront soumis a examen et
revision, quand il y aura un cadre de negociation officiel. C’etait la un
des objectifs majeurs de l’accord.

D’apres un recent sondage effectue par le Palestinian Center for Policy and
Survey Research de Ramallah, en cooperation avec l’Institut Truman de
l’Universite Hebraique, 44% seulement des Israeliens s’opposent aux accords
de Geneve, et une partie des personnes interrogees ne s’etait pas encore
determinee.

La situation est differente du cote palestinien. Une majorite est toujours
contre l’accord, mais d’apres un sondage, un tiers des Palestiniens n’avait
pas encore lu le texte. Le publier dans un supplement des jouranux
quotidiens n’etait pas la meilleure methode pour garantir une lecture
attentive d’un texte long et detaille. Dans le monde arabe en general, nous
avons depuis longtemps le sentiment que ce qui est publie dans un supplement
de journal n’a pas d’importance, et fait partie des sujets futiles qui ne
trouvent pas leur place dans le journal lui-meme.

Il s’ensuit que de nombreux Palestiniens se sont forme leur opinion a partir
des titres des journaux, des chaines satellites, des commentaires et des
manifestations organisees par les groupes politiques.

Par souci de securite, d’autres ont trouve plus sage de ne pas exprimer une
opinion differant du sentiment general, pour ne pas s’exposer a la critique
et a la calomnie. Dilemme bien connu des intellectuels dans le monde arabe
en general, qui se font conduire plutot que de conduire les masses vers ce a
quoi ils croient.

Il est vrai que lorsqu’on s’oppose a l’opinion populaire, on s’expose a la
crtique et a la calomnie. On peut meme etre accuse de trahison. Pourtant, si
Galilee s’etait soumis a la croyance populaire, il n’aurait jamais parle de
la sphericite de la Terre. Oblige de se dejuger, il le fit en disant « et
pourtant, elle tourne ».

Ironie des accords (peut-etre a cause de leur formulation tres etudiee, ou
parce que les gens ont tendance a voir un verre a moitie vide) : d’apres le
sondage mentionne ci-dessus, 61% des Israeliens sont opposes a l’article
concernant les refugies parce qu’il inclut le droit au retour. De leur cote,
72% des Palestiniens sont opposes au meme article, parce qu’a leur avis, il
abolit le droit au retour.

Telles sont les complexites des accords de Geneve, qui se sont attaques aux
tabous, puis ont plonge dans leur profondeur, avec force et courage.