La droite religieuse des colonies n’est pas l’ennemie de la Cour suprême, qu’elle a saisi par le passé chaque fois que ses intérêts directs étaient menacés, mais celle de l’ordre public – analyse ici Dror Etkes, fort d’une double expérience : ses années de travail sur le terrain au sein de l’Observatoire des colonies de Shalom Akhshav ; puis, des années de combat juridique aux côtés des Palestiniens spoliés avec l’association Yesh Din (Il y a une justice).


La question des avant-postes d’Oulpana et de Migron porte un jour cru sur un aspect des rapports entre l’État et ses citoyens : le devoir qui incombe au premier de protéger les seconds du vol et de l’injustice.

L’historique de ces deux avant-postes révèle à qui l’étudie une réalité doublement complexe. D’une part, ce ne sont pas des citoyens ordinaires et égaux en droit que l’État est appelé à protéger ; mais bien des sujets dépourvus de droits vivant dans des territoires occupés sous contrôle militaire israélien depuis 45 ans.

D’autre part, ce n’est pas de l’atteinte d’une tierce partie que l’État, impliqué jusqu’au cou dans l’édification desdits avant-postes, est appelé à protéger ces personnes ; mais de ses propres attaques, effets d’un appétit sans bornes pour les terres de la rive occidentale du Jourdain.

Les colons, qui nous rappellent les incommensurables implications des plaintes portées à l’encontre de Migron et Oulpana, ont raison sur un point : des milliers de familles de colons habitent des maisons construites sur des terres palestiniennes privées.

Si l’État d’Israël entendait sérieusement protéger la propriété privée en Cisjordanie, il lui faudrait déployer des forces à la mesure de celles qui seraient nécessaires à l’évacuation de la plus grande partie des implantations.

Mais la protection des droits et des biens [des Palestiniens] n’est pas le but de la comédie qui se joue devant nous. Il s’agit d’une tentative de sauvetage de la prétendue intégrité de l’image d’Israël en tant qu’État de droit, en tant que nation gouvernée au nom suprême de la Loi. Derrière ce masque légaliste, il est clair cependant qu’en termes de visées et d’objectifs Israël s’est à peine mieux comporté qu’un gang mafieux.

Voilà un pays qui gaspille la majeure partie de son énergie et de son pouvoir régalien sur la Rive occidentale dans un objectif unique : dépouiller la population palestinienne de ses acquis historiques et les transférer à la population israélienne des colonies.

La défiance affichée par la droite religieuse des implantations à l’égard d’une « Cour suprême de gauche » semble plus grotesque que jamais. Ces colons représentent un mouvement politique doté d’une batterie bien huilée d’avocats rompus à saisir la Cour suprême chaque fois qu’ils flairent une possible menace contre les intérêts de leur secteur ; ou, à l’inverse, une occasion de les propulser.

Les colons de la bande de Gaza ont usé de la Cour suprême pour obtenir de l’État (c’est-à-dire du contribuable) une augmentation des indemnités perçues en compensation de l’évacuation des implantations. Ils la saisissent régulièrement par le biais d’une organisation dénommée Regavim, laquelle emploie des ouvriers arabes “au noir” dans le bâtiment. L’objet de ce groupement, subventionné par les communautés régionales d’implantations (c’est-à-dire, là encore, par le contribuable), est de s’assurer que l’Administration civile [des Territoires] ne rechigne pas à accomplir sans délai son devoir – mener la vie dure aux derniers occupants de la moindre cahute aux abords des zones de colonisation.

De même les colons n’ont-ils guère chicané à l’idée de saisir cette Cour « négatrice de la Torah » sitôt qu’ils sentirent le danger planer sur l’entreprise de conversions de Haïm Druckman (le projet du rabbin national religieux présente plus d’un aspect positif en tant que pourvoyeur d’emplois et de pouvoir pour bon nombre d’affairistes) : Ils s’adressèrent à la Cour suprême après que la cour d’appel rabbinique eut annulé à titre rétroactif l’ensemble des conversions réalisées par Druckman.

Oui, il s’agit bien du même Druckman qui a signé il y a quelques mois, avec 130 autres rabbins, une pétition demandant au président de la Cour suprême d’annuler l’arrêt d’évacuation de Migron.

La droite religieuse des implantations n’est pas l’ennemie de la Cour suprême, elle est celle de l’autorité de la loi. Elle ne clame son opposition à la Cour suprême qu’autant que la justice refuse de privilégier les intérêts immédiats des colons. L’entreprise de colonisation qui, directement ou indirectement, distribue des subsides à des milliers de familles, est l’incarnation des intérêts directs du secteur national-religieux.

«Mais Israël n’a pas été abandonné [1] » Quand la Cour suprême ne livre pas la commande attendue, comme ce fut le cas pour Migron, le gouvernement entre en scène et acquiert le bon vouloir des colons. C’est ainsi que le cabinet Netanyahu débourse 53 millions de NIS [environ 11 millions d’euros] en échange de la coopération de 50 familles ; lesquelles, une décennie durant, ont exploité leurs voisins palestiniens. L’avant-poste de Migron s’est construit sur les terres des villages palestiniens de Burka et Deir Dubwan et le dessous de table de Netanyahu démontre pour la énième fois que la droite colonisatrice n’est pas seulement l’ennemie du règne de la loi, mais aussi celle de l’État-providence. L’État peut et est censé pourvoir à nos besoins à tous, particulièrement à ceux des plus faibles d’entre nous.

Plongeant son regard dans les profondeurs de l’âme humaine, Marx conclut que c’est l’existence qui détermine la conscience et non l’inverse [2]. Cela s’applique certainement à celle des colons !

NOTES

[1] « Akh lo alman Israel – Mais Israël n’est pas veuf » ou, pour suivre la traduction anglaise fort peu littérale du roi James : « But Israel hath not been forsaken – Mais Israël n’a pas été abandonné » (Jérémie 51.5).

[2] « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. » (Karl Marx [1859], Contribution à la critique de l’économie politique, Paris, Éditions sociales, 1972, 309 pages. Traduit de l’allemand par Maurice Husson et Gilbert Badia.)