Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Il y a 15 jours, les autorités jordaniennes ont renforcé les règles limitant l’entrée des Palestiniens dans le territoire jordanien. Une immigration palestinienne massive depuis la Cisjordanie est devenue le cauchemar de la Jordanie, si l’on en croit le professeur Asher Susser, de l’université de Tel-Aviv.

Depuis deux ans, les Jordaniens sont pris de panique à l’idée que l’intifada
génère une foule de refugiés fuyant vers la Jordanie et déstabilisant ainsi les équilibres démographique, économique et politique à la base de la stabilité de la société et du régime en Jordanie.

Cela n’a rien de nouveau. Apres la guerre d’Indépendance en 1948, des centaines de milliers de réfugiés ont fui vers la Jordanie, manquant de provoquer la chute du royaume hachémite. La première moitié des années 50 fut une periode de crise pour les Jordaniens.

En 1951, le roi Abdallah fut assassiné, et cet assassinat fut suivi d’une série de tentatives de coups d’Etat. La même chose se produisit après la guerre des Six jours en 1967. Une guerre civile éclata en 1968, culminant en septembre 1970 avec ce qu’on a appelé le « Septembre Noir ».

Au cours de l’été 1988, pendant la première intifada, le roi Hussein de Jordanie declara qu’il rompait tout lien entre son royaume et la Cisjordanie. Il le fit essentiellement pour éviter une émigration vers l’Est. Cette fois encore, après le début de l’intifada Al-Aqsa, les autorités jordaniennes interdirent rapidement tout mouvement palestinien vers l’Est, depuis la Cisjordanie vers le royaume.

Mais cela n’est pas toujours facile a réaliser. De nombreux cadres de l’OLP, arrivés avec Yasser Arafat dans les territoires pour édifier l’Autorité palestinienne, sont citoyens jordaniens. Avec la détresse qui prevaut dans les territoires, beaucoup ont décidé de renvoyer leus familles à Amman.

Certains ont des maisons à l’est du Jourdain, ou des biens, et n’ont pas de
difficulté à prendre cette mesure. Personne ne dispose de données précises
sur le nombre de Palestiniens ayant émigré en Jordanie, mais les estimations
tournent autour de 50.000 ou davantage.

L’éventualité d’une guerre en Irak est l’un des facteurs clés ayant entraîné le renforcement des mesures limitant l’immigration en Jordanie. Dans le monde arabe en général, mais tout particulièrement chez les Palestiniens, la crainte existe que le gouvernement Sharon n’exploite le chaos en Irak pour transférer des Palestiniens en Jordanie.

Les rues israéliennes sont remplies de graffitis appelant au « transfert » et disant « Pas d’Arabes, pas de Terreur », et il y a de nombreux appels ouverts à l’expulsion d’Arabes. Les partis israéliens de droite prêchent cette idée, et cela n’échappe pas aux regards palestiniens et jordaniens.

Ces derniers temps, les médias arabes sont remplis de reportages sur les paysans de Samarie qui ne peuvent recolter leurs olives, harcelés par les colons israéliens. Ils insistent sur le fait que les olives sont la seule ressource qui reste à des villageois qui ne peuvent plus travailler en Israël, ni se rendre à leur travail en d’autres points de la Cisjordanie, à cause des bouclages et des couvre-feu.

La chaîne de television d’Abu Dhabi, tres regardée, a diffusé la semaine dernière un reportage dramatique sur les habitants du petit village de Yanoun, au sud-est de Naplouse, qui se sont tous enfuis à cause du harcèlement des colons. Entre temps, quelques habitants de Yanoun ont pu rentrer chez eux, après que plusieurs Israéliens du mouvement Ta’ayush (coopération judéo-arabe) se soient installés dans le village pour les protéger, et que des reportages dans la presse sur le village abandonné aient forcé l’armée à promettre sa protection aux villageois

Billets retour

C’est dans ce contexte que les Jordaniens ont institué des règles exigeant de tout résident d’une zone palestinienne désirant se rendre en Jordanie de fournir la preuve qu’il ne compte pas demeurer dans le royaume.

Les Jordaniens permettent aux résidents de Cisjordanie et de Gaza de se rendre à l’étranger, via l’aéroport d’Amman, ou de traverser la Jordanie pour se rendre dans un autre pays arabe, en général en pelerinage à La Mecque. Ces résidents doivent donc montrer aux autorités jordaniennes un billet aller-retour, et tous les visas nécessaires au voyage.

Un Palestinien désirant rester en Jordanie pour des raisons personnelles doit s’assurer que sa famille en Jordanie présente pour lui des garanties financières. Un parent doit déposer en banque un montant de 7.000 dinars (environ 4.200 euros) garantissant que le Palestinien quittera bien le pays dans les délais. Ceux qui ne quittent pas le territoire dans les délais indiqués sont recherchés et expulsés, et le dépôt confisqué.

Ces dernières semaines, pas un jour ne passe sans une déclaration jordanienne exprimant la crainte qu’Israël n’effectue une « opération de transfert ». Les diplomates américains sont constamment interrogés sur le sujet.

Ceux qui, en Jordanie, sont les plus actifs contre une immigration
palestinienne de masse sont les groupes nationalistes jordaniens, des gens
originaires de la Jordanie orientale, et qu’on peut qualifier d’anti-palestiniens. Leur porte-parole est le journaliste chrétien Fahed Al-Funk, célèbre éditorialiste d’un journal de grande diffusion, Al Ra’i, qui éreinte avec constance tout plan de coopération ou de confédération entre la Jordanie et les Palestiniens.

Ces mouvements ont apparemment l’oreille du palais royal. Dans le passé, le
roi Hussein s’était profondément impliqué dans les affaires de Cisjordanie et de Jérusalem, même après leur perte en 1967. Son fils Abdallah est moins impliqué. C’est à peine s’il a accepté d’envoyer une entreprise pour effectuer des travaux de réparation sur le mur sud du Mont du Temple, Israéliens comme Palestiniens s’etant montrés incapables de décider qui choisir pour effectuer les travaux.

Il est possible que ce non engagement ait à voir avec les relations étroites
qu’entretient Abdallah avec l’Irak. Une grande partie des exportations
industrielles et agricoles de la Jordanie vont vers l’Irak. Les Jordaniens
en retirent de l’argent et – plus important – du pétrole, pratiquement gratuitement. Il y a en Jordanie plusieurs centaines de milliers de réfugiés irakiens, et ils forment une minorité relativement calme. Une connection irakienne s’est developpée en Jordanie, en quelque sorte aux dépens des relations de la Jordanie avec les Palestiniens et la Cisjordanie.

Depuis qu’Israël a fermé les territoires palestiniens et fait venir des centaines de milliers de travailleurs étrangers pour remplacer la main d’oeuvre palestinienne, il existe une pression palestinienne croissante sur les Jordaniens. L’équation est évidente. Plus Israël construit de clôtures et de checkpoints empêchant les Palestiniens d’aller à l’ouest, plus les Palestiniens doivent se tourner vers l’est. Ainsi, quelqu’un habitant Naplouse ne peut plus se rendre à l’etranger via l’aeroport Ben-Gourion, et n’a d’autre choix que de le faire via Amman.

La dépendance croissante des Palestiniens vis-à-vis de la Jordanie excite les mouvements anti-palestiniens à Amman. On estime que les Palestiniens ayant la nationalité jordanienne constituent environ 60% de la population, et les familles jordaniennes autochtones se sentent menacées. Ils savent que le jour est proche où ils devront enfin résoudre le problème des relations entre la Jordanie et l’entité palestinienne.

Aujourd’hui, par exemple, l’OLP prétend représenter tous les Palestiniens, ce qui menace la légitimité d’une entité politique jordanienne dans une région essentiellement peuplée de Palestiniens.

Il se pourrait que dans un futur plus proche que beaucoup ne croient, à cause d’une guerre en Irak, il y ait des initiatives et des décisions politiques radicales concernant l’identité de la Jordanie et un futur Etat palestinien. La derniere chose dont les Jordaniens ont besoin aujourd’hui, c’est une nouvelle vague d’immigration palestinienne à l’est du Jourdain et à Amman.