Ma’ariv – 4 avril 2005

La contribution d’Israël à l’accalmie

par Shlomo Gazit [[Shlomo Gazit, général en retraite et ancien responsable du renseignement militaire, enseigne à l’université Ben-Gourion de Beer Sheva. Durant la période Oslo, il a participé à de nombreuses conversations secrètes avec les plus hauts dirigeants palestiniens.]]

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Cinq mois se sont écoulés depuis la mort de Yasser Arafat, et trois depuis l’élection de Mahmoud Abbas et la formation d’un nouveau gouvernement palestinien. Le nouveau président à réussi à imposer un cessez-le-feu aux groupes radicaux palestiniens, et depuis lors il règne un calme quasi absolu. Il est vrai qu’il a agi à sa manière. Il n’a pas déclaré la guerre à ces organisations, et ne s’est pas engagé dans une confrontation frontale pour démanteler l’infrastructure terroriste. Pourtant, les résultats parlent d’eux-mêmes. Pour le moment, du moins, il a prouvé qu’il était à la hauteur.

Pour sa part, Israël a bien libéré quelque 400 prisonniers palestiniens, dont la plupart étaient d’importance mineure et qui devaient de toute façon être libérés à courte échéance. A la suite de longues et dures négociations, nous avons également transféré la responsabilité de la sécurité à Jéricho et à Tulkarem aux Palestiniens. Nous nous sommes alors hâtés d’annoncer le gel du processus de transfert des autres villes de Cisjordanie, car les Palestiniens ne prenaient pas les mesures que nous pensions qu’ils devaient prendre. Simultanément, nous avons fourni notre propre contribution à l’accalmie, nous avons fait ce que nous avions à faire pour construire la confiance réciproque entre eux et nous : nous allons créer des milliers de logements dans les colonies de Cisjordanie.

Il semble aujourd’hui – pour citer explicitement certaines personnalités haut placées de la Défense – qu’il n’y ait aucune chance pour que l’accalmie dure bien longtemps. Selon eux, le plus probable est qu’une nouvelle intifada éclatera peu de temps après qu’Israël aura achevé son retrait de la bande de Gaza.

Nous aurons tendance à attribuer cette nouvelle détérioration et cette escalade attendue aux actes et aux échecs de l’Autorité palestinienne. Celle-ci persiste à refuser de faire ce que nous persistons à exiger : une confrontation physique destinée à désarmer les organisations terroristes, ou, dans notre vocabulaire : « le démantèlement complet de l’infrastructure terroriste ».

Ils ont peut-être raison. Il se peut très bien, comme le disent ces gens haut placés, que l’Autorité palestinienne est à la croisée des chemins, et que le pouvoir de Mahmoud Abbas, ainsi que sa capacité à faire avancer le processus bilatéral avec Israël, dépendent d’une confrontation violente entre Palestiniens. On rappelle souvent des précédents comme Ben-Gourion s’engageant contre les groupes juifs armés radicaux en mai 1948, ou l’assaut donné par le roi Hussein [de Jordanie] contre les Palestiniens au cours de ce qu’on nomme le « septembre noir », en 1970.

Cependant, nous, en Israël, avons du mal à admettre trois choses fondamentales :
1/ nous ne nous sommes pas encore libérés de la mentalité de l’occupant face à l’occupé. Nous sommes incapables de considérer les Palestiniens comme une entité indépendante, avec ses propres considérations nationales. Il faut constamment rappeler à nos décisionnaires, que ce soit au niveau politique, militaire ou du renseignement, que Mahmoud Abbas n’est ni un Quisling [[(2) Quisling : homme politique norvégien, chef d’un gouvernement à la solde des Nazis en Norvège occupée]] ni un collaborateur. Au contraire, le fait même d’exprimer ces exigences, publiquement et bruyamment, ne peut que causer son échec.

2/ alors que nous attendons avec tant d’impatience, que nous espérons si fort une confrontation armée entre l’Autorité palestinienne et les organisations, nous ne prenons pas le temps de nous poser un certain nombre de questions élémentaires : par exemple, quelles seraient les chances de Mahmoud Abbas de remporter ce combat? Quelles seraient les conséquences, pour les Palestiniens comme pour nous si, par malheur, l’Autorité palestinienne était défaite?

3/ et peut-être le plus important : pour s’engager dans une pareille confrontation décisive, l’Autorité palestinienne doit pouvoir faire état d’un objectif politique clair. Ce ne peut être pas moins qu’un accord global avec Israël, accord acceptable pour la majorité de l’opinion palestinienne, et qui représente une réussite importante et une solution raisonnable à leurs problèmes. Rien de moins que cela ne justifierait, aux yeux des Palestiniens, une campagne armée frontale contre les groupes radicaux. Or, un pareil accord ne peut être obtenu que par deux parties souveraines, israélienne et palestinienne. Et il ne peut résulter que de négociations sincères.

Récemment, et en particulier après certaines remarques mémorables de la part de Dan Kurzer, ambassadeur américain en Israël [[(3) Kurzer aurait dit qu’il n’y avait pas d’accord entre Israël et l’administration américaine concernant la construction dans des colonies de Cisjordanie faisant partie de « blocs » censément annexables, dont Maale Adoumim]], une polémique a enflé dans ce pays, concernant ce que précisément le président Bush avait promis à Ariel Sharon. Cela est sans nul doute important, mais se concentrer là-dessus tend à oblitérer la question essentielle. Après tout, ce n’est pas avec les Américains que nous sommes censés signer un accord de paix. Au bout du compte, l’accord devra se faire avec les Palestiniens. Et ne nous faisons aucune illusion : il n’y aura aucun diktat de notre part, approuvé par les Américains et imposé par eux à Mahmoud Abbas.

Israël doit se libérer de tout un système de concepts et d’illusions qui n’ont aucune viabilité dans le monde réel. Il nous faut commencer à considérer Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne comme le véritable partenaire d’un véritable dialogue. Au lieu de toutes ses missions à Washington, Dov Weisglass, le conseiller/confident de Sharon, ferait mieux de faire le voyage à Ramallah, ce qui lui épargnerait des kilomètres. A la Moukata, il devrait mener des pourparlers confidentiels avec Mahmoud Abbas et ses conseillers. Il devrait tenter de comprendre les besoins du président palestinien, ce qu’il compte faire chez lui comme à l’étranger, et la façon dont Israël pourrait l’aider, ou, pour le moins, éviter de lui mettre des bâtons dans les roues.

La présente mission de Weisglass à Washington ne peut, au mieux, que préparer une position israélienne légèrement meilleure sur le plan diplomatique en vue du déclenchement d’une nouvelle intifada. Une mission à Ramallah pourrait faire beaucoup pour éviter que ne se produisent ces événements terribles.