Rien que de normal, me direz-vous, en ce jour de Kippour, alors qu’on apprend qu’une fusillade vient de se produire devant ou à proximité d’une synagogue à Halle en Allemagne et que les troupes turques ont commencé à envahir le nord-est de la Syrie pour repousser les combattants kurdes. Un peu plus tôt, les Forces démocratiques syriennes (FDS), menées par des Kurdes, ont déclaré l’état d’alerte pour faire face à l’invasion turque, imminente à leurs yeux.

La résurgence de l’antisémitisme en Europe et sa radicalisation, c’est-à-dire passages à l’acte et exercice d’une violence meurtrière, ne sont pas pour nous surprendre. Plus étonnant, à tout le moins plus nouveau, la dramatisation de la situation en Turquie et, plus largement dans la région moyen-orientale.

Dans l’immédiat, l’inquiétude nous étreint quant au devenir des Kurdes dont le tragique de leur histoire n’est pas sans rappeler celui du peuple juif. Depuis plusieurs jours déjà, on entend le rappel incessant du rôle qui a été le leur dans la lutte contre Daesh et de leur abandon aujourd’hui par leurs alliés d’hier. Cette situation « nous parle » comme on dit dans un certain jargon et nul doute que, pour revenir à l’aire géographique qui nous est proche, l’argument du manque de crédibilité des engagements internationaux resurgira dans l’actualité politique israélienne. Il en va de même, les deux étant liés, du revirement de Donald Trump, grand allié sinon d’Israël, du moins de son gouvernement actuel.

Certains y verront une catastrophe, d’autres un événement dont l’impact sur la politique israélienne peut ne pas être négatif, ramenant le leadership à faire preuve de plus de réalisme, à ne plus se croire tout permis sous couvert du soutien inconditionnel de Trump dont l’inconstance est avérée dans le cadre d’une stratégie qui, elle, demeure relativement constante: le désengagement des États-Unis, au risque d’une perte de crédibilité et d’une déstabilisation des rapports de force dans la région et au-delà.

D’autres enfin y verront une raison supplémentaire pour rechercher un accord avec les Palestiniens, conscients qu’ils sont que leur occultation ne peut mener à terme qu’à une impasse voire à une situation plus dramatique encore pour les deux peuples concernés. Mais pour ce faire, pour prendre le risque de la paix face à la certitude de guerres à répétition, les engagements internationaux sont nécessaires, en tout premier lieu en matière sécuritaire. Mais quelle foi leur accorder alors que les Kurdes seraient laissés à l’abandon?

Certes, chaque situation est spécifique et la Turquie bénéficie d’avantages considérables face à un Poutine qui veut démontrer que, lui, il ne lâche pas ses alliés, surtout quand ils lui offrent un accès à la Méditerranée, face à un Trump malmené chez lui et qui veut ramener « les boys à la maison », ce qui serait porté à son crédit lors des prochaines élections et enfin face à une Europe paralysée par la situation migratoire dont la Turquie est le grand régulateur.

Dans un tel contexte, jusqu’où seront prêts à ne pas aller trop loin ceux qui, en théorie, sont les soutiens des Kurdes?

Elie Barnavi terminait son récent « Carnet de route » dans la dernière livraison de Regards par cet avertissement dont la pertinence ne saurait être contestée: « …Pendant que les Israéliens contemplent, hypnotisés, les contorsions d’un personnage de roman, ou de cirque, comme l’on voudra, il se passe dans le Golfe des choses qui devraient les préoccuper au moins autant… »

Il ne s’agit pas tant de choisir un terrain plutôt qu’un autre mais d’appréhender les deux et leurs interrelations. Préparons-nous à ce que le monde soit pour beaucoup « redoutable » au cours de l’année à venir. Qu’au moins celle-ci soit-elle favorable au plan personnel à tous ceux pour qui ces jours ont une signification particulière… et aux autres également!

Ilan Rozenkier

9 Octobre 2019 – Illustration : Amos Biderman