Transcription de l’interview de Giora Inbar, négociateur israélien des
accords de Genève, réalisée par Claudine Korall pour La Paix Maintenant, et
diffusée ce vendredi dans le cadre des 53emes Chroniques pour la Paix, sur
Judaiques FM, 94.8.
(Le vendredi 25 juin, dans le même cadre (Judaïques FM, 10h15), nous
diffuserons une interview de Ziyad Abou Ein, negociateur palestinien de
Genève, interview également réalisée par Claudine Korall)


POUVEZ-VOUS NOUS RESUMER VOTRE PARCOURS AVANT D’AVOIR TRAVAILLE SUR LES ACCORDS DE GENEVE ?

G.I.: Au cours des 25 années de ma vie active, j’ai été un militaire, j’ai accompli tout le parcours de la hiérarchie, j’ai dirigé les commandos de la brigade Golani, j’ai été chef de bataillon, puis chef d’une unité spéciale, puis commandant de la brigade Givati. J’ai longtemps été à la tête des forces israéliennes au Liban et j’ai terminé ma carrière comme chef de division dans le nord du pays. J’ai quitté l’armée il y a 5 ans. Il y a assez longtemps, Yossi Beilin m’avait demandé si j’étais prêt à rejoindre l’équipe qui travaillait sur les aspects sécuritaires de l’initiative de Genève. Il se trouve qu’à cette période, j’étais arrivé à la conclusion que si nous voulions obtenir la sécurité, cela serait plus facile si nous faisions la paix que si nous continuions à faire la guerre. C’est donc avec joie que je me suis joint au projet de Genève. Et j’espère vivement que nous arriverons à atteindre nos objectifs.

COMMENT S’EST FAITE LA PRISE DE CONSCIENCE QUE LE DIALOGUE AVEC LES PALESTINIENS ETAIT INCONTOURNABLE ?

D’abord, les Palestiniens sont nos voisins, et nous devrons vivre avec eux tout le temps. Il y a un proverbe arabe qui dit « le voisin est plus important que le frère. » Et au cours de ma longue fréquentation avec eux, j’ai rencontré des Palestiniens avec lesquels je suis très heureux d’être ami, et j’en ai aussi rencontré qui ne seront jamais mes amis. Mais je peux vous dire encore autre chose: j’ai rencontré des Juifs avec lesquels je suis très heureux d’etre ami, et j’en ai aussi rencontré dont je ne voudrais pas qu’ils s’approchent de moi.
En réalité, il s’agit de personnes, et avec des personnes il faut s’avoir s’accorder. Celui qui croit comme moi à la solution de 2 Etats pour 2 peuples, sait que pour que ces 2 Etats puissent coexister, il faut que les personnes puissent s’accorder entre elles. Et lors des accords de Genève, nous avons rencontré des personnes dont je suis fier qu’elles soient mes partenaires.

DANS QUELLE MESURE PENSEZ VOUS QUE LES ACCORDS DE GENEVE APPORTERONT LA SECURITE AUX ISRAELIENS SACHANT QUE LE HAMAS N’EST PAS PRES DE CHANGER D’ATTITUDE?

L’initiative de Genève, comme toute idée de négociation, est justement
l’instrument le plus efficace pour renforcer les modérés et les pragmatiques de la rue palestinienne, pour qu’ils soient en mesure de prendre le dessus sur le Hamas. Si nous n’allons pas à la négociation, nous renforcerons le Hamas, et renverrons la rue palestinienne modérée dans les bras du Hamas. De mon expérience militaire, je peux dire que nous n’avons jamais vraiment contribué à la sécurité a partir du moment ou nous étions une force d’occupation. Au contraire. Le meilleur exemple, c’est le Liban : dès que nous en sommes partis, la sécurité s’est considérablement améliorée au nord, la frontière est calme, la région est en pleine croissance, il est impossible de trouver une place dans les hôtels du nord d’Israël, tout au long de l’année. Et cela, c’est arrivé tout de suite après que nous avons quitté le Liban.

QUELLE EST VOTRE OPINION AU SUJET DE LA BARRIERE DE SEPARATION ?

Il y a des endroits où la barrière est indispensable, comme moyen de sécurité, et nous n’avons pas le droit de laisser les gens sans défense du côté israélien. Si la barrière empêche les attentats, et les terroristes-suicides de s’infiltrer, il faut la construire. Simplement, il faut veiller à ce que le tracé soit conforme à un futur accord, c’est-à-dire que la barrière doit suivre la ligne de 1967, qui est la future frontière. D’ailleurs du point de vue topographique, c’est la meilleure ligne de
sécurité, elle passe au meilleur endroit possible. De toutes façons, même
lorsqu’il y aura 2 Etats qui vivront en paix, il faudra une barrière. C’est pourquoi il vaut mieux dès maintenant la construire sur ce tracé, afin d’éviter de créer des injustices , car les injustices entraîneraient des frustrations, et les frustrations entraîneraient le terrorisme, et dans ce cas, la barrière n’empêcherait pas les attentats, mais au contraire les stimulerait.

LA CAMPAGNE DE SOUTIEN AUX ACCORDS DE GENEVE CONTINUE. QUEL ECHO SUSCITE-T-ELLE AUPRES DE LA POPULATION ISRAELIENNE ?

Nous estimons que de façon permanente, plus du tiers du public soutient les accords de Genève. Je suppose que si le public israélien voyait que l’autre côté était prêt à la négociation, prêt à prendre la responsabilité de la sécurité, prêt a réprimer le terrorisme, le soutien à Genève se renforcerait encore dans l’opinion israélienne. En fin de compte, il est clair pour tout le monde que c’est bien cela qui sera l’accord définitif. Plus vite nous nous en approcherons, plus nous éviterons des nouvelles victimes, plus nous économiserons nos ressources, et plus vite nous arriverons au modèle de Moyen-Orient où nous voulons vivre.

LES NEGOCIATIONS ONT ABOUTI ENTRE VOUS ET LES REPRESENTANTS MODERES DES PALESTINIENS DONT YASSER ABED RABBO. AVEC QUELLE TENDANCE PLUS DURE DES PALESTINIENS POURRAIT-ON ELARGIR CET ACCORD ?

Sur ce point je suis parfaitement à l’aise. D’abord, on sait bien que la direction palestinienne appuie cet accord. Et quand je parle de direction, je veux parler de Yasser Arafat et du Fatah. Le groupe qui a signé avec nous, ce n’est pas seulement Yasser Abed Rabbo. C’est Kaddoura Farès, Hicham Abed Razek, Ziad Abou Ein, Mouhamad Horani, des gens qui ont grandi dans le cadre du Fatah et qui viennent de la rue palestinienne. Je pense qu’il existe aujourd’hui un groupe très fort, que nous considérons en partie comme la future direction du peuple palestinien, favorable à l’accord. Je voudrais vous rappeler que du côté israélien, la signature des accords n’est le fait que de groupes informels : il n’y a pas eu de représentants du gouvernement, pas de personnages officiels, et malgré cela ce sont quand même des officiels palestiniens qui ont signé avec nous. Dès que le gouvernement israélien prendra le chemin des negociations sur une base aussi logique que les accords de Genève , la rue palestinienne soutiendra ces accords, car les gens ont envie de vivre une vie normale.

DANS LES ACCORDS DE GENEVE, IL EST PREVU QU’UNE FORCE INTERNATIONALE VIENNE SECONDER LES FORCES PALESTINIENNES APRES LE RETRAIT DES FORCES ISRAELIENNES. DANS QUELLE MESURE CELA SERA-T-IL SUFFISANT POUR EMPECHER LES ACTES DE TERRORISME ?

Je pense que ce qui va empêcher le terrorisme ce sont les Palestiniens eux-mêmes, ainsi que Tsahal, qui restera une armée forte, préparée, et qui sera capable de défendre les Israéliens selon des positions légitimes et sur la base d’un consensus populaire et international. Nous avons quand même prévu l’introduction d’une force internationale pour veiller à l’application de l’accord. C’est une leçon d’Oslo. Dans les accords d’Oslo, les 2 parties étaient censées veiller seules au respect de l’accord, et cela n’a pas réussi. Nous voulons donc tirer les leçons de ces échecs, et c’est pourquoi nous avons attribué un rôle très important à une tierce partie, à savoir un corps extérieur, international, afin de surveiller les 2 partenaires au cours des premières annees qui suivront l’accord.

QUELLES SONT LES CRITIQUES QUE VOUS POUVEZ ADRESSER AU PLAN DE SEPARATION D’ARIEL SHARON, ET QUELS SONT LES AVANTAGES QUE VOUS Y VOYEZ ?

L’inconvénient de ce plan, tel qu’il a été entériné par le gouvernement, est le suivant : le calendrier n’est pas clair, pas claire non plus la continuité de la démarche. En revanche, il a un avantage : il fixe le principe de la fin de l’occupation et d’une action effective en ce sens. Dans un premier temps, on évacue tous les Israéliens de la bande de Gaza. C’est là son grand avantage. Bien sûr, nous aurions preféré que cela se fasse dans le cadre d’un accord et d’une négociation. Cela aurait pu être un levier pour les Palestiniens, afin qu’ils prennent la responsabilité du pouvoir a Gaza, et un levier aussi pour entamer la première phase d’un accord global. Mais je crois que c’est ce qui se passera en fin de compte, même si Sharon ne l’a pas déclaré en ces termes, et cela pour des raisons, à mon avis, de politique intérieure. C’est quand même au fond ce qu’il a dit, et c’est un pas tres important, à savoir : il y a là un chef de gouvernement
israélien qui évacue les colonies de la bande de Gaza.

COMMENT LA MAJORITE DES ISRAELIENS PEUT-ELLE POUSSER LE GOUVERNEMENT A QUITTER GAZA ?

Je crois que le gouvernement a décidé de quitter Gaza. J’ai la conviction que la majorité en Israël a exprimé son avis. Par exemple, il y a les sondages, favorables à Genève. Il y a eu le rassemblement sur la place Yitzhak Rabin à Tel-Aviv il y a 3 semaines, la place était noire de monde, 200.000 personnes, et s’il y avait eu plus de place, il y aurait eu encore plus de monde. Le gouvernement a compris que c’est ce que veut le peuple. C’est pourquoi il a fait tant d’efforts pour faire accepter sa décision de retrait, et ce ne fut pas facile. Je pense que de cette manière, nous avons montré au peuple qu’il peut influer sur ses dirigeants et à la fin, nous
aboutirons à quelque chose de très proche du modèle des accords de Genève.