Discours du Rabbin DANIEL EPSTEIN, philosophe, écrivain, enseignant, prononcé le samedi soir 15 juillet 2023 à Jérusalem

Traduction : Martine Cohen pour LPM

Date de publication : 18 août 2023


Bonne semaine, mes frères et sœurs de Jérusalem, dans notre lutte pour la démocratie et contre la dictature.

Je ne parlerai pas de morale juive, sûrement pas aujourd’hui alors qu’un tel « cirque » a lieu dans les Commissions de la Knesset, et alors qu’au nom de notre pays des actes de pogroms sont commis contre une population sans défense (Honte !). Avec ces images de troubles dans les villages arabes, de maisons incendiées et de blessés sur des brancards. Et tout cela au nom de Dieu et de sa Torah ! Je ne parlerai pas de morale juive car il n’y a qu’une morale universelle. Il n’y a pas de morale juive, comme il n’y a pas de morale française ou américaine. La morale est la même pour tout le monde, elle oblige tout le monde envers tout le monde.

Non, je veux parler de citoyenneté. Merci, merci beaucoup à tous, vous nous donnez une belle leçon de citoyenneté, pour nous et pour le monde entier. La citoyenneté a deux sens. L’un est formel : l’inscription au ministère de l’Intérieur, une carte d’identité, qui vous donne des droits de citoyenneté. Vous n’avez qu’à signer, la loi dit quels sont les droits et les devoirs de chaque citoyen.

Le deuxième sens est ce que nous faisons ici. C’est ce qui se passe aujourd’hui. La citoyenneté est une valeur, qui nous oblige, qui nous met en mouvement, qui nous fait sortir de notre maison privée vers notre maison commune à tous. C’est elle qui nous fait cesser nos affaires courantes, privées, pour une cause qui nous concerne tous, c’est une valeur qui demande un prix et cela vaut la peine de prendre des risques pour cela. Comme le disent les sages : « Lors d’une lutte pour l’existence, on sort un marié de sa chambre et une mariée de sous son dais ! ». Et vous, vous êtes sortis de la maison, vous avez interrompu vos occupations et votre repos, et vous êtes là.

Permettez-moi de citer Havel, qui était dissident en République tchèque. Le dissident est celui qui se dresse, même solitaire, contre le gouvernement tyrannique et lui rappelle ses limites. Havel a été emprisonné, et est devenu président de la République tchèque après la révolution. Il dit : La citoyenneté comme valeur, c’est le courage, l’amour de la vérité, c’est garder son esprit toujours en éveil, c’est la liberté intérieure et la responsabilité que chacun assume librement pour tous.

Nous avons une longue tradition de dissidence : Moïse contre Pharaon, Nathan contre David, les prophètes, Jérémie, Amos…

Cette valeur est universelle, infinie, sans limites de temps et de lieu, car elle est éthique, et l’éthique est infinie. C’est la religion au sens pur, universel, celle dont ont parlé nos prophètes. « N’y a-t-il pas un seul père pour nous tous« . C’est elle qui est l’esprit vivant des lois.

C’est le lieu, c’est le moment de parler du sens éthique de la contestation, au-delà de la politique. L’ordre éthique suprême, qui donne un sens à notre existence personnelle et nationale, qui nous oblige à nous opposer aux lois dont le but est de légitimer la tyrannie, le mensonge et la corruption. Ces lois qui permettent d’exacerber les injustices qui existent depuis longtemps dans le pays, et qui se produisent devant tout le monde, sans vergogne, au nom de Dieu.

La Cour Suprême est composée de personnes qui ne sont pas au-dessus de la critique. L’éthique ne les a pas toujours guidées, par exemple lorsqu’elles ont permis la démolition de maisons, l’accaparement des terres et la mise en place de deux systèmes juridiques.

Mais chacun d’entre nous a le devoir éthique de monter la garde, de protéger l’indépendance du système judiciaire et de le protéger de la tyrannie du gouvernement. Dans l’esprit des prophètes qui ont risqué leur vie pour la vérité et la justice, nous devons dire d’une voix claire : Non ! Non à la tyrannie ! Non à la corruption ! C’est là toute la Torah sur un pied. L’ordre éthique lie tout le monde. Vous ne pouvez pas être un citoyen au sens démocratique du terme si vous refusez ce droit à une seule personne. « Il n’y a qu’une seule Torah, pour le citoyen et pour l’étranger parmi vous. »

La tyrannie sépare, sème la haine et la vengeance. L’éthique unit, et le cœur de l’éthique c’est l’amour de l’homme envers l’homme. Notre protestation n’est pas seulement un acte politique, c’est notre devoir éthique.

Cette heure est une heure historique et nous ne devons pas la manquer. Nous nous sommes réveillés tard et nous ne devons pas nous rendormir. Nous ne devons pas nous endormir ni avoir peur, l’éthique seule nous donnera l’espoir, elle vaut pour l’avenir, de nos enfants et de nos petits-enfants.

Et après le « Non ! », vient le « Oui ». Oui, nous avons besoin d’une réforme, de nous-mêmes – nous sommes tenus, en tant que citoyens, de tourner notre visage vers le visage de l’autre, vers le visage de tous les autres que nous avons oublié de regarder, tous les autres qui souffrent sous notre joug cruel sur une grande partie de notre population. Et nous commençons, avec hésitation et tardivement, mais courageusement, à le faire ici. Merci beaucoup et n’abandonnez pas, il reste encore beaucoup de chemin à faire !

Par une coïncidence intéressante, je parle ce soir sur la Place de France, à l’occasion de la fête nationale de la France, alors permettez-moi de dire dans ma langue maternelle : « Liberté, Égalité, Fraternité ! », pour promouvoir la fraternité, la liberté et l’égalité.

1)Vidéo (extrait) de l’intervention le 15 juillet 2023 du Rav D. Epstein à Jérusalem ( sous-titré français)

https://www.youtube.com/watch?v=CGmT188yMK8

2) Chronique pour la paix du 25 juillet 2023
https://radioshalom.fr/podcasts/les-chroniques-pour-la-paix-175/chroniques-pour-la-paix-recoit-le-rav-epstein-rabbin-et-professeur-de-philosophie-1718