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Ha’aretz, 29 janvier 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


L’administration américaine a un excellent prétexte : il est interdit par la loi de fournir une aide à un gouvernement qui comprend des membres d’une organisation terroriste, de sorte qu’un gouvernement palestinien qui comprendrait des membres du Hamas ne bénéficierait d’aucune aide américaine.

Il s’agit d’un prétexte, parce qu’il est possible d’aider un pareil gouvernement de manière indirecte, si c’est ce que veut le donateur. L’argent peut être transféré à des ONG qui se chargeraient de régler les dettes de l’Autorité palestinienne (AP) envers Israël en payant directement des sociétés comme la Compagnie d’Electricité. En bref, tout comme le président Bush a décidé en 2003 de suspendre la loi qui interdisait un transfert direct de fonds à l’AP, il peut le faire de la même manière aujourd’hui.

Mais, après tout, le prétexte est politique, et la menace de mettre fin à l’aide était destinée à bloquer une victoire du Hamas. Alors, que faire, maintenant que le Hamas est là?

La réponse est à trouver dans un rapport de décembre dernier de la Banque mondiale qui analyse la situation économique et financière de l’AP. Ainsi, par exemple, l’AP a un déficit mensuel de 57 millions de $, et compte tenu des ajustements nécessaires dus à la hausse des salaires, ce déficit devrait atteindre 900 millions de $ pour l’année 2006. Les recettes couvrent à peine le montant des salaires des fonctionnaires de l’AP, et rien ne reste pour le développement ou les infrastructures. Le taux de chômage est de 24%, mais pour les 20-24 ans, il atteint les 44%, ce qui correspond au pourcentage de la population qui se trouve sous le seuil de pauvreté. Ces données, dans leur sécheresse, sont devenues l’une des raisons qui expliquent la montée du Hamas.

Et voilà le cercle vicieux : sans les Américains et d’autres aides étrangères, le Hamas ne fera que se renforcer, l’espoir en une vie meilleure sous un gouvernement démocratiquement élu s’évanouira, et les investissements consentis par le gouvernement américain (quelque 40 millions de $) dans des projets de promotion de la démocratie seront passés par pertes et profits. Avec l’aide américaine, et aussi avec les 250 millions d’euros annuels de l’Union européenne qui doivent doubler l’année prochaine, la nouvelle AP pourrait regagner la confiance de l’opinion à l’égard de ses institutions et très certainement y instiller l’idée que des processus démocratiques, comme des élections, peuvent produire des changements dans son niveau de vie.

La menace économique sur le système politique ne doit pas dépendre de l’identité des fonctionnaires de l’AP. L’administration américaine a déjà manqué l’occasion de provoquer un changement politique en Palestine par des moyens économiques. Des sanctions économiques aujourd’hui signifieraient une nouvelle punition, ce ne serait pas une politique. Mais même si les Américains veulent avoir recours à de pareilles sanctions, il est difficile de comprendre pourquoi ils menacent le nouveau gouvernement de l’AP et pas le gouvernement libanais, qui compte des ministres du Hezbollah, lui aussi défini comme organisation terroriste. Autres questions intéressantes : les Etats-Unis vont-ils exiger du bloc européen qu’il bloque son aide annuelle à l’AP? Vont-ils faire pression sur les Etats arabes, dont l’aide ne constitue que 18% de l’aide totale aux Palestiniens, pour qu’ils cessent leur aide, alors que viennent d’avoir lieu des élections démocratiques?

Aujourd’hui, alors qu’il devient clair que le Hamas formera le nouveau gouvernement palestinien, il en est en Israël qui jouent avec l’idée de sanctions, non seulement pour empêcher une aide directe, mais aussi pour ne pas verser à l’AP l’argent qui lui revient des droits de douane et de la TVA [[Le gouvernement israélien annoncé aujourd’hui (29/1)qu’il avait pris la décision de suspendre le versement à l’AP de la TVA du mois de janvier]]. Quoi de plus logique que d’empêcher ces sommes de parvenir à une organisation terroriste, de punir les vainqueurs et avec eux les centaines de milliers de Palestiniens qui ont voté pour eux? Imaginez la satisfaction qui pourrait résulter d’un pareil acte vindicatif : « si vous avez voté Hamas, vous ne mangerez pas ». Une réponse toute occidentale à ceux qui professent une idéologie islamiste extrémiste. Mais cette organisation va maintenant constituer le gouvernement palestinien, qui devra s’occuper de ses citoyens, leur trouver du travail, réparer les écoles et, de façon générale, faire tout ce que l’AP n’a pas su faire, ce qui a amené le Hamas au pouvoir. Il est très facile de ne se focaliser que sur l’idéologie extrémiste du Hamas et en faire l’alpha et l’oméga. Mais le Hamas a aujourd’hui un Etat et un conflit à gérer. Sans aide économique, il lui restera le conflit, et cela, le passé l’a prouvé : le Hamas sait faire.