« Conflit israélo-palestinien et antisémitisme » Rencontre-débat organisé le 10 décembre 2019 à la Mairie du 11ème par La Paix Maintenant entre Bernard Ravenel et Denis Charbit.

Compte-rendu validé par les intervenants, établi par Martine Cohen, Muriel Lutz, Michèle Fellous, Alain Rozenkier

Mis en ligne le 17 janvier 2020


Après la présentation de la soirée par Michèle FELLOUS, Bernard RAVENEL puis Denis CHARBIT ont pris successivement la parole.


 

Bernard Ravenel est parti de son expérience de militant au sein de l’Association France Palestine Solidarité qu’il a fondée en 2001 à partir d’autres associations existantes. Pendant 8 ans, il en a été le dirigeant et pendant 10 ans il a dirigé la plate-forme des ONG de soutien à la Palestine. Il s’est vite confronté à la question de l’antisémitisme, lorsqu’un nouveau groupe a publié un article reprenant des poncifs antisémites. Ce groupe a été immédiatement exclu par le bureau unanime. Par ailleurs, la réaction a été immédiate lorsque des slogans antisémites ou révisionnistes (Soral, militants pro-iraniens) sont apparus lors de manifestations : ceux qui les proféraient ont été marginalisés. Le service d’ordre lors des manifestations a été renforcé. De même que la réaction d’opposition à la candidature de Dieudonné aux élections européennes en 2009 a été nette et unanime.

Quel bilan dresser à présent de cette action : a-t-elle été efficace et suffisante ? C’est un bilan en mi-teinte : ces groupes ont été réactifs, mais pris par leur engagement, ils n’en n’ont pas fait assez. Il aurait fallu mieux s’appliquer à déconstruire l’antisémitisme, analyser et différencier l’antisémitisme chrétien et l’antisémitisme musulman. Aujourd’hui, cette interrogation est cruciale vis-à-vis des jeunes de banlieue très influencés par les propos de Dieudonné. De ce point de vue, un groupe local, celui de Rennes, a réalisé un travail de sensibilisation parmi ces derniers. L’école ne donne pas d’outils suffisants pour combattre cette haine, ni dans les connaissances ni dans l’approche spécifique que la confrontation à ces postures nécessite. Ce questionnement vaut pour les militants eux-mêmes.

La question est capitale pour l’avenir des Israéliens comme des Palestiniens ; c’est un conflit d’histoire ou plutôt de mémoire mais aussi de valeurs ; chaque camp se doit de reconnaître et accepter la souffrance de l’autre (comme l’a d’ailleurs dit le grand intellectuel palestinien, Edward Saïd). La particularité du problème des Palestiniens est d’être victimes de victimes. La déconstruction de ce processus nécessite un grand travail des deux côtés.

Denis Charbit se félicite de participer à cette rencontre, car, bien qu’étant en situation d’extériorité, il fait partie des sionistes de gauche qui se désolent du fait que, depuis les années 2000, les mouvements de paix israéliens et palestiniens, qui partagent pourtant une même revendication sur la fin de l’occupation et la création d’un Etat palestinien, ne dialoguent plus entre eux. Quatre éléments justifient cette crise :

1) La crise du nationalisme juif en Israël : malgré l’apparence de puissance politique et de vie prospère, on perçoit, au niveau intérieur, un effondrement qui suscite une panique.

2) La crise du nationalisme palestinien : la division entre le Fatah et le Hamas est fatale à la perspective de faire contrepoids à la puissance israélienne.

3) La crise qui sévit au sein des communautés juive et musulmane. Le malaise juif s’enracine dans les attentats des années 2000 : face à la résurgence du constat que l’on meurt en France parce qu’on est juif, il y a eu une « alya » des Juifs : « alya intérieure » qui les a menés à quitter leur lieu de résidence habituel, ou « alya extérieure » qui les a conduits à émigrer en Israël.

4) Le malaise arabo-musulman face à l’islamophobie lorsque les musulmans dans leur ensemble sont assimilés à une radicalité violente.

Il est grand temps de se parler pour opposer à ces faits des éléments plus constructifs. Si l’on peut se réjouir qu’il n’existe plus en France d’antisémitisme d’Etat, un antisémitisme sévit à droite comme à gauche. A l’extrême-droite, le vieil antisémitisme reste bien présent. A l’extrême-gauche, un glissement s’opère de la critique légitime de l’occupation vers une remise en cause de la légitimité de l’Etat d’Israël, voire de son existence, ce qui est le noyau dur de l’antisionisme, si bien que le deux peuvent se recouper.
Il convient de faire la différence entre un antisémitisme de verbe et de plume et un antisémitisme qui se manifeste par une agression. Cette distinction entre discours et acte vaut pour l’antisionisme aussi. Le problème est bien le passage à l’acte. Par exemple, on trouve des tags à l’université où il est écrit « Mort à Israël », mais ce qui fait problème, c’est que ce tag soit tracé non aux abords de l’ambassade d’Israël, mais à l’entrée du local des Etudiants Juifs de France ou sur les murs d’une synagogue.

Ceux qui se disent antisionistes devraient être les premiers à lutter pour que les Juifs se sentent à l’aise en France… et ne partent pas en Israël. Or, en jouant sur une ambiguïté, à savoir qu’ils ne font qu’exprimer une opinion, ils poussent les Juifs vers Israël.

Denis Charbit approuve dans son ensemble la définition de l’antisémitisme adoptée par l’IHRA*, sauf lorsqu’elle stipule que l’on ne saurait la critiquer au même titre qu’un Etat démocratique. Or, si Israël est incontestablement un Etat démocratique, il n’en reste pas moins « une démocratie pas comme les autres », car il occupe un autre peuple. Il faut se méfier de la tendance à parler des Juifs en bloc, et côté juif, à traiter d’antisémite quiconque critique Israël. Brandir cette accusation, c’est barrer la possibilité de débattre. Il est essentiel de faire la distinction entre « être israélien » qui est une citoyenneté, et être juif: Israël est bien la première communauté juive du monde, mais Arabes (chrétiens et musulmans), Druzes sont Israéliens.

Il existe un grand nombre de différences entre antisémitisme et antisionisme. Avant l’antisémitisme, il n’y avait rien : il n’est pas né du « sémitisme » ; c’est un discours de haine sui generis. L’antisionisme est une identification politique qui se définit par la négativité, mais pour qu’il y ait antisionisme, il faut au préalable qu’il y ait sionisme. L’antisionisme postule l’illégitimité d’Israël et donc préconise sa destruction. Une clarification s’impose pour les organisations d’extrême-gauche : approuvent-elles la fin de l’occupation ou souhaitent-elles la destruction d’Israël ?
Pour finir, un paradoxe pousse à la réflexion : il existe des Etats qui, dans leur histoire, ont commis des crimes sans pareil, l’Allemagne en particulier. Pourquoi revendiquer sa disparition n’a jamais effleuré l’esprit ? Pourquoi la question est-elle posée uniquement à propos d’Israël ?

Discussion

Antisionisme, nationalisme : Bernard Ravenel s’est déclaré « antisioniste » car il condamne une caractéristique du sionisme comme étant un nationalisme exclusiviste de même qu’il condamne le nationalisme arabe qui refuse d’accorder les mêmes droits aux autres qu’eux-mêmes. La transformation de l’Etat d’Israël est nécessaire pour les Israéliens comme pour les Palestiniens : après l’échec des nationalismes, du communisme et de l’islamisme, une forme d’internationalisme est en train d’émerger dans la région ; c’est un projet d’émancipation globale critique vis-à-vis du nationalisme arabe exclusif. Ce mouvement historique, porté par les sociétés civiles (on le voit s’exprimer également au Liban, en Algérie…) est pacifique, et nous devons le soutenir, comme la résistance non-violente palestinienne.

Sionisme : pour Denis Charbit, la question sous-jacente au conflit est celle de la légitimité pour les Juifs d’avoir droit à une terre, d’être reconnus comme sujet politique. En ce sens, l’antisionisme est vécu comme le refus de réhabiliter la dignité d’une collectivité persécutée tout au long de l’histoire. Lui-même (D.C.) distingue entre antisionisme et post-sionisme. Dans ce dernier cas, le sionisme est une étape dans le processus suivi par les nationalismes : à leurs débuts, ils se fondent sur l’irréductibilité entre « nous » et « eux », puis progressivement ils se « républicanisent ». Le débat et la controverse en Israël portent sur le type d’Etat de droit souhaité.

BDS : Bernard Ravenel a précisé que la volonté d’un boycott d’Israël est apparue en 2005 à Bruxelles lorsque la coordination européenne a reçu l’initiative palestinienne d’une campagne BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanction). L’Association France Palestine Solidarité avait déjà appelé dès 2002, au cours d’un meeting à la Mutualité, à un boycott portant exclusivement sur les produits des colonies, projet soutenu d’ailleurs par le mouvement israélien d’Uri Avnéri, Gush Shalom et maintenant par Elie Barnavi… Pour Denis Charbit, un boycott généralisé génère une ambiguïté qui dessert la gauche : qu’est-ce qui est alors visé, l’existence d’Israël ou sa politique d’occupation ? Une clarification s’impose qui rassurerait la communauté juive.

Antisémitisme/racismes. Faut-il différencier l’antisémitisme des autres racismes ? Denis Charbit voit dans cette interrogation la difficulté pour l’universalisme républicain de reconnaître des différenciations. C’est une hantise à dépasser. Les revendications des diverses minorités (arabo-musulmanes, juives…) ont une spécificité qui ne nuit pas à la pensée de l’ensemble.

Quelques réflexions et suggestions des participants
Certains n’ont pas perçu que la discussion portait sur l’articulation entre conflit I/P et antisémitisme en France et ne se sont intéressés qu’au conflit (à sa nécessaire résolution). D’autres ont été plus sensibles à ses retombées en France et ont apprécié que des «considérations paradoxales» (du type «Si les manifestants pro-palestiniens criaient ‘Mort aux Juifs d’Israël’») permettent de s’interroger sur les slogans réellement prononcés.
Tout en notant le fait d’un « accord de base entre les intervenants », l’un pense que « ce type de débat entre des gens ayant des positions et des appartenances diversifiées est tout-à-fait intéressant et mériterait d’être renouvelé » alors qu’un autre conclut : « je m’interroge sur l’intérêt qu’il y a à rechercher des points de dialogue entre les marges du mouvement propalestinien et les représentants en Europe du camp de la paix israélien ».
Un souhait : « Plus de discussions autour de BDS ». Enfin deux idées retenues de ces échanges : 1/ La vigilance vis-à-vis de l’antisémitisme doit être sans cesse rappelée et mise en œuvre plus efficacement ; 2/ Il faut clarifier la multiplicité des sens donnés au mot sionisme, ainsi que l’articulation entre racisme et antisémitisme. Et un autre souhait : la poursuite des échanges avec la LDH.

*L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) rassemble des gouvernements et des experts dans le but de renforcer et de promouvoir l’éducation, le travail de mémoire et la recherche sur l’Holocauste et de mettre en œuvre les engagements de la déclaration de Stockholm de 2000. La définition opérationnelle de l’antisémitisme, non contraignante, a été adoptée par les 31 États membres de l’IHRA le 26 mai 2016 : «L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte