Elie BARNAVI : « La divine surprise est l’étonnante mobilisation de la société civile face aux extrémistes du pouvoir. »

Dans le cadre de Chroniques pour la paix, émission bimensuelle sur Radio Shalom parrainée par La Paix Maintenant et JCall, Paul Ouzi MEYERSON s’entretient avec Élie BARNAVI des différents scénarios possibles à la rentrée, en Israël, alors que les activités politiques repartent avec la reprise des travaux parlementaires et l’adoption possible de multiples projets de lois attentatoires à la démocratie. En outre, la Cour Suprême va se prononcer sur plusieurs saisines, dont celle portant sur l’abolition de la « clause de raisonnabilité ».
Face aux fortes tensions politiques et sécuritaires à l’intérieur du pays, en Cisjordanie aussi et sur la frontière nord avec le Hezbollah en embuscade, à quoi peut-on s’attendre? Reprise des manifestations de masse? Recherche d’un consensus national? Éclatement de la coalition gouvernemental? Accélération de l’Intifada rampante dans les territoires occupés?

Élie BARNAVI, ancien ambassadeur d’Israël en France, universitaire, historien et écrivain, est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Histoire moderne d’Israël » et « Histoire universelle des Juifs ». Il est le directeur scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles.


https://radioshalom.fr/podcasts/les-chroniques-pour-la-paix-175/elie-barnavi-plus-rien-ne-sera-comme-avant-en-israel-1741

 


 

Note de la Rédaction : Nous publions ci-dessous un extrait de l’article d’Élie BARNAVI, « Le temps des zélotes », publié le 6/9/2023 par la revue « Regards » du Centre Communautaire Laïc Juif (Bruxelles). ( https://cclj.be/le-temps-des-zelotes/) Il y reprend l’essentiel des idées développées lors de son entretien à « Chroniques pour la paix ».

« … Mais pourquoi, dira-t-on, un gouvernement issu d’élections démocratiques n’aurait-il pas le droit de réaliser le programme sur lequel il a été élu ? D’abord, parce que rien dans son programme n’annonçait la couleur et qu’une forte majorité d’Israéliens, y compris parmi ceux qui ont porté cette coalition aux affaires, n’en veut pas. Mais surtout, parce que, sous tous les cieux démocratiques, des changements constitutionnels ne sont légitimes qu’au terme d’un processus législatif long et compliqué, apte à véritablement exprimer la volonté populaire. En France, par exemple, il y faut un texte identique voté par l’Assemblée nationale et le Sénat, après quoi les deux chambres réunies en parlement à Versailles sont appelées à le ratifier. Aux États-Unis, pour amender la Constitution, il faut l’approbation des deux tiers des deux Chambres ainsi que les trois quarts des législatures des États de l’Union. En Israël, les lois dites « fondamentales » ont le même statut que les lois simples et sont amendables à une voix de majorité.

Cette crise de régime est aussi une crise socioculturelle, voulue et attisée par Netanyahou est ses acolytes. Disons, pour simplifier, qu’elle met face à face les classes moyennes et supérieures, et le bloc disparate des partisans du Premier ministre – le noyau dur des «bibistes», qui ont noyauté le Likoud ; les ultra-orthodoxes ; et les sionistes religieux. Chacun de ces segments soutient le coup judiciaire au nom de ses intérêts propres : les premiers par fidélité au chef et haine des «élites», les seconds pour bétonner leur autonomie au sein de la société, notamment en exemptant une fois pour toutes leur progéniture du service militaire, et les derniers pour assurer leur emprise sur la «Judée-Samarie». Cependant, le judiciaire n’est qu’un aspect de la crise. C’est l’ensemble de la civilisation démocratique libérale qui se trouve dans le collimateur. On entend ici dans les corridors du pouvoir des propos sur les femmes, les Arabes, les minorités sexuelles, qui, en Europe, vaudraient à leurs auteurs de se voir traîner devant les tribunaux. Et la place me manque pour rendre compte des mesures législatives ou administratives racistes qui se suivent à jet continu.

 

  Manifestation à Tel-Aviv pour soutenir la Cour Suprême le samedi 9 septembre 2023

C’est, enfin, une crise économique, sécuritaire et diplomatique. Le shekel s’effondre, les capitaux s’expatrient, 80% des start-ups créées ces derniers mois dans les hautes technologies, la fierté du pays et son moteur économique, se sont enregistrées aux États-Unis, la fuite des cerveaux s’accélère. Une caricature récente résume la situation : dans un avion d’El Al, une hôtesse demande s’il y a un médecin à bord ; tout le monde lève la main. Par milliers, les réservistes volontaires dans des unités d’élites – pilotes, officiers des commandos et des renseignements, haut-gradés des services – annoncent qu’ils refuseront dorénavant d’obéir à un gouvernement qui a rompu le contrat qui le liait à ses citoyens. Les ennemis d’Israël se frottent les mains. Les généraux, affolés, supplient Netanyahou de les entendre, celui-ci se bouche les oreilles et ses alliés les couvrent publiquement d’injures. Les relations avec les Américains, dont notre sécurité dépend, sont au plus bas. Fait sans précédent, le Premier ministre est persona non grata à la Maison Blanche et des voix s’élèvent au sein du Parti démocrate pour une «réévaluation» des relations avec Israël. En l’espace de huit mois, un pays puissant, prospère, respecté dans le monde et en bonne voie d’insertion dans son environnement, est en train de devenir méconnaissable, et son gouvernement, un ramassis de parias internationaux.

La divine surprise est l’étonnante réaction de la société civile. Huit mois durant, semaine après semaine, jour après jour désormais, du nord au sud du pays, des dizaines de milliers d’Israéliens hurlent à l’unisson leur rejet du coup d’État judiciaire d’un gouvernement de voyous qui a déclaré la guerre aux forces vives de son propre peuple. Si tous ne comprennent pas les subtilités juridiques de la «réforme», tous sentent au plus profond d’eux-mêmes qu’on entend les priver de leurs libertés… »