(Trad : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant)


Persévère, ô Cesar. La mort nous guette à chaque instant, mais toi, notre
maître, persévère. Ne laisse pas nos vies et nos morts misérables se mettre
en travers de ton chemin. Tu as un plan. Nous en sommes sûrs. Et pour cette
raison, nous sommes persuadés que tout ce que nous voyons autour de nous
n’est que le prélude d’un futur radieux, une idée brillante qui, d’un seul
coup, changera la face des choses

Tu sais, notre air désespéré n’est qu’une façade. Nous n’avons pas vraiment
le sentiment d’être des morts-vivants. Nous croyons à tes promesses de paix,
ô Cesar. Nous la sentons venir à grands pas ailés. Tu forceras nos ennemis à
nous aimer, quoi que nous leur fassions. Tu te débarrasseras de leur chef,
et à sa place, tu installeras quelqu’un de plus soumis et de plus obéissant. Et alors, en un clin d’oeil, le coeur de nos ennemis se remplira d’amour pour nous. Ils nous pardonneront toutes nos mauvaises actions, et même, ils les justifieront, et ils reconnaîtront qu’elles étaient fondées.

Seulement, Cesar, pourrais-tu s’il te plait te dépêcher un peu? Ce n’est pas
que nous nous plaignions, à Dieu ne plaise. Nous n’avons aucun doute sur ta
capacité à réinventer la nature humaine, et nous savons que tu es l’homme qui saura façonner notre ennemi, et l’amener à accepter ce que nous lui offrirons, et même à accepter ton refus total de lui donner quoi que ce soit. Ce n’est pas parce que personne, quelle que soit sa puissance, n’a jamais réussi a perpétuer une telle occupation, dans de telles conditions, que c’est une loi de la nature. Nous pouvons être les premiers! Pourquoi pas? Seulement, nous t’en supplions, il faudrait que tu bouges. Parce que, comment dire? Il ne restera bientôt plus personne. Ni soldats, ni civils.

Cesar, les temps sont un peu durs, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, mais tu l’as remarqué, bien sûr. Tu es fort, bien plus fort que nous, il n’y a pas de doute. Nous sommes faibles et pusillanimes, que pouvons-nous y faire? C’est pour cela que nous avons besoin de toi, pour nous conduire avec ta puissance et ton armée, l’une des armées les plus fortes du monde, vers un avenir nouveau, le « temps des représailles », comme on pourrait l’appeler (comme nous le faisions dans les années 50). Ce sera un avenir où chaque fois qu’un fedayin nous frappera, nous frapperons en retour! Ils nous frappent ici? Nous les frapperons là. Ils se font exploser dans les rues? Nous enverrons à leur peuple des bombardiers. Quel déluge, et quelle idée géniale! Ca, c’est ce qu’on peut appeler exploiter sa force à plein!

C’est vrai, parfois, l’ombre d’un doute s’insinue dans nos pensées délétères, sur les différentes définitions du courage et de la lâcheté, de la foi et du défaitisme. Il arrive qu’un petit démon anti-patriotique nous chuchote à l’oreille que peut-être, le pire genre de défaitisme serait notre glissade lente et quasi-hypnotique vers l’apathie et l’oubli, sans même essayer de nous tirer de là. Quelquefois, des langues bien pendues ont le culot d’insinuer qu’avec les cartes terrifiantes que nous avons en main, le désespoir, le comportement barbare des terroristes palestiniens, les colonies, l’impossible Monsieur Arafat, nous pourrions, d’une facon ou d’une autre, mieux jouer. En utilisant mieux les opportunités pour briser la glace et parvenir a un compromis. En essayant d’être intelligents, et pas seulement d’avoir raison. En faisant quelque chose pour changer la situation de facon radicale, avec à la manoeuvre un homme politique hardi, magnanime
et clairvoyant.

Mais, évidemment, pour répondre à cela, nous avons un argument irréfutable :
nous avons deja essayé! Nous leur avons tout offert, et pour toute réponse, ils nous ont rejetés et trahis! Plus jamais ça! Nous ne répéterons jamais cette erreur fatale. Nous regarderons toujours plus loin, en adoptant la tactique et la stratégie qui nous ont tant réussi, en nous menant là ou nous sommes aujourd’hui.

Et ainsi, ô Cesar, continue à te battre jusqu’à notre derniere goutte de sang. L’important est que l’ennemi saigne, lui aussi. A l’unisson, nous déclarons : « Mourons avec les Philistins ». Ca leur apprendra.

Parfois, il faut le dire, nous nous y perdons un peu. Pardonne-nous. Quand nous entendons certains de tes ministres exiger de l’armée qu’elle frappe encore plus fort, de réoccuper les territoires, d’envoyer en exil quatre millions de Palestiniens, nous commençons à nous demander si ton plan est si intelligent et sophistiqué que cela, et s’il a vraiment des réponses à l’apocalypse qui se produirait si ces idées etaient appliquées. Nous commençons à nous demander si, au nom de nos objectifs, tu n’as pas pris la décision stratégique de déplacer le champ de bataille, non chez l’ennemi comme il est d’usage, mais vers un domaine ou règne l’absurdité la plus totale, celui de l’auto-anéantissement, où nous n’obtiendrions rien, ni eux non plus. Un gros et gras zéro.

Mais ce ne sont que vétilles et pensées passagères. Tes loyaux sujets n’ont aucun doute sur ta sagesse et ta vision. Tres bientôt, il apparaîtra à tous qu’il y avait une raison profonde pour vivre de cette façon absurde, pendant des années, et pour accepter de ‘suspendre notre incrédulité », comme au théâtre, en attendant que l’intrigue se dénoue et que le secret se révèle. Pour cette même raison inconnue, nous avons permis la déstabilisation de notre démocratie, de notre économie, de notre securité, et de notre croyance en une possibilité d’avoir, ici, un avenir supportable.

D’une façon ou d’une autre, quand, finalement, nous seront révélées ces raisons, qui pour le moment sont au-delà de notre entendement, nous comprendrons pourquoi il nous a fallu vivre des dizaines d’années dans un monde parallèle à celui dans lequel nous devions vivre, et pourquoi nous avons dû accepter de vivre notre vie, la seule que nous ayons, dans une sorte de mort latente. Jusque là, nous continuerons à te soutenir de tout notre coeur. Nous qui allons mourir, par dizaines, par centaines, par milliers, nous te saluons. Ave Cesar!