« L’un des aspects les plus difficiles de notre identité collective à expliquer aux non-Juifs est qu’être Juif, c’est davantage qu’être membre d’une communauté religieuse. »


Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Arabe israélienne s’apprêtant à déposer son bulletin, bureau de vote d’Umm el-Fahm, le 17 mars 2015. ©: AMMAR AWAD/REUTERS)

Auteur : Gershon Baskin pour The Jerusalem Post, le 2 octobre 2019


S’agissant de la formation d’un gouvernement en Israël, les négociations ont porté sur ce point précis : faut-il inclure uniquement les partis politiques qui tiennent Israël pour un État juif et démocratique. Telle est la définition communément admise des deux caractéristiques les plus fondamentales de l’État d’Israël. Mais qu’est-ce que cela signifie réellement ? Qu’est-ce qui fait d’Israël un État juif ? Qu’est-ce qui fait d’Israël un État démocratique ? Y a-t-il une contradiction entre ces deux piliers d’Israël ? Israël peut-il être à la fois juif et démocratique ?

Pour ma part, j’ai essayé d’éviter de qualifier Israël d’État juif. Nommer Israël État juif, je pense, se référerait principalement à l’aspect religieux du judaïsme. Israël n’est pas (encore) une théocratie, c’est un État civil. Telle était, du moins, l’intention de ses fondateurs. Généralement, je parle plutôt d’Israël comme de l’État-nation du peuple juif.

L’un des aspects les plus difficiles de notre identité collective à expliquer aux non-juifs est qu’être juif, c’est davantage qu’être membre d’une communauté religieuse. Être juif, c’est faire partie d’un peuple, d’une civilisation, d’une histoire – et sentir qu’on partage des milliers d’années d’histoire commune ainsi que la vision d’un avenir commun. Ce sont là les éléments essentiels de l’identité nationale. En ce sens, le sionisme est le mouvement de libération nationale du peuple juif qui affirme son droit à l’autodétermination dans sa patrie ancestrale. Comme l’ancien ministre des Affaires étrangères Abba Eban l’a déclaré devant les Nations Unies, « le sionisme n’est rien de plus – mais aussi rien de moins – que le sentiment d’origine et de destination du peuple juif dans ce pays lié éternellement à son nom ».

Définir Israël comme un État juif ouvre le débat sur ce qu’est le judaïsme, qui est Juif et ce qui, concernant l’Etat, est juif ou devrait l’être. Le premier Premier ministre d’Israël, David Ben Gourion, considérait que l’élément déterminant le plus important pour assurer la judéité de l’État consisterait en une majorité significative de Juifs comme citoyens. Il ne voyait pas l' »Etat juif » défini par son identité religieuse. Il a écrit : « Maintenant que nous sommes en train de fonder notre État, nous devons nous souvenir que ce ne sera pas un État juif, ce sera un État de tous ses citoyens – ce sera un État juif pour y faire son alya et s’y établir. Au sein de l’État, tous ses citoyens sont égaux. Nous ne pouvons pas avoir une constitution qui empêcherait un Arabe d’être président. »

Ce sentiment semble indiquer qu’il aurait dû y avoir, dès le début, une séparation de la religion et de l’État. Il ne devrait pas y avoir de Grand Rabbinat officiel, de Grands Rabbins, ni de lois religieuses d’Etat réglementant les questions relatives au statut personnel. Israël est le seul pays démocratique au monde où les rabbins réformistes et conservateurs n’ont pas la capacité légale de fonctionner pleinement comme rabbins. Où est la démocratie s’il y a discrimination entre des Juifs et d’autres Juifs?

Israël doit également être l’État de tous ses citoyens. Comment se fait-il que Mohammed, Ahmed, Samira ou Huriya – nés à Sakhnin en Galilée de familles qui y vivent depuis des centaines d’années – soient moins israéliens que Dima, Boris, Nadia ou Tatiana – qui sont venus de l’ex-Union soviétique dans les années 1990 ?

NOUS N’AVONS PAS une loi qui définit Israël comme l’État de tous ses citoyens ; nous avons une loi qui définit Israël comme l’État-nation du peuple juif. Nous avons aussi la Loi fondamentale : Dignité et Liberté humaines, qui déclare que « cette loi stipule que les droits fondamentaux de l’être humain en Israël sont fondés sur la reconnaissance de la valeur de l’humanité, du caractère sacré de la vie et de la liberté. Le but de la loi est d’ancrer dans la Loi fondamentale les valeurs de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif et démocratique. »

S’il n’y avait pas de discrimination entre Juifs et non-Juifs dans les lois israéliennes, il serait possible d’accepter la multitude de lois qui permettent à Israël de se définir sans contradiction comme Etat juif et démocratique. Mais ce n’est pas le cas. Il existe des dizaines de lois et de règlements, et encore plus de mesures, qui établissent une discrimination entre Juifs et Arabes. Et il n’y a presque aucun aspect de la vie publique en Israël où ses citoyens arabes ne sont pas des citoyens de deuxième ou de troisième classe.

Pour défendre la position d’Israël contre la résolution de l’ONU, adoptée par l’Assemblée générale en 1975, assimilant sionisme et racisme, l’ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU Chaïm Herzog  a déclaré : « En Israël, nous nous sommes efforcés de créer une société qui tâche d’appliquer les idéaux les plus élevés de la société – politiques, sociaux et culturels – à tous les habitants d’Israël, sans distinction de croyance religieuse, de race ou de sexe. Montrez-moi une autre société pluraliste dans ce monde où, malgré tous les problèmes difficiles, le Juif et l’Arabe vivent ensemble dans une telle harmonie ; où la dignité et les droits de l’homme sont respectés devant la loi ; où la peine de mort n’est pas appliquée ; où la liberté de parole, de mouvement, de pensée, d’expression est garantie ; où même les mouvements opposés à nos objectifs nationaux sont représentés dans notre parlement. »

C’était peut-être vrai en 1975 (ce n’était même pas le cas à l’époque), mais malheureusement, bien que cela puisse encore résonner au sein de notre ethos national ou de notre sentiment d’identité, les citoyens arabes d’Israël ont été délégitimisés, marginalisés et discriminés systématiquement depuis la naissance de l’État, surtout au cours des dernières années des mandats du Premier Ministre Benjamin Netanyahu. Les dirigeants des citoyens arabes d’Israël se lèvent maintenant et exigent d’être pris en compte. L’augmentation de la participation des électeurs arabes est un bon signe de changement positif.

Il nous incombe maintenant de redéfinir Israël en tant qu’État-nation du peuple juif et de tous ses citoyens. Pour qu’Israël soit un État démocratique, il est impératif d’adopter une loi fondamentale promettant l’égalité réelle pour tous les citoyens d’Israël dans l’esprit de notre Déclaration d’indépendance, et d’annuler la loi de l’État-nation. Et il est essentiel de garantir la pleine liberté de religion et l’absence de religion dans l’État d’Israël. Ce faisant, nous aurons beaucoup moins de contradictions quant à notre identité. Bien sûr, tant que nous continuerons d’occuper le peuple palestinien dans les implantations et de lui refuser le droit à l’autodétermination, nous ne serons pas vraiment en mesure de nous référer à notre État comme État démocratique.