Jerusalem Post, 19 mai 2008

sur le site du JPost

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


De nouveau, on sonne le clairon. Les festivités du Jour de l’Indépendance d’Israël sont derrière nous. Comme le « show Shimon Peres » qui a amené ici les dirigeants des communautés juives dans le monde et des dizaines de chefs d’Etat. Le président Bush et son entourage sont partis. Olmert et son gouvernement sont maintenant libres de se pencher sur les tirs continus de roquettes depuis Gaza (cela, bien sûr, entre les diverses enquêtes pour corruption).

Le missile Grad qui a touché le centre commercial d’Ashkelon au moment même où Bush et Olmert étaient réunis n’a fait que confirmer la confiance inébranlable affichée par le président américain : « On ne parle pas avec des terroristes. » Il serait intéressant de savoir à quoi pensait Olmert à ce moment précis. Il était parfaitement au courant des négociations qui avaient lieu avec le Hamas par l’intermédiaire de l’Egypte, malgré la réponse négative que lui-même, Ehoud Barak et Tzipi Livni avaient donnée à Omar Suleiman, chef des services secrets égyptiens, à la proposition d’accord que l’Egypte avait négociée avec le Hamas et d’autres groupes à Gaza : cessez-le-feu et réouverture du passage frontalier de Rafah pour les personnes et les marchandises. On peut facilement supposer que Bush a donné son feu vert à Israël pour le lancement d’une grande offensive terrestre dans Gaza (après son départ, bien sûr). Israël a besoin du consentement américain pour utiliser des armes américaines qui tueront des Palestiniens à Gaza, y compris des non-combattants innocents qui auront l’infortune de se trouver dans la ligne de tir.

Bush pense, semble-t-il, qu’Israël ne peut réussir à négocier la création d’un Etat palestinien (selon sa « vision » et son calendrier) sans d’abord parvenir à un changement de régime à Gaza. Bien entendu, Bush fournit à Olmert, Livni et Barak l’exemple de l’Irak pour leur montrer comment procéder. S’il s’est débarrassé de Saddam Hussein et de sa bande d’assassins à Bagdad, pourquoi Israël ne peut-il pas en faire autant (doit-il penser en lui-même) ? Dans la conception du monde de Bush, tout est très simple. Israël a les plus gros calibres, alors pourquoi ne pas s’en servir ? Bien sûr, les habitants de Gaza accueilleront les forces israéliennes avec du sucre et du riz, comme l’ont fait les chiites au Sud Liban en 1982. Bon, à Gaza, on manque un peu de sucre et de riz en ce moment, mais peu importe, ils trouveront bien autre chose à jeter. Il n’a fallu qu’un an pour que les chiites du Liban commencent à se faire exploser contre l’armée israélienne. Y a-t-il quelqu’un pour croire que les Palestiniens de Gaza attendront un an avant de faire la même chose à une armée israélienne venue les « libérer » du Hamas ?

OK, Bush n’habite pas la région et il ne la comprend pas. Il se peut que sa mentalité de cow-boy texan trouve un certain écho auprès de certains « grands » esprits de l’appareil de sécurité, mais on pourrait s’attendre à ce que les militaires sur le terrain fassent preuve d’une certaine compréhension des réalités locales. Eh bien non. Les voix les plus fortes en faveur du plan à la cowboy émanent des militaires. Rappelez-nous quand, pour la dernière fois, Israël a résolu un problème avec les Arabes par la force ? Notre usage de la force a contribué à créer le Hezbollah et le Hamas. N’oublions pas non plus que le refus par Israël de s’accorder ou même de coordonner le retrait de Gaza avec Mahmoud Abbas a permis au Hamas de crier victoire pour avoir jeté Israël hors de Gaza à coups de pied. La même chose vaut pour le Hezbollah au Sud Liban.

Comme, semble-t-il, les négociations avec le Hamas se poursuivent par l’Intermédiaire d’Omar Suleiman, on peut supposer que le refus du plan égyptien opposé par Israël ne revient pas à fermer complètement la porte à un accord de cessez-le-feu. Il semble plutôt qu’il ne s’agisse que d’une étape dans la négociation. Israël essaie de parvenir à un meilleur accord. Il aurait d’ailleurs dû être très clair aux Egyptiens que le fait d’exclure le sort du soldat Gilad Shalit de l’accord le rendait quasiment impossible à accepter pour Olmert. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux Egyptiens, environ deux mois avant que cet accord n’ait été présenté officiellement.

Les Egyptiens sont coincés parce que le Hamas a déclaré qu’il n’y aurait pas de reprise de négociations sur Shalit tant que le siège économique de Gaza se poursuit et que le passage de Rafah n’est pas rouvert. De leur côté, Israël et les Etats-Unis ont exercé des pressions considérables sur les Egyptiens pour qu’ils ferment les tunnels par lesquels passent les armes de contrebande. Israël a affirmé catégoriquement qu’il n’y aurait pas de cessez-le-feu sans qu’il soit mis fin à cette contrebande.

Depuis des mois, je dis que l’accord dans l’intérêt des deux parties devrait être un tout qui comprendrait un échange de prisonniers (dont Shalit), un cessez-le-feu (Gaza d’abord, mais devant s’étendre à la Cisjordanie), la réouverture de Rafah où seraient positionnés des troupes de l’Autorité palestinienne et des observateurs de l’Union européenne, et la réouverture de l’un au moins des passages frontaliers entre Israël et Gaza (probablement celui de Karni, où passent les produits commerciaux). Pour que cela se produise, Israël doit se montrer plus souple sur la liste des noms de prisonniers que le Hamas a fournie en échange de Shalit, car après deux ans, il devrait être clair qu’il est très peu probable que le Hamas évoluera sur ce point. Ceci est très difficile à accepter pour Israël, mais si le Hamas devait accepter que tous les Palestiniens libérés aillent à Gaza et non en Cisjordanie, ce serait supportable pour Israël.

Les parties doivent également comprendre que l’alternative à l’accord serait bien pire pour tout le monde que l’accord lui-même. Dans ce contexte, on pourrait peut-être interpréter les sonneries de clairon qu’on entend aujourd’hui comme faisant partie de la négociation. Les menaces brandies des deux côtés et l’escalade qui a déjà lieu et ne fera que croître, pourraient n’être qu’une préparation à une invasion de Gaza sur une grande échelle. Mais, de la même manière, il peut aussi s’agir d’une tactique pour impressionner le Hamas afin de lui faire comprendre ce qui est en jeu. L’utilisation par le Hamas de roquettes plus sophistiquées pourrait être, elle aussi, un jeu tactique de la part du Hamas.

Techniquement, une invasion terrestre de Gaza ne serait pas très compliquée pour Israël. L’armée a eu des mois pour s’y préparer. Sans énormes problèmes militaires, Israël pourrait tuer plusieurs centaines de Palestiniens, y compris la plupart des dirigeants militaires et politiques du Hamas et du Jihad islamique. Israël pourrait même mettre en œuvre à Gaza un changement de régime à la mode irakienne.

Mais tout cela ne ramènera le calme au sud d’Israël. Les roquettes continueront à tomber, les kamikazes reviendront. Les Gazaouis ne feront pas la fête à l’armée israélienne d’invasion. Mahmoud Abbas n’endossera pas une queue-de-pie et les négociations entre lui et Israël s’arrêteront immédiatement. Bush sourira et dira : « On ne parle pas avec des terroristes », et Israël et la Palestine ressembleront au même bourbier dans lequel il a mis le monde en Irak.