«Israël ne perd pas sa qualité d’État juif en donnant asile à l’étranger. C’est quand nous ne le faisons pas que nous cessons d’être un État juif » peut-on lire ici en réponse aux arguments du Premier ministre face aux demandeurs d’asile africains. Lesquels se voient maintenus ou remis en détention malgré les arrêts successifs de la Cour suprême – que le gouvernement menace à son tour de “retoquer” au nom de la démocratie.

Rappelons donc qu’en tout régime authentiquement démocratique un rôle de régulation est dévolu à des corps de magistrats chargés de faire respecter l’esprit des lois. C’est, en France, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, qui veillent à la conformité des lois ou des décrets avec les principes de la Constitution ; c’est, en Israël, la Cour suprême, qui statue sur leur adéquation aux lois fondamentales de l’État.

Sans ces garde-fous, on peut craindre toutes les dérives de l’arbitraire, dût-il émaner de représentants élus de la nation. [T.A]


Nos grands-parents étaient des délinquants. Enfin, à en croire en tout cas le ministre de l’Intérieur Guidon Sa’ar et quelques autres en Israël. Ils avaient fui les pogroms et s’étaient glissés – l’un d’entre eux accroché sous le plancher d’un train – en des contrées plus sûres.

Nous, cependant, trouvons ce qu’ils firent juste et moral. Aujourd’hui, en Israël, et malgré deux arrêts de la Cour suprême, nous traitons les demandeurs d’asile soudanais et érythréens comme des criminels, cherchant n’importe quel biais aux marges de la légalité afin d’emprisonner de nouveau les Africains dans le Néguev et de «leur faire la vie dure». Nous prétendons agir de la sorte parce que «les demandeurs d’asile menacent l’existence d’Israël en tant qu’État juif».

M. Nétanyahou, votre gouvernement a tout faux. Israël ne perd pas sa qualité d’État juif en donnant asile à l’étranger. C’est quand nous ne le faisons pas que nous cessons d’être un État juif. Avons-nous oublié le plus insistant de nos commandements – ne pas traiter l’étranger comme nous le fûmes lorsque nous étions esclaves en Égypte? Avons-nous oublié pourquoi les Moabites furent relégués de côté? Avons-nous oublié qui nous avons qualifié d’incarnations du mal et qui nous avons appelés justes au cours du siècle dernier?

Les Moabites, dit la parole divine, ne pourront pénétrer en notre pays ou se faire juifs, car lorsque nous passâmes devant leurs campements ils n’offrirent pas d’eau à notre foule assoiffée.

Dans son roman La Ville au-delà du mur, Elie Wiesel relate l’histoire d’un homme debout, au temps de la Shoah, dans une longue, longue file assommée de chaleur. Il lève les yeux, et que voit-il? Une femme regardant par la fenêtre. Des années plus tard il la cherche, brûlant de lui poser cette unique question: «Pourquoi ne nous avez-vous pas porté d’eau?» Il la retrouve. «Vous étiez trop nombreux», lui répond-elle. «Même pour une seule personne? Pourquoi ne pas l’avoir fait?» demande-t-il alors. Il voulait vraiment savoir. Pourquoi?

0n imagine la femme du récit d’Élie Wiesel, observant les Juifs torturés par la soif, la faim. «Quel mal y a-t-il à leur porter de l’eau? Du pain? Aux enfants, au moins?» dit-elle à son mari. «Non, réplique-t-il. Ils vont se ruer sur toi. Notre famille en pâtira.»

Nous avons oublié les leçons de la Shoah, quand les nations du monde repoussaient les réfugiés juifs, quand nous disions «Jamais plus!» et étions les artisans clef de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (1951).

En 1977, Mena’hem Begin en appela à la mémoire du paquebot Saint-Louis, un navire empli de réfugiés juifs qui fut repoussé des côtes américaines et cubaines pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les Cubains arguèrent qu’avec la menace de mort nazie et la crise économique entraînée par la dépression des années trente, on ne saurait attendre d’eux qu’ils prennent soin d’un bateau de Juifs d’Europe. Le premier acte de Begin en tant que Premier ministre fut un acte réparateur: accueillant les boat-people vietnamiens sur le rivage israélien, il évoqua le Saint-Louis. [Lors du débat à la Knesseth], le député Arieh Eliav lui dit: «En tant que commandant d’un bateau de Ma’apilim [les immigrants juifs illégaux de la période mandataire], je vous salue.»

Le sort des demandeurs d’asile en Israël est en rapport direct avec avec le sort d’Israël en tant qu’État juif. Serons-nous une nation plaçant l’injonction biblique «VéAhavtem eth haGuer – Tu aimeras l’étranger» au cœur de nos valeurs? Ou une nation de Moabites et de pharaons déclarant: «Les étrangers sont trop nombreux pour nous. Agissons envers eux avec assez d’astuce pour qu’ils ne puissent s’accroître.»

Nous avons les moyens de traiter avec justice les demandeurs d’asile africains qui sont là. Nous pouvons user de créativité – nous, le peuple de la Bible et du Talmud, de l’inventivité et de la découverte. Nous représentons 1/10e de % de la population mondiale et 20 % des prix Nobel. Pourquoi? Parce que nous sommes épars et inventifs. Nous nous considérons non comme les serviteurs de Dieu – mais comme ses associés.

Allons-nous, nous qui sommes parvenus à intégrer des immigrants de toutes couleurs et tous pays, nous révéler incapables de gérer un groupe de demandeurs d’asile égal à la moitié d’un pour cent de notre population? Montrons-nous intelligents, compatissants et créatifs envers les réfugiés parmi nous. Tenons avec courage et hauteur de vue notre rôle d’associés à l’œuvre divine en créant la sorte de monde dans lequel nous voulons vivre.

Soyons un État juif.