[[Galia Golan est membre fondateur de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant) et de la Coalition Israelo-palestinienne pour la Paix]]

Traduction : Marie-Hélène le Divelec (Les sous titres sont de la rédaction)


Il se peut que le plan d’Ariel Sharon pour un retrait de Gaza marque l’étape la plus importante à ce jour sur la voie tortueuse du soi-disant « processus de paix » qui, en fait, s’est terminé tragiquement il y a environ quatre ans. Ce n’est parce que ce plan de retrait amènera de par lui-même la fin du conflit israélo-palestinien et la paix – ce ne sera certainement pas le cas-. Le plan de retrait n’est qu’une étape et, aux yeux de beaucoup de gens, peut-être la dernière étape, dans un effort pour changer la situation sur le terrain, même si ce n’est que d’une manière limitée. En fait l’idée pourrait bien être de présenter cette étape comme une « concession » suffisante pour justifier qu’Israël renforce son contrôle sur la Cisjordanie (ou pour réduire la pression contre ce renforcement). Néanmoins la raison pour laquelle ce retrait pourrait s’avérer un tournant important tient au principal obstacle à la réalisation de ce plan, à savoir l’existence des colonies juives.

L’évacuation d’à peine une douzaine de colonies et le relogement d’à peine 7500 personnes (plus ou moins 1500 familles) ne posent pas vraiment un problème de logistique pour un pays comme Israël qui a dû faire face à l’arrivée massive de centaines de milliers d’immigrants en des laps de temps très courts. De plus le démantèlement d’un nombre limité de colonies dans la bande de Gaza et de quatre petites colonies isolées dans le Nord de la Cisjordanie ne constitue pas nécessairement un précédent dans un processus irréversible. Les colonies juives du Sinaï ont été démantelées dans le cadre de l’accord de paix avec l’Égypte, et ce à l’instigation d’Ariel Sharon lui-même, l’homme qui porte une grande responsabilité dans la création de ces colonies [[Pendant les négociations de Camp David en 1978, Begin, le Premier ministre d’alors, a renâclé devant les exigences des Égyptiens concernant l’évacuation des colonies, et c’est Sharon, alors ministre de l’agriculture, qui a téléphoné à Begin et lui a dit d’accepter, bien que plus tôt dans le processus de paix il avait entrepris la construction de nouvelles colonies dans le Sinaï. (Ezer Weizman, The Battle for Peace, Bantam Books, New York, p. 370)]].

UNE BATAILLE CRUCIALE…

Mais ce sont les dirigeants du Mouvement des colons eux-mêmes qui ont décidé de faire de ce retrait une bataille cruciale. Il ne s’agit pas de la valeur de ces colonies en particulier ni du territoire en question (la bande de Gaza), il s’agit plutôt – aux yeux des dirigeants du Mouvement des colons, de beaucoup de colons et de leurs partisans -, d’un principe qui déterminera l’avenir du contrôle qu’exerce aujourd’hui Israël sur les territoires conquis en 1967. Sans se soucier de ce qui s’est passé il y a plus de vingt ans dans les colonies du Sinaï ni de ce que pourraient être les intentions du gouvernement, le Mouvement des colons a fait du retrait le test crucial qui déterminera la réponse à la question : Israël peut-il quitter les territoires occupés ou pas ? Le Mouvement des colons espère arriver à un effritement du soutien populaire pour le retrait, en menaçant de violence, voire même d’une sorte de guerre civile, et en menant une campagne exaltée, bien organisée et bien financée pour sensibiliser le public israélien à ce qu’il appelle « le déracinement » ou « le transfert » de Juifs hors de foyers où beaucoup vivent depuis plus d’une génération, dans le cadre d’une évacuation décrite comme « la récompense du terrorisme ». L’idée étant que si un gouvernement dirigé par un homme fort et de droite comme Arik Sharon se montre incapable de déloger les colons, on peut facilement prévoir que personne d’autre n’y parviendra, ni pour la bande de Gaza – territoire relativement peu important et peu populaire -, ni certainement pour des territoires plus importants d’un point de vue idéologique et religieux, comme la Cisjordanie et Jérusalem Est.

En effet le projet de colonisation que Arik Sharon élabora et entreprit quand il était ministre de l’agriculture à la fin des années 70 (projet différent des entreprises de colonisation assez limitées des gouvernements travaillistes) avait pour but de créer une situation irréversible rendant le retrait impossible. Sharon annonça clairement qu’il voulait que 100.000 Juifs soient installés dans les territoires occupés en 1983 et il avait conçu ce projet à la fois pour empêcher toute partition dans la région, c’est-à-dire tout compromis en matière de territoire, et pour empêcher aussi la création d’un état palestinien. Ce fut le début d’une politique qui offrait aux colonies juives de lucratifs avantages économiques pour compenser le nombre limité de colons qui se portaient volontaires pour des raisons idéologiques, à savoir ceux qui étaient disposés à s’installer dans les territoires occupés pour des raisons religieuses et/ou nationalistes. Il s’agissait ainsi de créer une vaste circonscription qui s’opposerait au retrait pour des motifs idéologiques et pour des considérations matérielles et pratiques. Cette politique a eu pour résultat l’installation de plus de 230.000 colons, dont environ 77% disent qu’ils vivent là à cause de « la qualité de la vie » (un euphémisme pour « raisons économiques ») afin de se démarquer des raisons nationalistes ou religieuses [[Hopp M., Jacobson D., Peres Y., Schnell Y., « Settler Attitude Toward Evacuation », cf. le site de Peace Now : www.peacenow.org.il]].

Ainsi les colonies étaient destinées à faire obstacle au compromis – et, d’une manière implicite, à la paix-. Si le moment devait arriver, ce serait le test : pourra-t-on déloger ces gens ? Pourra-t-on évacuer les colonies pour qu’Israël puisse se retirer des territoires occupés ? Telle est la question que le Mouvement des colons pose à la population et au gouvernement par sa réaction au plan de retrait de Gaza.

C’est pour cette raison, que la réalisation du plan de retrait de Sharon est cruciale pour l’avenir du processus de paix. Logiquement le moment n’était pas encore arrivé pour cette ultime confrontation avec le Mouvement des colons, mais celui-ci a saisi le plan de retrait pour en faire un jour d’expiation dont la société israélienne, divisée en faucons et en colombes depuis 1967 et tout simplement désorientée, savait qu’il était inéluctable. L’issue est moins claire qu’on aurait pu le penser ou le prévoir. Depuis plusieurs années l’opinion publique israélienne a été assez cohérente dans son accord de principe pour un compromis territorial, pour l’évacuation de la plupart des colonies et pour une solution incluant la création d’un état palestinien. Et si le plan de Sharon offrait un accord de paix en contrepartie de ce retrait de Gaza, alors l’évacuation des colonies du Sinaï il y a plus de vingt ans pourrait effectivement servir de précédent approprié. Mais le plan actuel n’apporte rien qui aille en ce sens ; il ne se situe pas dans le contexte d’un accord de paix ou même de la promesse d’un tel accord. Par conséquent, le gouvernement ne peut opposer aucune objection convaincante face aux arguments du Mouvement de colons. Une nette majorité aujourd’hui en Israël est en faveur du retrait : Gaza est considéré comme un « trou d’enfer », nos soldats y risquent inutilement leur vie, les colonies n’y ont aucune raison d’être. Mais le discours officiel ne peut utiliser ces arguments sans admettre que le gouvernement lui-même est responsable d’avoir envoyé des soldats et des colons à Gaza. Il fait vaguement allusion, d’une manière peu convaincante et souvent indirecte, aux raisons véritables qui motivent le plan de retrait et il brouille volontairement la signification réelle -mais imprévue- du plan, à savoir que c’est un test pour vérifier si Israël est capable de démanteler les colonies – une condition sine qua non pour tout accord futur, pour mettre fin à l’occupation, au conflit et pour que la paix puisse s’instaurer.

POURQUOI UN TEL PLAN?

Quelles sont les raisons réelles de ce plan de retrait ? Il est difficile d’imaginer le raisonnement stratégique de Sharon en la matière, ou même de savoir s’il y a eu vraiment un raisonnement stratégique. Dans le passé, Sharon a déjà parlé d’un accord temporaire à long terme, selon lequel Israël garderait le contrôle de la plus grande partie des territoires occupés (environ deux tiers) et les Palestiniens contrôleraient différentes zones (peut-être des « Bantoustans »). L’actuel plan de retrait pourrait être interprété comme une version unilatérale de cette idée, avec l’aide inattendue de la clôture de sécurité ou mur [[Il faut rappeler qu’au début Sharon n’était pas en faveur de la clôture de sécurité et que celle-ci ne faisait pas du tout partie de sa conception de l’avenir. Et même le tracé expansionniste de cette barrière, établi sous l’influence des colons, ne correspond pas à la ligne de démarcation voulue par Sharon (en fait, la ligne de démarcation actuelle incorpore plus de Palestiniens et moins de territoires que ne le voudrait sans doute Sharon).
]]. Les raisons tactiques en sont peut-être plus claires. Dans les mois qui ont précédé la déclaration de Sharon à la conférence de Herzlia en décembre 2003, le public israélien a manifesté des signes croissants d’insatisfaction et de colère. Une certaine décrue dans la violence, c’est-à-dire une diminution dans le nombre d’attaques terroristes, explique peut-être que l’opposition au statu quo s’exprime davantage et exige de plus en plus des options politiques. Il y a eu la lettre des pilotes de Tsahal qui refusent de servir ou de soutenir la politique actuelle, des commentaires apparemment très critiques du chef d’état-major, les revendications des soldats qui protègent les colonies de Gaza, et surtout, la publication dans la presse israélienne d’un long entretien où quatre anciens dirigeants des services de sécurité critiquent la politique du gouvernement. Au même moment, il y a eu l’annonce du plan de Genève qui propose des mesures concrètes, et souvent détaillées, pour une autre politique. Cette suite d’événements a brusquement transformé la cérémonie annuelle à la mémoire de Rabin, au début de novembre 2003, en une manifestation de masse organisée par le camp de la paix israélien. Moins d’un mois plus tard Sharon lançait son plan de retrait de Gaza.

Il est possible que Sharon ait été influencé par les analyses détaillées dans la presse et ailleurs, qui ont finalement fait comprendre à la droite l’ampleur des changements démographiques de la région. Il est possible que Sharon ait finalement compris que, dans moins d’une génération, les Juifs seront minoritaires dans la zone qui s’étend du Jourdain à la Méditerranée. Une telle situation risque de déboucher soit sur une situation d’apartheid – où la minorité israélienne prive la majorité arabe qu’elle contrôle de ses droits fondamentaux -, soit sur un état binational qui représenterait la fin de l’idée sioniste d’un état pour le peuple juif – les Juifs deviendraient une minorité dans leur patrie historique comme ils l’avaient été dans la Diaspora-. Il est donc possible que ces considérations aient décidé Sharon à agir unilatéralement et à réduire de 1,3 millions personnes la population arabe contrôlée par Israël (c’est-à-dire la population de la bande de Gaza), repoussant ainsi cette épée de Damoclès démographique. Certains officiels parmi les partisans de Sharon, et parfois Sharon lui-même, ont d’ailleurs fait allusion à la logique démographique derrière le plan de retrait, ajoutant qu’Israël devait prendre l’initiative pour éviter qu’un plan inacceptable (« Genève ? », « la feuille de route ? ») lui soit imposé, sans doute par la communauté internationale ou même par les Américains.

UNE MAUVAISE EVALUATION…

Quel que soit le raisonnement tactique ou stratégique derrière le plan de retrait de Sharon, il est peu probable qu’il ait prévu l’étendue et l’intensité de l’opposition du Mouvement des colons et leur détermination à en faire un test sur l’évacuation. (Il aurait dû imaginer la réaction des colons au vu de la difficulté qu’il y a à démanteler les colonies pionnières illégales). Il a sans doute mal jugé la situation en pensant que les colons seraient prêts à voir le côté positif du plan de retrait de Gaza, c’est-à-dire une perte négligeable – quelques colonies dans une zone, la bande de Gaza, dont on peut se passer -, en échange d’un gain considérable pour la grande majorité des colonies en Cisjordanie- territoire important d’un point de vue historique et religieux-. En d’autres termes, une concession mineure (qu’il qualifie toujours de « douloureuse ») pour alléger les pressions et les problèmes démographiques qui menacent la réalisation d’un but plus grand.

En supposant que Sharon s’attendait à l’opposition des colons, il a sans doute estimé que le Mouvement des colons ne représentait qu’une petite minorité. Et en fait, l’opinion publique a soutenu et continue largement de soutenir l’idée du retrait, y compris la majorité des électeurs du Likoud (qu’il faut distinguer des membres du parti du Likoud). Apparemment Sharon ne s’attendait pas à l’influence qu’aurait le Mouvement des colons, qui a réussit à gagner un soutien notable au sein du parti du Likoud. Et l’une des raisons pour lesquelles il a été pris de surprise est que le plan de retrait tel qu’il le présentait ne devait désavantager que les colons de Gaza. Mais beaucoup de faucons de droite se sont ralliés au Mouvement des colons à cause de la portée symbolique et potentielle du plan: le retrait pouvait en effet être perçu comme une première étape vers le retrait de la Cisjordanie -ou pourrait servir pour parvenir à ce retrait- menaçant ainsi la position politique qui clame ne pas vouloir céder un pouce de terrain.

Du point de vue de Sharon, le plan de retrait aurait dû paraître assez anodin. Après tout ce plan ne met pas vraiment fin à l’occupation de Gaza, bien qu’il prétende que ce soit le cas, et ne débouche pas sur la fin de l’occupation. Selon le plan qui a été présenté officiellement le 28 mai 2004, Israël effectuera un retrait de tous les militaires et de tous les colons, et cédera aussi « ses responsabilités à l’égard de la population palestinienne de la bande de Gaza », comme il l’avait fait pour la zone A dans le cadre des accords d’Oslo, ce qui signifierait techniquement la fin de l’occupation [[Plan de retrait annoncé le 28 mai 2004 (Ha’aretz, 29 mai 2004)]]. Mais Israël maintient son contrôle sur tous les accès à la bande Gaza, que ce soit par voie maritime, aérienne ou terrestre. De plus Israël se réserve le droit de « mesures préventives ainsi que de l’utilisation de la force contre toute menace dont la bande de Gaza serait l’origine » [[Ibid.]]. Et le contrôle des infrastructures d’importance vitale pour les Palestiniens (par exemple l’approvisionnement en eau et en électricité) restera aux mains des Israéliens. Plus encore, Israël déterminera unilatéralement toutes les dispositions afférentes, que ce soit pour les relations futures, l’entrée et la sorties des personnes et des marchandises, ainsi que dans le cas du retrait lui-même, pour les arrangements concernant les avoirs et les terres. Sharon a répété à plusieurs reprises qu’il n’y aura aucune négociation (ni officiellement aucune coopération) avec les Palestiniens concernant le retrait. Toutes ces limitations auraient pu rendre le plan de retrait plus » acceptable » pour les faucons membres du gouvernement et du parti (et peut-être tel était même le but de Sharon). Une interprétation plus cynique consisterait à dire qu’un retrait unilatéral dans de telles circonstances et conditions laisserait une situation chaotique qui engendrerait violence et instabilité internes .On pourrait y voir ainsi un exemple utile des dangers dont seraient porteurs d’autres retraits, par exemple de la Cisjordanie, dont il serait alors prouvé qu’ils sont indésirables et inefficaces.

Sharon a été en quelque sorte bridé dans la défense de son plan de retrait parce qu’il ne peut pas aisément mentionner les points ci-dessus. Il a présenté le retrait comme une véritable évacuation, la fin de l’occupation de la bande de Gaza, et comme une initiative qu’Israël aurait prise pour répondre à la détérioration et à l’absence d’un processus de paix dont il soutient que la responsabilité en incombe entièrement à Arafat. De plus il a fait ces déclarations et présenté ces engagements au gouvernement américain, qui lui a donné son soutien crucial pour une politique de colonisation de la Cisjordanie, une décision que l’on a interprétée comme s’écartant de la position américaine traditionnelle sur cette question. Les Américains ont également fait une déclaration importante sur le problème des réfugiés. Par conséquent Sharon ne peut pas » faire l’article » sur les faiblesses de son plan de retrait auprès de ses électeurs mais il a certainement essayé de présenter les concessions américaines comme une compensation qui devrait affaiblir l’opposition des faucons et des colons. En cela il a échoué.

DES PROBLEMES SUBSISTENT….

A supposer que Sharon veuille vraiment exécuter son plan et qu’il veuille vraiment qu’Israël se retire de Gaza, il existe des solutions pratiques aux problèmes posés par ce qui subsistera de l’occupation. Les problèmes ou les insuffisances du plan de retrait ne sont pas entièrement artificiels ou bien inventés pour des raisons politiques. Il est légitime et réaliste qu’Israël s’inquiète de la possibilité d’un trafic d’armes dans la bande de Gaza après son retrait, qui serait à l’origine d’une recrudescence d’attaques terroristes. Il est également justifié de s’inquiéter de l’instabilité en matière de politique et de sécurité qui menace de s’instaurer après le retrait; les Palestiniens partagent d’ailleurs ce souci. De plus, et peut-être surtout, les Palestiniens sont inquiets en ce qui concerne l’économie : Gaza pourra-t-elle survivre sans l’infrastructure israélienne, si celle-ci est abandonnée et sans aucun contrôle sur les activités d’import et export, sur la mobilité des biens et des personnes, sur la division ou répartition des biens qui auront été laissés ou détruits une fois que les entreprises conjointes auront été démontées ( tels les parcs industriels)? Et un effondrement économique aurait également des conséquences pour la sécurité d’Israël. La liste des problèmes en suspens devra donc comprendre les points suivants :
1) Les frontières (délimitations, zone maritime et accès aérien)
2) La sécurité intérieure
3) La répartition des biens immobiliers et des avoirs qui auront été laissés
4) La reconstruction économique.
Il y a en outre des questions plus politiques, à savoir :
5) La relation et les liens entre Gaza et l’Autorité palestinienne en Cisjordanie
6) Le statut juridique de Gaza (« souveraineté », « absence d’occupation », ou « autonomie »).
Quel sera l’avenir politique, à savoir où va-t-on après le retrait ? On peut douter de la possibilité de répondre à cette interrogation et de régler un grand nombre de ces points, et encore moins tous, si Israël insiste pour agir unilatéralement.

D’abord, il semblerait qu’il y ait une forme de coordination, dans les coulisses, entre Israël et les forces de sécurité palestiniennes et peut-être même des membres de l’administration politique. Ensuite, un tiers ou des tiers ont été introduits pour traiter certains de ces problèmes. Bien qu’elle le nie officiellement, l’Égypte joue dans une certaine mesure le rôle de médiateur. Elle a aussi œuvré à la fois ouvertement et dans les coulisses, pour l’établissement d’une stabilité politique et peut-être même d’une sécurité intérieure. L’Égypte a refusé de jouer un rôle dans le maintien de la sécurité à Gaza ou d’y envoyer quelque troupe que ce soit (y compris des policiers), mais elle a accepté d’apporter son aide à la formation, y compris l’envoi de conseillers à titre temporaire. La Grande-Bretagne contribue également à la formation des forces de sécurité. De leur côté, les Palestiniens ne semblent pas vouloir l’intervention d’un pays tiers, en particulier l’Égypte, dans des questions de sécurité intérieure si ce n’est à titre tout à fait temporaire. Il est d’ailleurs certain qu’aucun contingent de forces de sécurité venant d’un pays tiers ne serait acceptable sans négociations, c’est-à-dire sans que l’Autorité palestinienne n’ait été consultée en la matière. Les Palestiniens ne désirent pas être « occupés » par une autre puissance. Néanmoins il est concevable que pour éliminer le contrôle qu’exerce Israël sur l’accès et le départ de la bande de Gaza, les Palestiniens acceptent l’intervention d’un pays tiers. Du côté israélien, la frontière entre Gaza et Israël sera contrôlée de toute façon par les Israéliens, quelles que soient les forces qui la contrôleront du côté de Gaza. C’est le contrôle de la frontière avec l’Égypte -le corridor de Philadelphie-qui pose le plus grand problème:il est probable qu’Israël ne veuille céder à personne le soin d’assurer ce contrôle, ni à l’Égypte ni à un autre pays tiers.

En ce qui concerne la reconstruction économique, Israël et les Palestiniens sont d’accord pour vouloir donner un rôle à un ou des tiers, et la Banque mondiale a déjà entamé des pourparlers à ce sujet. La question du rôle d’un tiers dans les décisions et le contrôle concernant la répartition des avoirs et des biens immobiliers est plus difficile, mais un tel rôle est envisageable. La cession des biens et avoirs vers un tiers pourrait faciliter les choses car Israël trouve difficile d’abandonner des biens immobiliers et de les voir repris par des Palestiniens (avec des images spectaculaires, par exemple, de militants du Hamas s’installant ou détruisant des villas évacuées par les colons). L’intervention d’un tiers assurerait la médiation dans les conflits résultant du retrait; si Israël le permet, ce qui est peu probable, un tiers pourrait faciliter ou même surveiller tout le processus.

On a beaucoup discuté ces dernières années du rôle d’un ou de tiers, et pas seulement à propos du retrait. Presque tous les plans, et certainement depuis l’Intifada d’Al-Aksa si ce n’est même auparavant, envisagent un certain rôle pour une tierce partie, que ce soit une force unilatérale (les États-Unis) ou multilatérale (les Nations-Unies, le Quartet, ou autre). On a même proposé l’intervention de l’OTAN. Plus récemment il y a eu des discussions sur le retrait à un niveau moins élevé et un certain nombre de propositions concrètes ont été faites concernant le rôle d’une tierce partie [[Voir, par exemple, « Round-table : The International Community and the Conflict », Palestine-Israel Journal, 11/2 (2004), pp. 76-112 ; Shlomo Brom, « The Role of Third Party Monitoring in the Israeli-Palestinian Arena », loc. cit., pp. 62-68]]. Ces discussions et ces propositions pourraient contribuer à l’exécution du plan de retrait.

Les problèmes cités ci-dessus, et même le rôle d’un tiers, sont également pris en considération par les officiels comme le montrent les discussions, entre autres, avec la Banque mondiale et l’Égypte. Sans diminuer l’importance de ces problèmes, il n’en demeure pas moins que l’obstacle principal à la réalisation du plan de retrait se situe au niveau du débat politique à l’intérieur d’Israël. Et en Israël la seule question tient aux colonies.
Si Sharon en vient à décider que le retrait est effectivement impossible, ce ne sera pas à cause des problèmes mentionnés ci-dessus. Sa décision d’agir unilatéralement montre bien qu’en fin de compte il n’a pas l’intention de changer de voie ou d’être influencé par ce genre de problèmes. Seule l’action du Mouvement des colons, avec ses menaces et ses appels (qui resteront sans doute probablement à l’état de menaces) peuvent créer une situation qui rendrait le retrait impossible. Si cela se passe ainsi, les colonies auront prouvé en effet que leur but était d’être un obstacle insurmontable à tout compromis territorial et à la création de deux états pour résoudre le conflit. Pour cette raison, si Israël a pour objectif la fin du conflit, la paix et la sécurité – objectif qui ne peut être réalisé que par la fin de l’occupation et un accord avec les Palestiniens -, le plan de retrait est crucial, aussi imparfait, incomplet et préliminaire soit-il. Et le Mouvement des colons le sait.