La nouvelle décennie commence bizarrement, c’est le moins que l’on puisse dire.

Tout d’abord chaque année dorénavant, depuis 5 ans en France, remonte le souvenir des 17 personnes assassinées à Charlie Hebdo, à Montrouge, à l’Hypercacher de la Porte de Vincennes et à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële. Il y a aussi le goût amer de l’indignation que suscite le traitement judiciaire de l’assassinat de Sarah Halimi. Le tout dans le cadre d’un conflit social qui perdure et une fracturation de la société française qui met à mal le sentiment d’appartenance collective alors que les actes antisémites progressent, de même que les actes antimusulmans et antichrétiens. Francis Khalifat dans l’une de ses interventions parlait « du malaise dans notre société, que la haine est en train de gangrener« .

S’agissant de haine, on ne peut s’empêcher de penser, un an après le décès d’Amos Oz, qui fut outre le grand écrivain que l’on connaît, l’un des fondateurs de Shalom Akhshav/Peace Now – l’un n’étant pas déconnecté de l’autre – à ce qu’il disait dans un entretien deux mois avant sa mort : « La leçon des dernières années est que le “cadeau” fait par Hitler et Staline, il y a quatre-vingt ans, est périmé. Hitler et Staline n’avaient pas l’intention de nous faire un cadeau, mais sans le vouloir ils ont légué au monde un certain sentiment de honte face au racisme et à la xénophobie. Or les gens redécouvrent la haine. Ils se lèvent le matin, et se mettent à haïr tous ceux qui ne leur ressemblent pas. C’est effrayant. Je ne crois pas qu’un homme qui pratique chaque jour la haine puisse être un homme heureux ».

Ce début d’année est également marqué par la boîte de Pandore que D. Trump a ouverte avec l’élimination de Qassem Soleimani. Sa disparition est certes moins attristante que celle des centaines de milliers de personnes qui ont perdu la vie par les actions qu’il a planifiées et la politique qu’il a conduite. Mais cet homme n’était pas, n’était plus, qu’un simple responsable terroriste. Il était devenu une figure internationale.

« La vie professionnelle de Soleimani peut être divisée en deux périodes« , a déclaré l’ancien commandant du Mossad Tamir Pardo (Yedioth Ahronoth, avril 2018). « Jusqu’au printemps arabe, il était perçu par la plupart des pays du monde comme le puissant commandant d’un organisme terroriste, qui a des ramifications dans diverses parties du monde, essayant de faire du dégât là où c’est possible pour promouvoir ses intérêts, très actif en Syrie, au Liban et en Irak, finalement un organe opérationnel dont le but principal est le terrorisme. À partir du choc qui s’est produit au Moyen-Orient et plus tard avec l’apparition d’ISIS, l’homme a changé de direction. Il devient un véritable acteur, qui sait comment, avec beaucoup de talent, tirer profit de l’infrastructure secrète qu’il a établie pendant tant d’années, pour atteindre des objectifs non secrets – se battre, gagner, établir une présence, construire une infrastructure militaire importante, changer les cartes – pour générer de précieux profits internationaux pour l’Iran« .

Qassem Soleimani aurait commis l’erreur d’être allé trop loin. On peut se poser la question de savoir si Trump n’a pas commis la même erreur et s’il a envisagé les répercussions possibles de cet acte. S’inscrit-il dans une stratégie réfléchie ou bien est-il l’illustration, une de plus, d’un Trump tel qu’Elie Barnavi le décrivit en juin 2017 : « Il ne pense pas avec sa tête, il éprouve avec ses tripes. Il ne sait rien, ne lit rien, ne comprend rien au monde qui l’entoure, sa capacité de concentration est celle d’un enfant de douze ans, son vocabulaire de même, alors que, moderne Caligula, sa fonction en fait le mortel le plus puissant de la planète. Ainsi armé, il est bien parti pour mettre à mal la plus vieille démocratie du monde à l’intérieur, et, à l’extérieur, démolir son système d’alliances et liquider son rôle séculaire de chef du monde libre. »

Parmi les flots des commentaires qui se sont déjà déversés, sans doute à bon escient, nous remarquerons la prégnance de la thématique de l’humiliation, celle des USA ne pouvant se permettre de laisser passer l’agression contre son ambassade à Bagdad, celle de l’Iran ne pouvant pas davantage ne pas réagir à l’élimination d’une « superstar iranienne, un symbole, le fils adoptif du chef spirituel Khamenei, quelqu’un que beaucoup considéraient comme un candidat à la présidence iranienne » (T. Pardo).

Dans leurs rapports avec les Palestiniens, les autorités israéliennes seraient bien inspirées de tenir compte de cette dimension. De même que tous ceux qui relèvent, pour le déplorer, qu’une union nationale se soit ressoudée du fait de ce qui est perçu comme une agression et une humiliation par un grand nombre d’Iraniens, se devraient de ne pas oublier ce mécanisme dès lors qu’il s’agit d’Israël, de condamnations obsessives, de remise en cause existentielle et non pas de critiques normales et légitimes de sa politique. À titre d’exemple, le boycott d’Israël est tout à la fois condamnable et contre-productif. Légitime et justifiée par contre la condamnation de la décision du 5 et 6 janvier de construire ou légaliser rétrospectivement près de 2000 unités d’habitation supplémentaires dans les territoires, décision dévoilée et dénoncée par Shalom Akhshav.

L’occupation, son maintien et son accentuation, restent au cœur de l’humiliation des Palestiniens qui, à la longue, fait perdre raison tant à celui qui la subit qu’à celui qui l’exerce.

Il ne nous reste qu’à espérer et à agir pour que l’année se prolonge mieux qu’elle n’a commencé.

Ilan Rozenkier

Article mis en ligne le 10/01/2020