La question décisive est de savoir si l’État d’Israël restera une démocratie juive ou se transformera en une ethnocratie messianique.
Auteur : Shaul Arieli, Haaretz, 10 juillet 2025
Traduction : Dory, groupe WhatsApp « Je suis Israël »
Photo : Soldats israéliens portant un badge au nom de Messiah (le messie). © : Avi Benayahu’s Facebook
Mis en ligne le 12 juillet 2025
La férocité de la guerre entre les communautés sioniste et messianique d’Israël devient de plus en plus évidente. Elle a commencé avec la création du mouvement de colonisation Gush Emunim en 1974, lorsque les messianistes ont incité Israël à réaliser leur vision : rétablir le Royaume de David.
Jusqu’en 1974, les messianistes considéraient les réalisations du sionisme – la Déclaration Balfour, le Mandat pour la Palestine, le Plan de partage de l’ONU, la Guerre d’Indépendance, la Campagne du Sinaï, la Guerre des Six Jours et la Guerre du Kippour – comme le début de la Rédemption. C’est pourquoi le rabbin Abraham Isaac Kook justifiait la coopération avec les pionniers sionistes laïcs.
Selon les messianistes, le retrait de Qouneitra, dans le cadre de l’Accord de désengagement de 1974 avec la Syrie, violait un commandement divin : la concession d’une partie de la Terre d’Israël. Pour les messianistes, les dirigeants sionistes devaient désormais être remplacés pour avoir violé la promesse divine : « Vraiment, l’Éternel a livré entre nos mains tout le pays » (Josué 2:24). Pour ceux qui adhèrent aujourd’hui à cette vision, les dizaines de législateurs et de ministres messianistes, qui contrôlent le Premier ministre et la politique, reflètent l’accomplissement de cette « prophétie ».
Selon le document fondateur de Gush Emunim, « la source de la vision est la tradition d’Israël et ses racines juives.» Puis vint l’objectif messianique clair : « La rédemption complète du peuple juif et du monde entier. »
En 1981, le Conseil des colonies Yesha hérita du rôle de Gush Emunim, et le mouvement devint encore plus extrême. Le document fondateur de Yesha stipule : « Le Conseil considère toute proposition de cession de parties de la Terre d’Israël… comme un déni de la mission du peuple juif et… un acte illégal.» Autrement dit, les institutions élues de la démocratie israélienne n’ont aucune légitimité à restituer des territoires, même pour la paix.
En 1974, les messianistes déclarèrent la guerre aux sionistes, qui ne percevaient pas la menace et considéraient même cette lutte comme un élément de leur engagement en faveur de la démocratie et du pluralisme. Malgré les avertissements de l’intellectuel Yeshayahu Leibowitz et de dirigeants politiques comme Yitzhak Rabin, Menahem Begin et Yosef Burg, il a fallu de nombreuses années aux sionistes pour comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’une lutte pour la Terre d’Israël, mais aussi pour l’identité et la nature du gouvernement.
Ceci est devenu plus évident lors des luttes contre l’accord de paix avec l’Égypte, les accords d’Oslo et le retrait de Gaza. Ces efforts ont atteint leur paroxysme lors des récentes tentatives de sape du système judiciaire, et pendant la guerre actuelle.
Les sionistes et les messianistes ont des visions contradictoires qui affectent tous les aspects de nos vies. Le rêve sioniste repose sur des principes démocratiques et une majorité juive : égalité des droits, protection des droits des minorités, appartenance à la communauté des nations, séparation de la religion et de l’État, et équilibre des pouvoirs.
Le rêve messianique repose sur des principes théocratiques, tels qu’ils ont été défendus par Hanan Porat (1943-2011), leader des colons : « établir un royaume de prêtres et une nation sainte, et ramener la présence de Dieu à Sion ». Cela incluait la souveraineté juive sur toute la Terre d’Israël et la révocation des droits des Palestiniens.
En fondant l’État, les sionistes ont perçu le besoin du peuple juif d’un refuge. Comme l’écrit Theodor Herzl dans L’État juif : « Que la souveraineté nous soit accordée sur une portion du globe suffisamment vaste pour satisfaire les besoins légitimes d’une nation.»
Mais les messianistes ont vu le commandement d’accomplir la promesse biblique comme le motif de la création de l’État. Menahem Felix, un dirigeant du Gush Emunim, a déclaré en 1979, citant l’érudit médiéval Na’hmanides : « Nous avons colonisé le pays… parce qu’il nous a été ordonné d’en hériter. »
Toute concession territoriale est un sacrilège.
Les sionistes considéraient la légitimation internationale comme le fondement de l’établissement de l’État, « en vertu de notre droit naturel et historique et sur la base de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies », comme l’a proclamé David Ben Gourion le 14 mai 1948. Le nouvel État garantirait l’égalité et la liberté pour tous.
Le point de vue des messianistes est reflété dans un article de Bezalel Smotrich publié en novembre 2017 : « La résolution de l’ONU n’est pas la source de notre droit sur ce pays, mais plutôt la Bible et la promesse du Béni soit-Il.»
Les sionistes considèrent la démocratie comme la valeur suprême. Ils croient en l’État de droit et à la séparation des pouvoirs. Les messianistes considèrent la démocratie comme un outil, comme l’a exprimé le leader des colons Benny Katzover en 2012 : « La démocratie israélienne a rempli sa mission et doit maintenant se briser et se soumettre au judaïsme. »
Les sionistes ont pris en compte l’avenir du pays lorsqu’ils ont tenté de déterminer les frontières d’Israël. Les dirigeants sionistes ont toujours privilégié un Israël démocratique à majorité juive, au détriment de la concession de certaines parties du pays.
Les messianistes considèrent les frontières comme le cœur du problème. Toute concession de territoire est un sacrilège, et il faut sacrifier sa vie pour l’empêcher, a déclaré le fils de Kook, le rabbin Zvi Yehuda Kook.
Les sionistes sont attachés à la Déclaration d’indépendance et à « l’égalité complète des droits sociaux et politiques de tous ses habitants, sans distinction de religion, de race ou de sexe ». Les messianistes estiment que seul le peuple juif a le droit à l’autodétermination en Terre d’Israël. La doctrine du rabbin Meir Kahane, dont le disciple, Itamar Ben-Gvir, siège au gouvernement, est encore plus sévère. Cette vision appelle à la suppression du droit de vote des Arabes israéliens et à leur exclusion de l’espace public.
Les sionistes reconnaissent la valeur de la légitimation internationale ; ils considèrent Israël comme faisant partie de la famille des nations. Les messianistes nient la légitimité du droit international.
Les sionistes croient en un judaïsme ouvert où chacun gère sa vie ; le judaïsme est une identité fondée sur l’histoire du peuple juif au fil des générations. Cela inclut la fertilisation croisée avec le reste de l’humanité. Selon les messianistes, la source de l’autorité du judaïsme est Dieu, qui gère la vie de ses croyants. Cette vision fonde sa culture sur la Bible et le Talmud.
Les sionistes voient le 7 octobre comme un échec dans la « gestion de la crise », politique menée par Benjamin Netanyahou et Naftali Bennett, qui a semé la division entre le Hamas et l’Autorité palestinienne. Les messianistes considèrent le massacre comme faisant partie d’un plan divin.
Cette vision est similaire à celle de l’Holocauste, qu’ils perçoivent comme le châtiment divin infligé aux Juifs qui ne sont pas allés en Terre d’Israël après la déclaration Balfour. Dans une interview télévisée, Smotrich a déclaré à propos du 7 octobre : « Peut-être avions-nous besoin d’encaisser ce coup terrible et douloureux pour nous rappeler une seconde qui nous sommes.»
Les sionistes pensent que la guerre à Gaza nous a été imposée, dans le but de restituer les otages et de créer les conditions d’une diplomatie. Par-dessus tout, les messianistes voient le conflit comme une guerre contre l’Amalek biblique. La vengeance sur les Gentils, selon Kahane et ses héritiers, est l’objectif d’Israël.
Ce camp considère également la guerre comme un moyen de tenir Gaza pour toujours. La membre du cabinet Orit Strock a déclaré dans une interview télévisée en mars 2023 : « Israël est dans un processus de repentance pour le péché de son désengagement de Gaza. … Je crois que cette tendance finira par s’inverser.»
Enfin, ce camp voit la guerre comme une occasion d’expulser les Palestiniens de Gaza dans le cadre d’une « émigration volontaire ». « Pour les expulser tous de Gaza, il nous faudra expulser 5 000 personnes par jour, sept jours sur sept, pendant une année entière », a déclaré Smotrich.
Il s’agit donc d’une lutte entre un camp qui aspire à des accords diplomatiques garantissant la vision sioniste et un camp qui prône une guerre éternelle. C’est une lutte entre un camp qui cherche à garantir les droits de tous les citoyens du pays et un camp qui considère la démocratie comme un obstacle sur la voie de la suprématie juive. L’un des camps lutte pour la démocratie, tandis que l’autre tente de faire du pays une ethnocratie oppressive.
La question décisive est de savoir si l’État d’Israël restera une démocratie juive ou se transformera en une ethnocratie messianique. Il y a des décennies, Leibowitz prédisait que la doctrine de Kook aboutirait à la « bestialité ». La réponse déterminera l’avenir du projet sioniste.
Il faut voter pour des partis qui s’engagent en faveur d’un État démocratique garantissant une pleine égalité, un pays appartenant à la famille des nations. L’alternative est claire : un régime discriminatoire et un État paria, pauvre et enlisé dans des guerres sans fin. La bataille ne porte pas sur le territoire ou la politique, mais sur l’identité et le régime d’Israël.