« Vient un moment où la vérité vous saute à la figure, et vous vous rendez compte que votre programme politique n’est plus viable. Mais bien que je n’ai pas d’alternative à proposer, je sais qu’une chose est sûre : la solution à 2 États est morte », écrit Carlo Strenger dans son blog “Strenger than fiction – Plus étrange qu’une fiction”.

Il sonne ainsi le glas d’un mode équitable de règlement du conflit que nous défendons de longue date : « Une terre deux peuples ! » étions-nous un certain nombre à clamer dès la fin des années soixante. Et il n’est pas le premier à dresser semblable constat ces derniers temps.

Qu’en est-il dans les faits ? Reste-t-il un lambeau d’espoir ou faut-il aujourd’hui faire preuve d’une imagination neuve et explorer d’autres solutions ? S’il en est encore qui n’aient été usées jusqu’à la trame.


On s’accorde à reconnaître Nahum Barnea pour l’un des journalistes les plus influents d’Israël, doté d’un jugement indépendant, livrant des reportages et des analyses justes et équilibrés. Il y a quelques jours, il a publié un article concluant sans ambages que le plan des colons avait atteint son but : la situation sur le terrain est irréversible, et la solution a 2 États n’est plus possible.

Cette tribune s’inscrivait dans le contexte d’une visite de Barnea à Migron, un avant-poste aujourd’hui sous les projecteurs des media israéliens. Le propriétaire palestinien des terres soutient qu’il les a jamais vendues et la Cour Suprême a statué qu’il fallait les évacuer.

Mais ce verdict ne suffit pas à impressionner Barnea. Autour de Migron, les implantations sont nombreuses auxquelles nul ne touche, du fait qu’elles ne sont pas construites sur des terres privées. Barnea soutient que cela fait de la Cour Suprême la complice du projet colonial :

« Le péché originel vient de la Cour Suprême. Dans la seconde décennie qui suivit la guerre des Six Jours, alors que l’entreprise de colonisation faisait d’une insignifiante lubie l’axe prioritaire de la politique menée dans les Territoires, la Cour Suprême fut priée d’émettre son avis en statuant sur un certain nombre de plaintes. Au fil des ans, les juges ignorèrent les lois internationales interdisant de fonder des implantations en terre conquise, pour se focaliser sur la question de la propriété : les Juifs peuvent s’installer n’importe où en Cisjordanie aussi longtemps qu’il ne s’agit pas de terrains palestiniens privés. »

Barnea exprime rarement des vues aussi tranchées. Invité de l’émission télévisée à forte audience de London et Kirschenbaum, il déclara que les gouvernements tant israélien que palestinien ne veulent ou ne peuvent payer le prix nécessaire à la mise en place de la solution à 2 États, lançant en conclusion que « nous savons tous comment tout cela finira ». Quand on lui demanda ce qu’il entendait par là, il répondit : « Il y aura une entité binationale à l’ouest du Jourdain… La solution à deux États n’est plus possible. »

Ce fut bien sûr une surprise. La plupart des politiques et des analystes de centre-gauche ont pour antienne : « Chacun sait comment le conflit israélo-palestinien finira. » Il va généralement de soi qu’il faut entendre par là une référence à la solution à 2 États telle que proposée par Clinton en 2000. Barnea pose que cette idée reçue est, au stade actuel, dénuée de tout fondement réaliste.

En cette fin d’été 2012, je ne puis voir aucun plan cohérent susceptible de se colleter à la réalité sur le terrain. Seule l’extrême-droite israélienne adopte une position claire : les rabbins du courant national religieux affirment purement et simplement que les Palestiniens n’auront pas de droits politiques au sein du Grand Israël, et certains des chefs des colons déclarent que la démocratie israélienne doit faire place à une théocratie.

La plupart des dirigeants de la droite modérée ne font aucune déclaration nette. Le président de la Knesseth Reuven Rivlin et l’ancien ministre Moshé Arens, du Likoud, y représentent deux exceptions notables : ils pensent qu’Israël devrait, tout en conservant son caractère juif, annexer la rive occidentale du Jourdain et accorder aux Palestiniens les pleins droits politiques. Le problème est qu’ils se fondent pour cela sur la théorie de Yoram Ettinger selon laquelle il n’y aurait qu’un million et demi de Palestiniens en Cisjordanie. Aucun démographe sérieux en Israël ne reprend cette idée à son compte, pas plus que le Bureau national de statistiques.

La situation sent mauvais, pour ne pas dire plus : l’extrême droite israélienne prône un apartheid théocratique, et la droite modérée construit son programme sur une illusion démographique – ou s’imagine que les Palestiniens iront fonder quelques Bantoustans isolés. Le centre et la gauche se taisent pour la bonne raison qu’ils ne disposent d’aucune position cohérente. Ils préfèrent s’étendre sur les questions sociales et économiques et se désintéressent de l’éléphant trônant au milieu du salon.

J’en suis venu à la conclusion que la solution à 2 États était morte fin 2011, avec l’échec de la demande de reconnaissance de la Palestine faite par Mahmoud Abbas auprès de l’ONU. Depuis que j’ai émis cette thèse, amis et lecteurs me demandent quelle alternative je propose. D’aucuns ont pensé que j’avais finalement adopté les positions de l’extrême gauche en faveur de l’État unique [binational] ; d’autres que j’avais viré à droite.

Ni l’un ni l’autre. Il est des moments où la réalité vous prend à la gorge, et où vous réalisez que votre plateforme politique n’est plus viable, quand bien même vous n’adhérez à aucune des alternatives. Je n’éprouve pas grand réconfort à me trouver en bonne compagnie : ce qui reste de la gauche israélienne paye du bout des lèvres tribut à la solution à 2 États, tout en sachant qu’il n’y a plus aucun moyen de la mettre en œuvre.

De mes conversations avec des diplomates et des politiques européens, il ressort que la même chose est vraie pour l’Europe occidentale. Faute d’une alternative à la solution à 2 États, les gouvernements européens n’ont avalisé aucune conception de rechange, mais ils commencent à réaliser que celle-ci ne se fera pas.

N’ayant aucune stratégie cohérente à proposer, je terminerai par des considérations historiques plus générales : le Moyen-Orient est actuellement en bouleversement permanent. À l’exception de l’Égypte, l’Iran et la Turquie, aucun de ses États n’a de profondeur historique et la plupart d’entre eux ont manqué de cohésion politique une fois leurs dictateurs renversés.

Nul ne peut prédire avec certitude à quoi ressemblera la carte du Moyen-Orient d’ici dix ans : pour commencer, il n’est pas sûr du tout que la Syrie se perpétuera en tant qu’État uni après la chute d’Assad. D’autres États pourraient se désintégrer eux aussi suivant des lignes de force ethniques et religieuses.

Il se peut fort bien que le conflit israélo-palestinien ne soit que le reflet de l’instabilité inhérente au Moyen-Orient. Cela signifie hélas que le sort de la région – y compris celui d’Israël – dépendra de forces historiques aveugles plutôt que d’une vision planifiée à long terme.