Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Conférence de la Liste d’Union à Sakhnin au cours de la campagne électorale de septembre 2019 ; au centre, le Président Ayman Odeh. © Barak Braun

Auteur : Jack Khouri pour Ha’aretz, 18 février 2020

https://www.haaretz.com/opinion/.premium-change-for-israel-s-arabs-requires-more-than-increasing-representation-in-parliament-1.8552469

Mis en ligne le 2 mars 2020


Ces derniers jours, les appels se sont multipliés, notamment de la part de Gideon Levy de Haaretz, pour que les Arabes votent en masse aux élections générales du 2 mars en Israël. Il s’agirait de la meilleure réponse à tous ceux qui leur crachent à la figure.

C’était le message de Lévy (« Arabes d’Israël : Assez de mendicité », 13 février), qui a été traduit en arabe et a été largement diffusé parmi les Arabes d’Israël. Lévy et tous ceux qui plaident pour une représentation arabe accrue à la Knesset ont raison. Il ne reste pas beaucoup d’autres options pour la population arabe d’Israël.

Voter dans le but d’influencer l’arène politique intérieure israélienne est la bonne tactique. Jusqu’à présent, la communauté arabe n’a jamais exploité pleinement son potentiel électoral, et tant que cela ne sera pas le cas, l’étendue de son influence restera un sujet de discussion.

Et pourtant, les 13 membres de la Knesset de la Liste commune, une alliance de partis à majorité arabe, n’ont pas réussi à bloquer l’adoption de la loi sur l’État-nation, ni empêché l’adoption de la loi Kaminetz (qui renforce l’application de peine contre les construction illégales et qui vise principalement les Arabes).

Ces 13 députés étaient également membres de la Knesset lorsque le « deal du siècle » a été présenté par le président Donald Trump, notamment la disposition appelant à des échanges de terres qui pourraient placer 300 000 citoyens arabes d’Israël sous la juridiction de l’Autorité palestinienne. En conséquence, ceux qui prônent un boycott des élections et ceux qui sont simplement apathiques et ne voient aucune raison de voter ont des raisons de penser que l’influence des membres arabes de la Knesset est très limitée de toute façon et continuera de l’être même s’ils sont plus nombreux.

Mais augmenter la représentation arabe à 15 sièges ou même au-delà pourrait en effet apporter un changement et dicter une nouvelle réalité que ni le Benny Gantz de Kahol Lavan ni le Premier ministre Benjamin Netanyahu ne pourraient ignorer. Dans la pratique, ce changement est déjà en cours, du moins dans les médias. Quand, par le passé, les membres arabes de la Knesset ont-ils bénéficié d’une telle exposition dans les principaux médias israéliens ?

Ayman Odeh et Ahmad Tibi, de la Liste commune, ont sauté d’un studio d’information à l’autre pour faire passer leurs messages, et pas un jour ne passe sans qu’on entende ou voie une interview d’un député arabe. S’ils ne livrent pas toujours les bons messages ou ne les présentent pas avec succès, au moins ils gagnent en visibilité et cela en dit long sur l’Israël de 2020.

Plus de députés arabes à la Knesset

Une augmentation du nombre de législateurs arabes suffirait-elle à apporter le salut aux citoyens arabes d’Israël ? La réponse est non. La société arabe n’est pas particulièrement résistante et si vous examinez sa situation actuelle, vous comprenez qu’elle est en crise profonde. Le véritable changement dans la société arabe ne se produira pas uniquement en raison de sa représentation à la Knesset. C’est un facteur important, mais il n’améliorera pas la situation à lui seul.

Ceux qui connaissent bien la société arabe savent que l’une de ses forces les plus influentes est le gouvernement local. Chaque maire est le miroir de ce qui se passe sous ses ordres, et de ce point de vue, la situation est sombre. Tant que la loyauté envers les clans, les tribus et les communautés ethniques continuera à jouer un rôle dans la définition de l’agenda politique de la plupart des communautés arabes, il sera difficile de parler de changement substantiel.

Un tel changement ne viendra pas de la Knesset ou du gouvernement national. Au contraire, ils ne feront que continuer à alimenter la détresse et tenteront de détruire tout modèle positif.

Il n’est pas nécessaire d’être un grand sage pour comprendre comment ce système a fonctionné pendant des décennies : l’État a contrôlé la société arabe par une politique de division et de conquête, ou de bâton et de carotte, et a ainsi influencé l’identité des dirigeants locaux.

Il faut admettre qu’au cours des dix dernières années, des signes de changement ont été observés dans plusieurs villes arabes. De nouveaux chefs de conseil, jeunes et dynamiques, qui ne dépendaient pas uniquement d’un clan ou d’un cordon ombilical communautaire, ont réussi à insuffler une nouvelle vie à leur communauté et à modifier l’approche des ministères. Et grâce à la liste commune, les choses se présentent un peu différemment.

Les organisations de la société civile se sont également impliquées en apportant leur soutien et leur assistance. Cette triade de responsables de conseils locaux, de politiciens et d’organisations à but non lucratif à vocation sociale a élaboré de bons modèles de changement. Mais toutes ces composantes, en particulier les organisations à but non lucratif, dépendent de la bienveillance des autres.

Il n’y a pas une seule organisation à but non lucratif dans la société arabe qui pourrait survivre par elle-même. Elles ont besoin d’une aide extérieure, principalement de financements européens et américains (y compris juifs). Le Comité supérieur de suivi arabe, qui chapeaute toutes ces entités, est géré avec un budget minuscule. Depuis des années, on parle de créer une fondation pour la communauté arabe, mais le sujet est resté au stade de la discussion. Le public arabe n’a pas de réel pouvoir sur le gouvernement.

Le rôle des campus universitaires

Il y a aussi un autre facteur : Les campus universitaires et collégiaux, où des dizaines de milliers d’Arabes sont étudiants. Il y a eu des années où ces campus étaient le principal lieu où les jeunes Arabes développaient leur identité politique. La plupart des membres actuels de la Knesset et ceux qui étaient membres du parlement au cours de la décennie précédente y ont commencé leur activité politique. Mais l’atmosphère qui a facilité cela a presque disparu des campus.

Les diplômés arabes de professions prestigieuses retournent dans leurs communautés avec un diplôme universitaire mais ignorent tout de la politique intérieure et internationale. Ils peuvent avoir un diplôme de médecine ou de droit, mais s’ils sont élus maires, ils se comportent comme les mukhtars* pendant les premières années d’Israël, lorsque les Arabes du pays étaient soumis à une administration militaire.

Nous ne devons donc pas nous leurrer en pensant que le salut viendra de la Liste commune et en augmentant la représentation arabe à la Knesset. À court terme, cette tactique pourrait être la bonne, mais à long terme, il faut investir beaucoup de réflexion pour obtenir un réel changement. Bien sûr, le potentiel est là; cependant, en l’absence d’un plan stratégique, le changement restera une chimère.

Mais nous n’avons pas encore perdu espoir.

*Le mukhtar (en turc muhtar) est, dans les pays d’Asie centrale et du Moyen-Orient, celui qui dirige un village ou un quartier, sorte d’équivalent du maire.