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Ha’aretz, 23 juin 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Israël ne serait pas Israël que nous connaissons si le premier ministre Ehoud Olmert avait donné dans l’évidence et rencontré Mahmoud Abbas juste après que la constitution de son gouvernement et le vote d’approbation de la Knesset. Mais, puisque chez nous, précisément, ce qui est évident ne vient à l’esprit de personne, Olmert n’a pas dévié d’un pouce du chemin suivi par ses prédécesseurs. Dès son entrée en fonction, il s’est mis en action et s’est envolé voir Bush, Blair, Chirac, Moubarak et Abdallah. Bref, tous les dirigeants du monde à l’exception du président palestinien, et ce pour leur expliquer pourquoi les conditions ne sont pas mûres pour un dialogue sans condition préalable avec les Palestiniens. Ce n’est qu’avec une mauvaise volonté évidente qu’Olmert s’est arrangé pour ne pas pouvoir éviter une semi-rencontre avec Abbas cette semaine, et encore, pour ne pas vexer le roi Abdallah. D’ailleurs, il s’agissait d’une « rencontre protocolaire », comme les sources de chez nous se sont assurées d’expliquer.

Si cela vous rappelle quelque chose, c’est parce que la planète Israël tourne toujours autour du même axe rouillé, comme s’il n’y avait pas eu d’élections (comme toujours après les élections). Au moins au début de son mandat, chaque nouveau premier ministre retourne immédiatement pour adopter la conduite défectueuse de son prédécesseur, qu’il considère alors, soudain, comme « parfaite ». Comme eux, le nouveau premier ministre commencera toujours par jouer du muscle militaire, car tout compte fait, l’option guerrière est l’option par défaut la plus prête à l’emploi. La seule option par défaut qui soit encore plus facile à l’emploi, c’est d’envoyer de l’argent aux colonies.

Ainsi, élections ou pas, les assassinats et les bavures regrettables reprennent majestueusement, avec leur cortège habituel d’auto-justifications et d’auto-congratulations, sur notre « pureté des armes » et nos prétention à avoir l’exclusivité du sentiment de victimes, alors que l’inertie de la colonisation continue à nous perturber en secret, comme un tic incontrôlable.

Ehoud Olmert, en à peine deux mois, s’est débrouillé pour remplir son quota de clichés, alors que ses prédécesseurs avaient eu besoin pour le faire de la totalité de leur mandat. Il est arrivé à dire que « Tsahal est l’armée la plus morale du monde », sans vérifier, juste en le disant, comme tout premier ministre. Il a déjà demandé que « tous les Juifs du monde immigrent en Israël » (où ? à Sderot ?). Tout ce qui lui manque, c’est de dire ques habitants de Sderot « ne sont pas sympathiques » [[(1) mots de Golda Meir après une rencontre avec les « Panthères Noires « , mouvement de protestation de Juifs orientaux actif dans les années 70. ]], ou « qu’il ne pardonnera jamais aux Arabes de nous obliger à les tuer » [[autre célèbre déclaration de Golda]], et nous pourrions alors identifier immédiatement le syndrome qui frappe tous les premiers ministres israéliens depuis Golda Meir : le terrible « syndrome Golda ».

Bien entendu, il est prématuré de juger Olmert en tant que premier ministre, mais il n’est jamais trop tôt pour l’avertir des horreurs de ce syndrome, dont les symptômes sont clairs et sans équivoque. Symptômes les plus spectaculaires : arrogance et condescendance à l’égard de l’environnement moyen-oriental en général ; besoin d’être didactique ; un point aveugle qui rend invisible la présence politique des Palestiniens ; une bonne conscience primaire et sans fin, qui voit tout en noir et blanc (nous avons toujours raison, le mal est entièrement du fait de nos ennemis, et toute chose justifie le maintien du statu quo).

Ce syndrome est si virulent que même des premiers ministres audacieux, qui ont entamé leur mandat dans un état d’esprit révolutionnaire et vigoureux, ont été désarmés. Tous, ou quasiment, finissent par se transformer en Golda et ont du mal à échapper au moule. La plupart perdent les deux tiers de leur mandat en arguties arrogantes et confortables, pleines d’autosatisfaction et d’idées arrêtées, croyant qu’il n’y a rien à faire, qu’il n’y a personne à qui parler et que nous n’avons « pas le choix », à part celui offert par le chef d’état-major. Le dernier tiers, ils le passent en gesticulations diverses, ayant soudain vu la lumière et essayant désespérément d’accomplir quelque chose de courageux et d’historique. Mais à ce stade, ils sont usés, et le mandat se termine.

Olmert sera-t-il épargné par ce syndrome ? Par mesure préventive, on pourrait lui conseiller d’essayer de renverser le calendrier israélien habituel. Cela pourrait vraiment constituer un cahngement révolutionnaire : essayer l’intelligence, le changement et un sentiment d’urgence dès le début de son mandat, en laissant pour la fin le confort, la prétention et les arguties.