De nouveau la peur, l’angoisse côté israélien. Quelques secondes pour se mettre à l’abri. Cette fois, pas de victime à déplorer  grâce à la chance d’une part, à Dôme de fer d’autre part – l’ordre importe peu. Le Jihad islamique aurait voulu un autre bilan et il espérait bien l’obtenir avec les quelque 400 roquettes lancées à l’aveugle sur les villes et agglomérations mais les autorités israéliennes ont lourdement investi pour assurer la protection des citoyens, autant que faire se peut. Côté palestinien, destructions et victimes civiles, outre les combattants du Jihad. On a beau connaître ce film depuis longtemps (première roquette à atteindre Sdérot en mars 2002), savoir quelle en sera la fin (une trêve, mais au bout de combien de jours interviendra-t-elle ?), on ne peut se résoudre à cette triste réalité que payent d’un prix élevé les deux populations.

Le lancement de l’opération contre le chef du Jihad islamique à Gaza, sans doute sur la base de considérations « professionnelles  » et sécuritaires, n’a pas empêché certains de s’interroger, tant toute décision de la part de Netanyahu est suspecte de conflit d’intérêts. Il a semé la confusion entre défense de la sécurité du pays et défense de l’immunité de sa personne.


Un député du parti travailliste, fils de l’ancien chef d’état-major Haïm Barlev, ancien officier supérieur lui-même, Omri Bar-Lev, n’a pas manqué de remarquer qu’il y a eu par le passé de nombreuses occasions de se débarrasser de ce leader du Jihad islamique … »Je me demande pourquoi aujourd’hui?… Au cours des 18 derniers mois, près d’un millier de roquettes ont été tirées sur Israël et Netanyahu n’a pas décidé de le faire. Ce n’est que pendant le week-end où il a nommé Naftali Bennett au poste de ministre de la Défense, le même qu’il n’a pas nommé à ce poste après la démission de Lieberman – et qu’il a même renvoyé du cabinet de sécurité, estimant qu’il n’était pas digne d’être membre de cette instance et certainement pas d’être ministre de la Défense – qu’il prend cette décision… Le seul changement que je note par rapport aux occasions du passé, c’est que nous sommes deux heures avant la prise de fonction de Naftali Bennett et sept jours avant la fin du mandat de Benny Gantz... ».

Il semble établi que si le politique n’a pas motivé cette opération, le politique n’en a pas pour autant été absent. A ce niveau, Netanyahu a fait preuve d’une grande « habileté » en accentuant ses attaques contre la Liste arabe unifiée et en montant d’un cran dans la délégitimation des Arabes israéliens afin qu’ils ne rentrent pas dans le jeu politique. Il est venu à l’improviste à un débat à la Knesset, pour l’informer, sans doute, mais en fait pour pousser à la faute les députés arabes. Sa manœuvre a parfaitement réussi ; certes ces derniers se trouvaient dans une situation difficile, coincés entre l’envie d’intégrer l’arène politique israélienne, et leur « solidarité » palestinienne. Ils s’étaient efforcés dans leur réprobation de différencier l’élimination ciblée du leader djihadiste des bombardements sur Gaza. Ils n’ont pu se démarquer bien longtemps et ont fini par entrer dans le jeu de Netanyahu en provoquant un incident à la Knesset : l’option d’un parapluie déployé par les députés arabes est devenue caduque. Ces derniers pourront difficilement apporter une protection à un gouvernement minoritaire conduit par Benny Gantz qui, lui, a totalement endossé l’opération. Une telle protection ne pourra plus être assumée par le parti Bleu Blanc sans prêter le flanc à une campagne de dénigrement de l’opposition qui pourra surfer autant qu’elle le veut sur l’assertion qu’entre solidarité avec les habitants de Gaza, en deçà et au-delà de la frontière, les députés arabes ont nettement choisi leur camp.

Ainsi l’utilisation politique de l’opération militaire, même si la motivation profonde ne relevait pas de ce registre, aura sans doute permis à Netanyahu de réduire à néant les chances déjà faibles d’un rapprochement avec les députés arabes et d’affaiblir par conséquent l’éventualité d’un gouvernement minoritaire. S’en trouve renforcée l’option d’un gouvernement d’union nationale ainsi que celle d’un avantage à Bibi dans l’optique d’un troisième tour électoral.

Nous aurons l’occasion de revenir sur le clivage entre le Hamas qui n’a pas bougé et le Jihad islamique qui s’est retrouvé certes isolé mais a néanmoins obtenu une « sorte » de reconnaissance de la part d’Israël et de l’Égypte avec lesquels il y a eu tractations pour obtenir le cessez-le-feu.
Si les autorités israéliennes admettent ce que les instances sécuritaires répètent en vain, à savoir que le calme à Gaza passe simultanément par un usage pondéré de la force et par l’amélioration conséquente des conditions de vie, ce qui revient à dire qu’il faut avancer sur les deux jambes, la militaire et la politique, alors cette opération n’aura pas été inutile. Dans le cas contraire, il est clair que ce qui s’est produit hier se reproduira demain.

Depuis le temps que les leaders israéliens sont unijambistes, on peut craindre qu’ils le restent… En ce cas, la réponse à la question posée en titre de cette chronique ne souffrira hélas d’aucune ambiguïté.

Ilan Rozenkier

Illustration : Amos Biderman, Haaretz, 14/11/2019: parmi les mariages annulés suite à l’opération « Ceinture noire », celui envisagé entre le parti Bleu-Blanc et la Liste unifiée arabe en vue de la formation d’un gouvernement minoritaire  bénéficiant d’une « protection » des députés arabes.