L’absence “inexplicable” du Premier ministre d’Israël à l’hommage rendu à Nelson Mandela au stade de Soweto [1] ne paraît que trop bien s’expliquer aux yeux de Yariv Oppenheimer.

Le secrétaire général de Shalom Akhshav (LPM) publiait ainsi sur le site israélien Walla, avant même l’annonce tardive de la défection à son corps défendant du président Shimon Péres [2], la prise de position suivante.


Les éloges funèbres faits par la droite israélienne du combattant sud-africain de la liberté vont de l’inconscience à l’hypocrisie. Même si la symétrie n’est pas absolue entre l’apartheid et l’occupation, Israël représente tout ce contre quoi Mandela s’est battu.

Pourquoi les Nétanyahou ne se rendent-ils pas aux cérémonies en mémoire de Nelson Mandela ? La raison n’en est sûrement pas le coût élevé du vol (après tout, on a trouvé sans difficultés le budget nécessaire à la venue du couple aux funérailles de Margaret Thatcher), ni un soudain accès d’humilité. Le Premier ministre cherche cependant tous les prétextes pour éviter d’exprimer, aux côtés des dirigeants du monde entier, ses derniers respects à l’homme qui a combattu et vaincu le régime d’apartheid – et il sait pourquoi.

À entendre Nétanyahou, Benett, Miri Regev et leurs commensaux de droite faire sur leurs pages Facebook l’apologie de Mandela, « combattant de la liberté qui a changé le monde par la force de la volonté », on aurait pu prendre Mandela pour un écologiste exceptionnellement efficace, ou tout au moins pour un héros de BD parvenu à battre le diable grâce à ses pouvoirs surnaturels. Tant de superlatifs et de clichés, et pas un seul mot juste sur la lutte de Mandela contre le régime d’apartheid – la domination d’une minorité blanche sur une majorité noire, le règne de la force, de la discrimination, de la violence et de l’argent.

Contrairement à ce que Nétanyahou voudrait nous faire croire, l’apartheid ne fut pas seulement un régime raciste établissant des discriminations entre un homme et un autre du fait de la couleur de sa peau. C’était la mise en œuvre de la politique d’une nation qui voulait en dominer une autre. Une minorité blanche qui régnait du fait de sa suprématie militaire et économique tout en dépossédant la majorité noire du pays de ses droits civiques. Les Blancs à l’époque de l’apartheid voulaient régner sur un autre peuple, définir son mode de vie à sa place, maintenir une démocratie réservée aux seuls Blancs et jouir de tous les biens du pays sans les partager à égalité avec la majorité noire indigène. Dans le même temps, le gouvernement d’apartheid souhaitait continuer à entretenir des liens politiques et commerciaux avec les nations du monde et être considéré comme un État légitime.

Les Blancs tentaient de réprimer le soulèvement noir par la force, châtiant et incarcérant les prisonniers politiques, mais les images des morts et des blessés pesaient dans la balance et, au bout de nombreuses années, le monde comprit que l’Afrique du Sud ne pourrait faire partie du concert des nations tant que le régime d’apartheid persisterait.

L’apartheid aussi était “une écharde fichée dans le postérieur »

Même si la symétrie n’est pas parfaite, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec la situation dans les territoires occupés. La volonté de la droite pro-implantations de continuer à diriger les Territoires sans accorder aux Palestiniens l’égalité des droits civiques, dont le droit de vote, est semblable à la celle de la minorité blanche de gouverner l’Afrique du Sud et d’y maintenir un système politique neutralisant la majorité noire ; la conviction que tout va s’arranger et qu’il ne s’agit que d’une “écharde dans le postérieur” est elle aussi la même dans les deux cas. Mais les conclusions douloureuses auxquelles le régime d’apartheid s’est trouvé confronté ne se sont pas imposées, si évidentes soient-elles : nous ne pouvons continuer à gouverner les Territoires sans accorder aux Palestiniens soit la citoyenneté à part entière, soit leur propre État. Tout autre solution serait source de discrimination ou d’occupation et est vouée à s’éteindre, pacifiquement ou dans la douleur.

Aux yeux du monde, la différence critique entre les deux cas était et demeure qu’au contraire du régime d’apartheid, croyait-on, Israël n’entend rester dans les Territoires que de façon temporaire et dans un souci de sécurité, plutôt qu’à titre de solution permanente. Ce qui pourrait être exact si la construction de dizaines de milliers d’unités de logement dans les Territoires ne venait saper et gommer jusqu’à ce distinguo. Par de telles mesures, les gouvernements israéliens de ces dernières décennies ont progressivement rendu l’occupation irréversible.

Le rédacteur des discours de Nétanyahou est en vacances et le Premier ministre va tenter de s’esquiver quelques heures cette semaine afin de laisser le monde se souvenir sans lui. La mort de Nelson Mandela embarrasse le gouvernement israélien et celui qui le dirige, mettant Israël dans une position quasi impossible. Outre les résidus du passé – dont la coopération entre le gouvernement israélien et le régime d’apartheid, le long délai avant qu’Israël se joigne aux sanctions le frappant, et la défiance personnelle de Mandela envers Israël – la mort du grand leader embarrasse les dirigeant israéliens du fait des valeurs qu’il représente et pour lesquelles il s’est battu sa vie durant.

À l’instar du Mahatma Ghandi et d’Abraham Lincoln avant lui, Nelson Mandela s’est mué de son vivant en icône de la lutte des faibles et des opprimés pour la liberté, l’égalité et la démocratie. On ne peut célébrer son éloge sans faire le rapport avec la réalité dans les Territoires, dont la responsabilité première repose sur le gouvernement israélien.


NOTES

1] Newsletter de nos amis de JCall, intitulée « Une décision inexcusable », et reprise sur Internet dans Le Monde juif vous parle : [

On peut notamment y lire : « La décision prise par le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, de ne pas assister à la cérémonie en l’honneur de Nelson Mandela est inexplicable. Le gouvernement d’Israël s’exclut lui-même de l’hommage rendu par la communauté internationale à l’un des hommes les plus respectés de notre époque. Cette absence survient à un moment où l’État juif a plus que jamais besoin d’être présent sur la scène internationale. […] S’il fallait encore une preuve que les dirigeants actuels de l’État d’Israël sont capables de nuire aux intérêts essentiels de leur pays, elle nous est apportée ici de la manière la plus éclatante. »

[2] « Le monde a perdu un grand dirigeant qui a changé le cours de l’histoire » disait Shimon Pérès dès l’annonce du décès de Nelson Mandela, et sa sincérité ne souffre pas de doute. Il a pourtant dû renoncer au dernier moment à faire le voyage de Johannesburg – officiellement « pour raisons de santé ». Maladie diplomatique inoculée par les services du Premier ministre ? On pourrait le penser à entendre le porte-parole de la présidence insister sur l’interdiction formelle du médecin et les très vifs regrets du président, qui « tenait vraiment » à prendre part à l’hommage international. Mais Israël n’est pas la France de la Ve République, et le président n’y a pas la haute main sur les Affaires étrangères.