Le 7 mai au soir s’est tenue à Tel Aviv, devant plus de 8 000 personnes dont une centaine de Palestiniens qui ont fini par obtenir l’autorisation de se rendre en Israël pour y prendre part, la Cérémonie israélo-palestinienne du Souvenir. Elle a suscité chez certains, comme les années précédentes, incompréhension, colère et parfois même, hostilité violente.
Yuval Rahamim, dont le père a été tué pendant la Guerre des 6 jours a participé à cet événement. Il  en a été le premier intervenant.
Pour suivre son allocution, sous-titrée anglais:
Le 10 mai, il a publié dans Yediot Aharonot un point de vue intitulé « J’ai  participé à la cérémonie du souvenir avec l’ennemi. Ça vaut la peine que vous le fassiez aussi. »
« Je comprends la rage et la haine que suscite ce cérémonial israélo-palestinien… J’ai moi-même participé aux cérémonies classiques jusqu’à ce que je comprenne qu’il nous faut moins d’armes et davantage du courage de les regarder dans les yeux… »

Traduction : Bernard Bohbot pour LPM

Photo : Yuval Rahamim lors de son intervention à Tel Aviv, le 7 mai 2019 – https://www.facebook.com/cforpeace/videos/429356287842424/UzpfSTg1MDMzNDA4MzoxMDE1N

https://yuvalrahamim.wordpress.com/2019/05/13/memory-and-peace-2019/ (en anglais)

https://www.ynet.co.il/articles/0,7340,L-5506659,00.html (en hébreu) 


Lorsque je me suis présenté devant plus de 8 000 participants à la Cérémonie israélo-palestinienne du Souvenir, je savais que je m’adresserais à un auditoire d’esprit ouvert et fort désireux de prendre part à ce  » parcours de la vie « , du deuil à la réconciliation.

Mais est-ce que je comprends ceux qui ont manifesté contre la cérémonie ? Bien sûr, j’en ai fait moi-même longtemps partie. Quand mon père a été tué dans la guerre des Six Jours, j’ai décidé de venger son sang. Je savais qu’en grandissant, j’irais à l’armée et j’aurais la chance de tuer autant d’Arabes que possible. Aux commandes de mon avion F4 Phantom, je vais les bombarder, abattre leurs MiG comme des mouches et écraser leurs camps. Je prenais très au sérieux ces projets romantiques et  suis même allé dans un établissement militaire pour me préparer à ma mission.

Puis une autre guerre a éclaté, puis une autre encore, puis encore d’autres opérations, attaques, intifadas, processus de paix, et guerres à nouveau. J’ai compris la simple vérité – les guerres engendrent le deuil, la destruction et plus de rage, blessent les familles et produisent des ondes de douleur qui se propagent comme une pierre dans une flaque d’eau. Aucun foyer en Israël n’a été épargné par ces vagues de douleur.

Oui, je comprends la rage et la haine. J’avais moi-même la haine comme seul un enfant de huit ans peut haïr l’ennemi qui a tué son père bien-aimé. Mais j’ai compris toutefois que l’impératif Mort aux Arabes n’apporterait pas le repos à l’âme en deuil ni la rédemption à mon cœur brisé. J’ai compris que je devais essayer de briser ce cercle vicieux et c’est ainsi qu’il y a une dizaine d’années, j’ai rejoint le Forum des familles endeuillées.

Je ne me leurre pas un seul instant. Je ne crois pas que les Palestiniens assis avec nous sont nos frères. Ils sont également endeuillés, frères et sœurs perdus, fils ou mères décédés, mais ils sont toujours nos ennemis. Je n’oublie pas un seul instant d’où je viens ni de quel côté de ce conflit je me situe. Je suis un Israélien, un sioniste – eux sont des Arabes palestiniens – et nous nous battons pour la même terre sainte. Pour eux, s’asseoir avec nous fait partie de leur lutte pour la Palestine, une lutte non-violente mais toujours une lutte. Et cette lutte imprègne nos conversations, nos discussions et nos opérations au quotidien de l’organisation. Parmi ceux qui participent à ces discussions, on retrouve des collègues en deuil, ennemis des deux côtés de la barricade, et non des amants. Néanmoins, nous avons réussi à créer des potentiels de réconciliation et d’échange qui sont un modèle pour le monde entier. Nous avons trouvé le moyen de surmonter un conflit sanglant, de reconnaître les besoins des uns et des autres, de respecter nos différences culturelles, existentielles, religieuses et politiques.

Un énorme fossé nous sépare. En tant qu’Israéliens, nous avons réalisé nos désirs d’indépendance, en créant un État merveilleux, développé et prospère. Nos besoins nationaux ont été pleinement satisfaits et nous envoyons nos enfants dans l’armée avec fierté pour la victoire que nous avons remportée sur notre passé tragique. Le jeune État d’Israël a été forcé de se battre pour son existence, mais nos guerres n’ont depuis longtemps produit ni sécurité ni paix. La guerre qui se déroule dans notre arrière-cour est perçue comme un gros acte de terrorisme, une nuisance, une violation de la sécurité et de la tranquillité que nous désirons tant.

Pour les Palestiniens, la lutte pour la libération représente leur réalité nationale, sociale et personnelle. Ils ne sont pas parvenus au repos, et encore moins à recouvrer leur patrimoine. Leur vie quotidienne est une peur existentielle et une lutte pour la survie. Et nous, qui nous croyons les victimes du conflit, sommes considérés par eux comme des dirigeants cruels.

Les guerres finissent toujours par des accords. Une victoire militaire n’a aucun sens si elle n’apporte la paix à toutes les parties – les vainqueurs et les vaincus. Nous n’avons pas encore réussi à transformer toute notre force et nos victoires en un accord de paix avec les Palestiniens. Cela n’exige pas de moyens technologiques et de budgets de sécurité supplémentaires, mais des dirigeants courageux capables de s’asseoir aux côtés de l’ennemi, de le regarder dans les yeux, de comprendre son langage et ses besoins et, avec détermination, fermeté et quelques concessions, de mener des négociations qui permettront de libérer le pays des cycles des effusions de sang.

Et si vous ne savez comment, nous vous invitons à nous rejoindre, nous côtoyons l’ennemi depuis vingt ans, pas seulement le jour du Souvenir.

L’AUTEUR

Yuval Rahamim, Membre du Forum, des familles endeuillées, Directeur du Forum des ONG israéliennes et israélo-palestiniennes pour la paix