Shalom Akhshav, 6 juillet 2008

[->http://www.peacenow.org.il/site/en/peace.asp?pi=61&fld=538&docid=3326]

Traduction : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Prologue : la jungle de Cisjordanie

Il semble que les informations faisant état de heurts entre des colons violents, la police et l’armée israéliennes et des Palestiniens soient désormais quasi quotidiennes.
Les jets de pierres et les tirs à balles réelles sont devenus la règle.
Souvent, lors de ces heurts, la police et l’armée, au lieu d’éloigner les colons des lieux, décident de se défendre en tirant à balles réelles sur de jeunes Palestiniens.
Voici trois histoires, parmi de nombreuses autres, qui témoignent de ce qui se passe dans la jungle de Cisjordanie, terre des colons et de l’occupation.

Chapitre premier : Quelqu’un a tiré et quelqu’un a été blessé

Lieu : village d’Immatin, Cisjordanie.
Jour et heure : 31 mai 2008, 18h 30.

« Hagit ? » Zakaria, un militant des Rabbins pour les droits de l’homme, m’appelle au téléphone. « Je suis en route pour Immatin. Aujourd’hui, des colons ont attaqué le village, il y a des blessés.“ Ce jour-là, je me trouvais dans la région. J’étais en réunion avec des habitants de Deir Istiya, où des colons avaient commencé à construire sur des terres du village, proches de la colonie de Rehava. Je quitte la réunion et me rends à Immatin.

Tous les villageois sont dans les rues, en petits groupes, et parlent de ce qui est arrivé. Une ambulance me passe devant pour rejoindre rapidement l’hôpital de Qalqiliya. Un adolescent me conduit vers les champs, situés en bordure du village. Je trouve un groupe d’adolescents et de quelques adultes qui déambulent et discutent. L’un des jeunes me dit : “Nous étions trois. Vers midi, un groupe de jeunes colons est arrivé, accompagné de soldats. Ils se sont mis à nous railler, puis à nous injurier et à nous jeter des pierres. Les soldats nous ont ordonné d’aller voir ailleurs. Vers 18h, ils sont revenus, plus nombreux. De nouveau, injures et jets de pierres. Nous avons répondu. Soudain, deux balles ont été tirées dans notre direction. L’un d’elle a atteint mon ami à la hanche, heureusement, rien de grave. La deuxième a touché le bras de Riziq. Il a été emmené à l’hôpital. »

L’un des jeunes a tout filmé avec son téléphone portable. La qualité du clip n’est pas très bonne et il est difficile de distinguer les détails. On peut toutefois voir clairement un groupe de jeunes habillés en chemises blanches de Shabbat et, avec eux, deux soldats. Les sons sont plus clairs. On entend la respiration lourde de quelqu’un, quelques cris et injures en arabe (peut-être aussi en hébreu) et, soudain, deux tirs, l’un après l’autre, semble-t-il par les soldats.

Un journaliste de Ynet (site web du quotidien Yediot Aharonot) écrit une brève : « Des sources palestiniennes ont indiqué que deux habitants … ont été blessés après avoir été attaqués par des colons … Les colons et l’armée démentent. » Moins d’une heure plus tard, Ynet publie une autre version. Cette fois, l’armée ne dément plus l’information, mais explique que les soldats « ont séparé les deux parties et tiré en l’air. Tsahal affirme ne pas être informé d’une quelconque blessure lors de cet incident, et que l’information de source palestinienne selon laquelle il y aurait eu des blessés par des tirs de colons est fausse. »

Chapitre deuxième : les policiers se défendent de jets de pierres

Lieu : colonie de Yitzhar.
Jour et heure : 19 juin 2008, 9h 30.

Des forces de police et de l’Administration civile arrivent à l’avant-poste illégal de Yitzhar pour démolir un bâtiment. D’après les informations publiées dans les médias, les colons s’attaquent à la police. Quatre policiers sont blessés. Une policière est blessée à la tête par une pierre. D’après les colons, la violence policière a fait 11 blessés. Ils se plaignent d’usage excessif de la force, dont des matraques. Réaction de la police : « Aucune matraque n’a été utilisée. Dès que les pierres ont commencé à voler, nous avons ordonné aux policiers de se défendre. Nous avons utilisé des boucliers et non des matraques. »
A la suite de cet incident, huit colons sont arrêtés, soupçonnés d’avoir jeté des pierres. Pour autant que nous le sachions, le juge leur a interdit de se rendre à Yitzhar et ils ont dû payer une caution de 1 000 shekels.

Chapitre troisième : « Considérés comme dangereux »

Lieu : tribunal militaire, base d’Ofer.
Jour : 5 mars 2007

A la base militaire d’Ofer, il y a une longue queue de Palestiniens. Hommes et femmes, enfants et vieillards, assis sous une bâche ou debout sur le côté, attendant qu’on appelle leur nom pour assister à l’audience du tribunal militaire ou pour rendre visite à un proche en prison. J’étais là pour la première fois. Interdiction de porter quoi que ce soit, ni sac à main, ni téléphone. Une inspection soigneuse, une fouille au corps, et je suis à l’intérieur. Je passe les barrières et j’arrive à la caravane qui fait office de tribunal, où a lieu un débat sur la prolongation de l’arrestation d’un Palestinien de 50 ans et de son fils de 19 ans, qui souffre d’un retard mental. Accusation : jet de pierres depuis leur domicile de Hebron.
Une semaine plus tôt, un colon de Giv’at ha’Avot, à Hebron, avait tiré en direction de Palestiniens qui gardaient leurs moutons près de chez eux. Le père des bergers avait entendu le tir et était sorti de chez lui. Les policiers du commissariat de Hebron, situé à une cinquantaine de mètres de là, avaient eux aussi entendu le tir et s’étaient rendus sur les lieux. Le colon a déclaré : « Les Palestiniens m’ont jeté des pierres. Des soldats (arrivés quelques minutes après le tir) ont témoigné qu’il y avait eu des pierres et que le tir était une réaction. » Les policiers demandent au père de les accompagner au commissariat pour déposer une plainte contre le colon qui avait tiré en direction de son domicile. Arrivés au commissariat, ils informent le père et le fils qu’ils sont en état d’arrestation pour avoir jeté des pierres.
Des militants de l’association « Les Enfants d’Abraham », qui se trouvaient là par hasard, avaient vu ce qui s’était passé. Tous les efforts pour convaincre les policiers qu’il s’agissait d’une erreur et que l’attaquant était en réalité le colon n’ont servi à rien. Le père et le fils ont été arrêtés. « Les Enfants d’Abraham » ont décidé d’essayer d’aider, et c’est ainsi que je me suis retrouvée à cette audience du tribunal, pour aider à traduire (je me suis sentie à la fois impuissante et dégoûtée par ce que je voyais à ce « tribunal militaire », mais sur cela, j’écrirai une autre fois).
Le père et le fils se tenaient assis, voûtés, sans rien dire. Après une semaine en état d’arrestation, ils paraissaient fatigués, désemparés et en assez mauvaise santé. Le juge tentait de s’en tenir à l’ordre du jour : l’audience concernait la prolongation d’une arrestation et non la culpabilité des accusés. Le procureur militaire demanda que ceux-ci soient attachés jusqu’à la fin de l’audience. L’avocat, Gabi Lasky, requit leur libération immédiate. Finalement, le juge décida la libération du père, compte tenu de l’absence de preuves de son implication, sous caution de 4 000 shekels (réduite à 2 000 à la demande de l’avocat, vu la situation économique difficile de la famille). Mais le fils demeura en état d’arrestation, attaché jusqu’à la fin de l’audience, le délit de jet de pierre étant « considéré comme dangereux ».
Une pierre peut tuer et, en conséquence, le soupçon du délit doit être traité avec le maximum de sérieux.
Finalement, le père ne fut libéré que quatre jours plus tard, le procureur ayant demandé une prolongation de 72 heures pour décider de faire ou non appel. Quelques jours plus tard, le fils fut lui aussi libéré. Aujourd’hui, plus d’un an plus tard, leur procès n’est toujours pas terminé.

Lieu : le village palestinien de Bidu, nord-ouest de Jérusalem.
Jour : le 8 juillet 2008.

La semaine dernière, Muhammad Abou fêtait son 14e anniversaire. Une semaine plus tôt, il avait été libéré des prisons israéliennes. Selon le procureur militaire, il avait été pris en flagrant délit de jet de pierres en direction du Mur. Le tribunal militaire l’a condamné à 4 mois et demi de prison, 1 000 shekels d’amende et cinq ans avec sursis. « Il y avait beaucoup d’enfants avec moi en prison. J’ai été dans trois prisons différentes : Ofer, Tel Mond et Damun. » “Tout ça pour avoir jeté des pierres sur des soldats ? », ai-je demandé. « Pas sur des gens, j’ai été condamné pour avoir jeté des pierres sur le Mur. »

Chapitre quatrième : Les pierres de la Terre d’Israël sont d’un genre particulier

Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé à Immatin. Je n’ai que ce que j’ai vu et entendu. Mais je n’ai aucun doute : les colons se sont approchés très près du village, à environ 500 mètres de leur avant-poste. Ils avaient des soldats avec eux. Quelqu’un a tiré et quelqu’un a été blessé.
Quelques mois auparavant, des colons avaient occupé une maison palestinienne vide près de la colonie de Kedoumim et l’avaient déclarée « l’avant-poste Shvout Ami ». La police et l’armée ont évacué la maison des dizaines de fois. Cependant, même s’il s’agit d’un avant-poste illégal, l’armée se sent responsable de la sécurité des colons. Si ceux-ci décident « d’aller faire un tour » dans un village palestinien des environs, des soldats les accompagnent et les protègent.
Il peut y avoir eu des « circonstances atténuantes » pour le coup de feu. Des pierres ont pu être jetées par des Palestiniens pendant les provocations et, peut-être, les soldats se sont-ils sentis menacés. Après tout, les pierres peuvent tuer et sont donc « considérées comme dangereuses ». Et, au lieu de se défendre comme l’ont fait les policiers dans la colonie de Yitzhar, ou d’éloigner les colons des lieux, ils ont décidé de se défendre en tirant à balles réelles en direction des jeunes Palestiniens.

Conclusions provisoires :

 1. Les pierres jetées par les colons sur la police à Yitzhar ont provoqué les blessures de cinq policiers. Elles ont conduit les policiers à se défendre des pierres à l’aide de boucliers et à l’arrestation de 8 suspects, en détention pendant moins de 24 heures et libérés sous caution (1 000 shekels).

 2. Les pierres qui, semble-t-il, n’ont pas été jetées à Hebron ont conduit à une arrestation qui a duré 11 jours, à la libération d’une personne sous caution (2 000 shekels) et à une procédure toujours en cours. Nous ne sommes pas informés d’une quelconque procédure à l’encontre du colon qui a ouvert le feu.

 3. La pierre qui a pu être jetée par des Palestiniens à Immatin a provoqué des coups de feu tirés par des soldats et la blessure d’un jeune Palestinien. Aucune enquête n’a été effectuée concernant ces coups de feu car, selon l’armée, ils ont été tirés en l’air et il n’y aurait pas eu de blessé.

Il semble que les pierres de la Terre d’Israël sont d’un genre particulier. Les pierres peuvent tuer. Mais la question est : tuer qui ?

Epilogue : Le bus de Shalom Akhshav caillassé

Lieu : Route n° 60, près de la colonie de Shilo.
Jour et heure : 4 juillet 2008, 15h.

Par chance, la pierre a frappé le cadre entre les deux fenêtres. Le visage du passager assis à la fenêtre n’a pas été touché.
Nous terminions une visite de Shalom Akhshav en Cisjordanie. Nous en avions coordonné le parcours avec la police, qui l’avait approuvé. Mais des policiers sur le terrain nous ont empêchés d’entrer dans les colonies et nous avons dû nous contenter de les regarder de loin. Des colons ont commencé à s’approcher de notre groupe et de nous insulter. Après chaque arrêt, la file des voitures des colons qui nous suivaient s’allongeait. La police nous escortait. Soudain, près de la colonie de Shilo, nous avons été caillassés. Une pierre a frappé une vitre. Par chance, personne n’a été blessé. Certains de nos militants ont pu voir les jeteurs de pierres, des hommes jeunes, portant une kippa, probablement des colons des environs. Nous avons fourni à la police leur description détaillée et les policiers ont dit : « Ah oui, nous les connaissons. »
Maintenant, nous attendons de voir si la police les rattrape et les punit. Ou bien la police va-t-elle plutôt nous interdire de futures visites en Cisjordanie, comme cela a été fait pour Hebron : les colons nous avaient attaqués et la police a décidé de ne plus nous autoriser à pénétrer dans Hebron.