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Ha’aretz, 11 octobre 2006

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


La protestation publique contre la guerre du Liban, qu’on avait déclarée morte il y a plusieurs semaines, refuse de rendre son dernier souffle. Même si l’establishment politique semble être revenu à l’état de « business as usual », les groupes extra-parlementaires refusent de céder aux tentatives de forcer la protestation à tomber dans les oubliettes.

Il ne s’agit pas seulement de la manifestation prévue pour demain à Jérusalem, pour exiger une commission d’enquête d’Etat. La protestation a changé de nature, et la composition de cette manifestation indique la profondeur de la crise que la guerre a provoquée.

Seule une vraie crainte sur la conduite du pays, au front comme à l’arrière, pouvait créer une alliance politique entre la droite et la gauche et donner naissance à une coalition qui comprend, outre les parents endeuillés, les mouvements de jeunesse du Meretz, d’Israel Beitenou et du Parti travailliste, ainsi que le président des étudiants de l’Union nationale. [[Meretz : gauche, proche des positions de Shalom Akhshav (La Paix Maintenant)
Israel Beitenou : parti russophone et populiste (proche de l’extrême droite)
Union nationale : parti religieux nationaliste proche des colons
Travaillistes : travaillistes… (gauche, centre, parfois droite, c’est selon).]]

Ce genre d’alliances politiques n’est pas rare à la Knesset, quand il s’agit pour les partis de survie politique. Mais c’est pratiquement du jamais vu dans le domaine de la protestation, où l’on met l’accent en général sur les différences. Cette fois, c’est autre chose : le gouffre, ce ne sont pas les clivages idéologiques entre les jeunes gardes des partis, mais l’abîme entre les intentions du gouvernement et le désir commun des manifestants. Seul un sentiment de panique et d’urgence pouvait créer une pareille alliance.

Beaucoup plus important encore que ces alliances politiques inhabituelles, la deuxième guerre du Liban a provoqué un phénomène rare dans notre réalité politique divisée : une alliance sur une base générationnelle. Les jeunes de partis de droite et de gauche ont uni leurs forces avec les réservistes pour délivrer un message de la part d’un groupe d’âge qui n’a pas seulement fait l’expérience personnelle des fiascos de la guerre, mais qui sait que les échecs qui se sont révélés (au front comme à l’arrière) retomberont sur leur génération. Pour un instant, les clivages idéologiques entre représentants de partis rivaux ont été mis de côté, et un choeur dont le lien est l’âge et l’angoisse parle à l’unisson.

« Ce que cette guerre a révélé compte plus pour ceux qui ont notre âge », dit Uri Zaki, président des Jeunes de Meretz-Yakhad. « Les jeunes du Meretz qui étaient au front sont revenus avec un ras le bol. En tant que jeune et militant politique, je ne peux pas ne pas entendre ces voix. Dans mes conversations avec des militants, d’anciennes peurs surgissent de nouveau, et des questions sur notre capacité à nous défendre. »

Zaki dit que cela lui a facilité le fait de nouer une alliance avec les jeunes d’Israel Beitenou. En fait, les jeunes du Meretz ont été les premiers à rejoindre cette surprenante coalition, par « un intérêt commun pour changer les choses, avant que chacun ne reparte combattre pour ses idées. »

Dani Toledano, président des jeunes d’Israel Beitenou, est tout à fait d’accord, mais ajoute un autre objectif à cette mobilisation des jeunes. En tant qu’étudiant, dit-il, il a vécu l’apathie générale des étudiants vis-à-vis de différentes campagnes. Cette fois, il considère cette coalition de jeunes comme une occasion de revitaliser sa génération. « Cette guerre a fait trembler nos fondations », dit Toledano. « Nous n’avons aucun problème à manifester côte à côte avec le Meretz. Bien sûr, c’est inhabituel, mais c’est beau. »

La situation d’Eran Harmoni, président de la Jeune garde travailliste, est bien entendu plus inconfortable que celle de ses camarades des partis d’opposition. La participation des travaillistes « n’est peut-être pas naturelle dans notre paysage politique, mais le rôle d’un mouvement de jeunes d’un parti est de servir de boussole. »

De plus, Hermoni est d’accord avec Toledano pour dire que cette coalition générationnelle se bat aussi contre l’apathie de la jeunesse : « A cet égard, notre protestation donne la parole à la jeune génération, elle la réveille. »