[L’annonce faite par les États-Unis qu’ils renonçaient à faire pression en faveur d’une prolongation du moratoire de la construction dans les implantations, condition palestinienne d’une reprise des négociations directes que Benjamin Netanyahu s’est montré incapable de satisfaire, a bouleversé la donne.

Et l’annonce argentine qui a suivi concernant la reconnaissance d’un État palestinien a marqué elle aussi le peu de confiance aujourd’hui de mise sur la scène internationale quant à cette même reprise de négociations directes et à leur issue.

Mais qu’en est-il exactement ? Les commentateurs sont partagés, tant cette longue focalisation sur les conditions du dialogue brouillait l’essentiel : le dialogue lui-même et les questions de fond, qui vont pouvoir, espérons-le, refaire surface dans des négociations même indirectes dont ils seraient les médiateurs. T.A.]


Après trois semaines de marchandages stériles avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu, l’exécutif américain a abandonné toute tentative de convaincre le gouvernement israélien de geler la construction d’implantations juives pendant 90 jours, a déclaré mardi un haut fonctionnaire.

Cette décision plonge les pourparlers de paix au Proche-Orient dans l’incertitude, les Palestiniens refusant de reprendre les discussions directes en l’absence d’un moratoire et les États-Unis se débattant pour trouver une autre formule qui permette à ceux-ci de regagner la table de négociation. C’est pour le président Obama un nouveau recul dans une croisade qui apparaît frappée de malédiction.

Le gouvernement a décidé de débrancher la prise, dit-on de source officieuse, car il est parvenu à la conclusion que même si Netanyahu avait persuadé son cabinet d’accepter un gel – ce dont il ne s’est jusqu’ici pas montré capable – les 90 jours laissés à la négociation n’auraient pas produit sur les points essentiels les progrès espérés au départ par les États-Unis.

“Nous avons fait de gros efforts, et chacun a essayé de bonne foi de reprendre les négociations directes de façon significative et viable“, a dit un haut fonctionnaire américain, évoquant sous le sceau de l’anonymat des débats internes toujours en cours. “Mais une prolongation [du moratoire] n’y aurait pas vraiment suffi.“

De source officielle, aucun plan B n’a pour le moment été proposé pour relancer les pourparlers et, d’après les commentateurs, il n’est pas sûr qu’il y en ait un par delà l’engagement très général de poursuivre les discussions avec les Israéliens et les Palestiniens sur les points de dissension majeurs, comme les frontières, la sécurité et le statut de Jérusalem, entre autres.

Un premier aperçu de la prochaine initiative américaine pourrait se dégager de la conférence sur la politique au Proche-Orient que la Secrétaire d’État [ministre des Affaires Étrangères] Hillary Rodham Clinton doit délivrer vendredi à la fondation Brookings [1]. La stratégie gouvernementale ne paraît cependant pas avoir été arrêtée.

“A juste titre, selon moi, le gouvernement devient réaliste“, a affirmé Robert Malley, ex-négociateur de paix du président Clinton. “Le scenario le plus vraisemblable est que ce moratoire n’aurait fait que leur accorder une courte trêve, avant de les replonger dans la même crise qu’auparavant.“

Ni les Israéliens ni les Palestiniens n’ont fait connaître leur réaction à cette annonce. Mais la décision américaine aurait été prise après consultation entre Hillary Clinton et Benjamin Netanyahu, dit-on de source officieuse. Tous deux avaient laissé chuter les enchères concernant un moratoire de 90 jours, dont Netanyahu a ensuite précisé qu’il ne pourrait le “vendre” à son cabinet sans garanties écrites de la part des Américains.

Ces garanties, comprenant 20 avions F-35 et l’engagement américain d’opposer un veto à toute résolution anti-israélienne aux Nations Unies, n’ont jamais été données aux Israéliens. Cette proposition maintenant balayée, aux dires d’un haut fonctionnaire, les États-Unis continueront à veiller sur la sécurité d’Israël et à contrecarrer les tentatives de battre sa légitimité en brèche au sein des organisations internationales.

A court terme, d’après les commentateurs, cet échec met en question la capacité de M. Netanyahu à négocier un accord définitif. “Cela a démontré une certaine faiblesse au sein de la coalition“, dit Daniel Kurtnez, ex-ambassadeur des États-Unis en Israël. “C’était un marché si attrayant, et pourtant il n’a pu convaincre son cabinet de l’accepter sans poser des conditions inacceptables pour Washington.“

Mais les Palestiniens ont eux aussi modifié leurs positions, insistant pour qu’un gel des implantations inclue Jérusalem-Est au même titre que la Cisjordanie – seule sur laquelle portait le moratoire initial de dix mois. Les États-Unis n’avaient jamais demandé à M. Netanyahu de l’étendre à Jérusalem et, à en croire certains analystes, M. Netanyahu ne serait jamais parvenu à persuader son cabinet de droite de s’en accommoder.

De source officieuse, il existait aussi de profondes divergences de vues quant aux points à discuter pendant ces 90 jours. Les Palestiniens voulaient que les pourparlers se limitent strictement aux frontières d’un futur État palestinien. M. Netanyahu résistait, disant que les deux parties devaient discuter l’ensemble des questions en jeu, et pas seulement les frontières.

M. Obama avait entamé à grand bruit des négociations directes début septembre, mais les pourparlers ont grippé sur la question des implantations au bout de quelques semaines. Après trois rencontres ce mois là, M. Netanyahu et le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, ne se sont plus retrouvés à une table depuis.

Plus tôt ce mardi, le ministre israélien de la Défense, Ehud Barak, avait prétendu que les États-Unis suspendaient leurs efforts de crainte des retombées de la fuite de télégrammes diplomatiques confidentiels. Ce qui fut purement et simplement démenti de source américaine.

La paralysie du processus de paix survient sur la toile de fond d’un nouveau défi lancé à Israël. Le gouvernement israélien a exprimé sa déception et sa contrariété suite à la déclaration par l’Argentine de sa décision de “reconnaître la Palestine comme un État libre et indépendant“ constitué sur la base des frontières de 1967.

L’Argentine a annoncé qu’elle allait suivre le Brésil et l’Uruguay sur la voie de la reconnaissance d’un État palestinien, précisant que cette démarche venait en réponse à une demande faite par M. Abbas lors de sa visite en Argentine l’année dernière.

Le porte-parole du ministre des Affaires Étrangères, Yigal Palmor, a écarté la déclaration de l’Argentine, “manifestement insignifiante“ en ce qu’elle ne va rien changer sur le terrain. Mais, a-t-il dit, elle n’en est pas moins “regrettable“ et “dommageable“.

Des responsables palestiniens ont affirmé qu’en cas d’échec des négociations, ils se tourneront vers l’ONU pour demander la reconnaissance d’un État, ce qui ferait peser sur Israël une pression accrue.

Pour le moment, le gouvernement va réamorcer des pourparlers indirects entre Israéliens et Palestiniens. La semaine prochaine, a annoncé un haut fonctionnaire, le négociateur israélien en chef, Yitz’hak Molho, et son homologue palestinien, Saeb Erekat, se rendront aux États-Unis pour y rencontrer des responsables américains.

Selon les experts, la décision gouvernementale de renoncer au gel, pour embarrassante qu’elle soit, va lui permettre de refonder une politique qui s’était crispée sur ce seul point. “Si cela peut permettre le retour à une perspective plus large, alors ce n’aura pas été une mauvaise chose“, assure Daniel Levy, chercheur chevronné de la New America Foundation.

David Makovsky, membre éminent du Washington Institute for Near East Policy affirme quant à lui : “C’est la fin d’une époque pour le gouvernement – Nous ne nous focalisons plus sur les hors d’œuvre, nous en sommes au plat de résistance.“

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NOTES

[1] A l’appui des hypothèses ici émises dans le New York Times du 7 décembre, on pourra lire dans le journal en ligne Expression un compte-rendu (en langue française) de la conférence donnée trois jours plus tard par Hillary R. Clinton à la fondation Brookings, influent laboratoire d’idées en sciences sociales et politiques :
[->http://www.lexpressiondz.com/article/5/2010-12-12/83724.html]