« Ils représentent 17% des docteurs du pays et sauvent des  vies juives 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Pourtant, lorsqu’il s’agit de leur représentation au sein du gouvernement, même en période de coronavirus, Netanyahu persiste à penser qu’ils sont dangereux. » 


Traduction : Rose Blume pour LPM

Auteur : Lee Yaron pour Ha’aretz, 17 mars 2020

Photo : Une salle de traitement du COVID-19 au Centre  Medical Rambam de Haifa, 9 mars 2020. © Rami Shllush

https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-arabs-in-israel-fight-pandemic-as-first-class-doctors-but-second-class-citizens-1.8681493?fbclid=IwAR2kaSLrMB1ol74tytB-hfwI6gKpMTP

Mis en ligne le 1er avril 2020


On était samedi soir et elle venait à peine de terminer ses 12 heures de travail dans l’équipe des urgences au Centre Médical Sheba Tel Hashomer, soignant les patients suspectés d’être atteints par le coronavirus et placés en isolation. Ayant finalement réussi à rentrer chez elle pour se reposer un peu avant sa nouvelle journée de travail, le docteur Suad Haj Yihya Yassin s’assied dans son salon pour regarder, à la télévision, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu… Celui-ci s’adresse à la nation au sujet de la situation d’urgence qui est si familière pour elle. Elle a 31 ans et finit son internat dans le service d’immunologie. Avec son mari qui est chirurgien, ils vivent à Tel Hashomer en dehors de Tel Aviv où ils élèvent leur fille de trois ans , entre leurs longues journées de travail.

« Je soigne quiconque vient à l’hôpital. Qu’il soit juif ou arabe n’importe pas à mes yeux et n’importera jamais. Chaque personne, quelle que soit sa race ou son sexe, bénéficiera de mes meilleurs soins, dit-elle. Lorsque je quitte la salle des urgences pour rentrer à la maison après avoir donné le meilleur de moi-même et que j’entends le Premier Ministre dire que nous devons former un gouvernement d’Unité Nationale pour gérer la crise, mais sans les Arabes, cela me blesse. Pourquoi est-ce légitime pour nous d’être en première ligne à l’hôpital à nous battre contre le coronavirus mais non d’entrer au gouvernement ? »

La semaine précédente, elle est tombée sur nombre de messages postés par Netanyahu sur les réseaux sociaux. Celui-ci répète sur sa page Facebook qu’un gouvernement comprenant une Liste d’Union Arabe majoritaire serait un « désastre pour Israël » ou un « danger pour Israël ». Dimanche, Netanyahu ajoutait : « Tandis que le Premier Ministre Netanyahu gère une crise sans précédent, globale et nationale, de la manière la plus responsable et équilibrée possible, [le Président de Kahol Lavan Benny] Ganz galope vers un gouvernement minoritaire dépendant de Balad*, Heba Yazbak** et des partisans de la terreur plutôt que de rejoindre un gouvernement d’urgence nationale qui sauvera des vies. »

« Il est triste d’entendre le Premier Ministre se référer à nous comme à une menace alors qu’en réalité, nous sommes ceux qui combattent le danger et sauvent des vies, dit Yassin. A l’hôpital, le travail commun de l’équipe Judéo-Arabe est un exemple de coexistence ; nous travaillons tous ensemble, épaule contre épaule sans aucune distinction. »

Ses remarques mettent en lumière une pièce manquante du puzzle politico-médical des dernières semaines que Netanyahu tente de dissimuler. Selon les chiffres officiels du Ministère de la santé et du Bureau des Statistiques fournis à la demande de Haaretz, 17 pour cent des médecins d’Israël, 24 pour cent de ses infirmières et 47 pour cent de ses pharmaciens sont arabes. Si les médecins et les infirmières arabes devaient se mettre en grève en raison du discours gouvernemental qui les stigmatise, ou même s’ils menaçaient de se mettre en grève jusqu’à ce qu’ils soient convenablement représentés au gouvernement, le système de santé serait incapable de gérer la crise du coronavirus et les assertions de Netanyahu s’effondreraient.

Cependant, de nos conversations avec les médecins arabes dans divers hôpitaux israéliens ressort une constante : ils sont prêts à coopérer avec la déconnexion  entre la crise sanitaire et la crise politique dans le discours national. La majorité de ceux que nous avons rencontrés était non seulement choquée à la perspective de refuser de soigner les gens durant une crise en raison du racisme qui les frappe et nombre d’entre eux ont même refusé de parler des manifestations d’intolérance et de discrimination dont ils avaient pu être l’objet.

« Nous sommes accoutumés à ne pas être considérés comme des êtres humains dans ce pays, cela ne nous surprend pas, » a dit une doctoresse qui ne veut pas être identifiée. « Si nous parlons, ils pourraient nous renvoyer ou nous considérer comme des agitateurs. Nous désirons exercer le métier pour lequel nous avons étudié si durement, sauver des vies et essayer d’oublier le racisme. A l’hôpital, tous sont également susceptibles de mourir et nous nous en souvenons. Peut-être le coronavirus rappellera-t-il à la population juive que nous sommes égaux. »

Yassin affirme que, contrairement aux bonnes relations entre le personnel médical juif et arabe qui constituent un modèle de coopération entre Juifs et Arabes, en ce qui concerne l’attitude des patients au contraire, la politique et le racisme entrent fréquemment à l’hôpital. Elle dit que, durant ces dernières années, elle a souvent été confrontée au racisme de la part de patients juifs qui refusaient ses soins car elle est arabe. « J’ai eu une patiente, venue d’un autre service, qui me dit avoir refusé d’y être soignée car les médecins étaient arabes. Je l’ai regardée en affirmant que moi aussi, j’étais arabe et elle parut surprise. Elle a répondu que je n’en avais pas l’air et demandé un autre médecin pour la soigner. »

« Je suis fière d’être arabe, je sauve des vies et je suis médecin, dit Yassin. Une patiente souffrait de l’estomac. J’étais absorbée par un autre malade dont l’état nécessitait des soins urgents. Alors, la première patiente et son mari ont commencé à crier en me traitant de « sale Arabe ». J’ai ignoré l’insulte et leur ai fourni le traitement malgré tout. »

Yassin travaille dans le système de santé depuis un peu moins de 10 ans, mais le professeur Jihad Bishara, directeur du service des maladies infectieuses au centre médical Rabin, Hôpital Beilinson à Petah Tika, soigne Juifs et Arabes depuis 30 ans Ces derniers jours, il a fait partie de l’équipe soignant les personnes atteintes du coronavirus à l’hôpital.

« A l’intérieur de l’hôpital, je me désengage de la politique. Je fais mon travail sans lien avec ce qui se passe à l’extérieur. Cela ne m’influence pas dans mes tâches quotidiennes, dit-il. Nous gérons une situation de crise : l’épidémie de coronavirus et je soigne moi-même tous les patients. Pour ce faire, je prends des risques. Les médecins n’écoutent pas les propos racistes ; depuis des décennies, j’ai sauvé des vies juives tous les jours. Comme citoyen, j’admets que cette hostilité me pèse. Ils disent sur notre communauté des choses intolérables mais, malheureusement, nous y sommes habitués. »

Bishara ajoute : « Ils disent que comme citoyen je ne suis pas assez bon, que nos représentants ne sont pas capables d’être des partenaires au gouvernement ,mais je suis assez bon pour être en haut de la pyramide de ceux qui sauvent des vies. » Bishara rappelle que, revenant d’un voyage à l’étranger, il fut arrêté par l’équipe de sécurité à l’Aéroport International Ben Gourion ; il essaya alors d’expliquer à la jeune femme du contrôle des frontières qu’ils étaient alliés et non ennemis. « Pourquoi m’arrêtez-vous ?lui demandai-je. Est-ce pour des raisons de sécurité, pour sauver des vies juives ? Elle acquiesça. Je repris : Je fais cela 24 heures sur 24 depuis des décennies. Je le dis avec fierté et conviction. Je suis médecin avant tout.« 

Le Centre Médical Hillel Yaffe à Hadera inaugure cette semaine une nouvelle salle : le Service des Maladies Infectieuses, Département A, dédié aux patients atteints par le coronavirus. Cette salle de 30 lits a été rénovée. C’était à l’origine un centre d’isolation qui a été adapté et doté de nouveaux équipements et technologies. Le service est dirigé par le docteur Jamel Mohsen, cardiologue et spécialiste en médecine interne, qui auparavant travaillait dans l’Unité de Soins Cardiologiques Intensifs.

Quand on lui pose la question concernant la discrimination et le racisme envers les Arabes,qui ont pu augmenter avec la vague du coronavirus, il répond clairement qu’il est totalement désengagé de la politique.

« Il n’existe pas de tension entre les patients juifs et arabes. La politique n’entre pas ici, dit-il. Je n’ai jamais pensé aux origines ethniques d’un malade. Je ne m’intéresse qu’à sa guérison. Dans cette situation de détresse et d’urgence, les médecins se sentent responsables. Nous nous engageons pour la santé de chaque personne dans ce pays. Nous tous, Juifs et Arabes, devons nous battre ensemble contre l’épidémie afin que tous guérissent. Peut-être la politique peut-elle prendre exemple sur la fraternité qui règne entre Juifs et Arabes à l’hôpital. Je l’espère. »

 

*Balad : parti nationaliste arabe

**Heba Yazbak est une politicienne, sociologue et universitaire arabe israélienne. Elle est actuellement membre de la Knesset pour la Liste commune.