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Ha’aretz, 27 novembre 2003

Trad. : Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Même les collaborateurs les plus proches d’Ariel Sharon affirment que son
brusque regain d’activité ces derniers jours annoncent un réveil de
l’hibernation dans laquelle il etait plongé depuis la fin de l’été. Soudain,
Sharon prend les décisions sur les dossiers qui s’etaient accumulés sur son
bureau, visite des positions de Tsahal, et déclare une nouvelle politique de
« mesures unilatérales » dans les territoires, dont de vagues allusions à une
évacuation de colonies.

Il est trop tôt pour savoir si quoi que ce soit résultera de tout cela, mais
on peut être certain d’une chose : les vagues déclarations de Sharon
reflètent un tournant dans ses positions. Il y a à peine un mois, il
déclarait à la télévision qu’il rejetait toute mesure unilatérale, et voilà
qu’aujourd’hui, il les place au devant de sa politique. Par le passé, Sharon
avait évité les zigzags qui avaient caracterisé ses prédecesseurs, et
demontré une cohérence impressionnante dans son approche du combat avec les Palestiniens, même confronté aux attentats terroristes et aux critiques
intérieures et extérieures.

Qu’est-il arrivé au Premier ministre? Sa nouvelle activité ne fait que
souligner la profondeur de sa réclusion antérieure, dont les causes ne sont
pas claires : pression des enquêtes policieres, fatigue et dépression,
passivité naturelle, ou, comme l’affirment ses collaborateurs, « processus
progressif de réflexion et de formulation, à l’intérieur de la tour d’ivoire
de son ranch »?

Il est vrai qu’il n’avait pas complètement disparu. Il a effectué plusieurs
déplacements à l’étranger, fait adopter par le gouvernement le tracé de la
clôture de séparation, et poussé avec une détermination inhabituelle à un
accord d’échange de prisonniers. Mais il a perdu le contrôle de l’ordre du
jour. Yossi Beilin, revenu des profondeurs politiques, a pris encore une
fois de plus l’initiative et secoué le monde politique de sa torpeur.

C’est justement pendant une période de calme relatif que la magie de Sharon
a commencé à cesser de fonctionner. Ses relations avec les Etats-Unis, le
joyau de la couronne de ses réussites, ont commencé à ressembler à celles
qui avaient cours lors du mandat d’Yitzhak Shamir, avec les mêmes
explications venues de Jérusalem : « il n’y a pas de crise, seulement un
désaccord entre amis ». Sharon est allé rendre visite à son ami Vladimir
Poutine au Kremlin, et a subi une défaite humiliante. Il a exagéré les
dangers d’une initiative russe saisissant le Conseil de Securité pour qu’il
adopte une resolution soutenant officiellement la feuille de route, et a dû
avaler la résolution, qui a de plus reçu le soutien des Etats-Unis.

La plus grande réussite de Sharon a été de convaincre la communauté
internationale que Yasser Arafat était un bandit incorrigible. Mais, dans le
conflit avec les Palestiniens, la victoire militaire lui echappe. Pour
saisir le changement, il suffit de comparer la liste revue à la baisse des
exigences israéliennes à l’entame de négociations avec Ahmed Qorei, avec les
exigences importantes et variées présentées à l’issue de l’opération Rempart
en avril 2002. Meme la question de la mise a l’écart de Yasser Arafat a été
abandonnée.

Rétrospectivement, il semble que la mort de deux soldates à Netzarim le 24
octobre a constitué « l’attaque stratégique » qui a produit le tournant. Ce
que les Palestiniens n’ont pas pu obtenir par des dizaines d’attentats
suicides horribles à l’intérieur d’israël, ils ont réussi à l’obtenir par
une attaque ciblée a l’endroit le plus sensible de la carte des colonies. Le
consensus israélien, qui a tenu bon pendant plus de trois ans, s’est
fracassé dans les barraquements des soldates à Netzarim.

C’est là, et non dans les bus de Jérusalem ou dans les restaurants de Haifa,
que la volonté de combattre s’est effondrée en un instant, et que les
espoirs de rabaisser la motivation des Palestinens se sont volatilisés. Le
premier à casser a été le chef d’etat-major, suivi des ministres du Shinoui,
puis, quatre semaines plus tard, par Sharon. De ce point de vue, l’attaque
de Netzarim a eu le même effet que les désastres essuyés par les commandos
héliportés et la navale au Liban, ou, pour les amateurs de comparaisons
entre le Vietnam et les territoires, ce fut l’offensive du Têt palestinienne.

La raison de ce tournant est claire. Le meurtre de civils circulant dans des
bus est une guerre de « non choix ». Mais des attaques contre des soldats qui
protègent des colonies controversées, meme si cela peut choquer, est une
guerre choisie.

Par conséquent, même si les récentes déclarations de Sharon s’évaporent
comme ses promesses précédentes, elles indiquent qu’Israël est en route vers
la sortie des territoires. Et il sera tres difficile de faire marche arrière, parce qu’à partir d’aujourd’hui, le gouvernement va éprouver les pires difficultes à justifier chaque nouvelle mort dans une colonie isolée ou dans un avant-poste.

Il faut néanmoins se souvenir qu’au Liban comme au Vietnam, cela a pris des
années pour que le tournant dans les consciences se traduise par un retrait
final.