L’Iran et Israël se combattent depuis des années. C’est une guerre cruelle, mais une règle a été strictement observée : éviter un conflit ouvert, frontal. L’Iran s’est battu par intermédiaires interposés, tandis qu’Israël a préféré agir discrètement. Samedi, pour la première fois, on a de part et d’autre transgressé ce principe.


Traduction Tal Aronzon pour LPM

Photo : Un avion de combat de l’IDF sur la base israélienne de Hatarim, le 29 juin 2017 © Jack Guez / AFP [DR]

YNet,  dimanche 11 février 2018

https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5106506,00.html


La Chronique de Nahum Barnea

L’infiltration d’un drone iranien en territoire israélien est peut-être le résultat d’un accident : la personne en charge des opérations à l’aéroport de Palmyre se serait endormie avec le doigt sur le tableau de commandes. Il semble plus probable, cependant, que cela fut intentionnel.

Ce n’est pas un hasard si les Iraniens sont les inventeurs du jeu d’échecs. Récemment, ils ont joué une partie compliquée contre Israël à travers l’aire syro-libanaise. Jusqu’à samedi, ils étaient sur la défensive. Samedi, ils ont lancé une attaque, sacrifiant un pion et prenant une de nos tours. D’autres coups sont à venir.

L’Iran et Israël se combattent depuis des années. C’est une guerre cruelle, dans laquelle les Iraniens n’ont pas hésité à sacrifier d’innocents civils, israéliens et/ou juifs. Une règle a été strictement observée : éviter un conflit ouvert, frontal. L’Iran s’est battu par intermédiaires interposés, dont le plus virulent a été le Hezbollah. Israël a préféré agir discrètement, sous les radars. Samedi, pour la première fois, on a de part et d’autre transgressé ce principe. Cela marque une étape.

Seconde étape, le tir qui a atteint un avion de combat F16 dans l’espace aérien israélien. C’est la première fois qu’un appareil de Tsah’al est abattu depuis 1982. L’IDF s’est efforcée de calmer tout le monde : le fait qu’un appareil ait été touché n’indique pas la fin de la suprématie aérienne d’Israël.

Cependant, après cette révélation de l’aptitude des batteries anti-aériennes syriennes à abattre un avion volant dans le ciel de Galilée, les Israéliens ont du souci à se faire. Qui plus est, l’attaque soulève des interrogations quant à la liberté de manœuvre de l’armée de l’air lorsqu’il s’agit de toucher des cibles en Syrie et au Liban. Depuis que le choix de la guerre civile a été fait en Syrie, les règles du jeu ont changé, sur terre et dans le ciel.

Au début du mois, j’ai participé à une série d’entretiens et de tournées d’évaluation avec des officiers supérieurs de Tsah’al, portant sur les combats au nord. J’ai intitulé l’article que j’ai publié à l’issue de ce tour d’horizon : “La première guerre du Nord”. Je ne suis pas l’auteur de cette expression, elle provient d’un commandant de division dans la région..

L’objectif de ces entretiens, écrivais-je, était de « préparer les décisionnaires et le public israéliens à l’éventualité d’une guerre, non pas déclarée mais graduelle, tout en indiquant au passage aux Iraniens qu’Israël ne sera pas détruit par un conflit militaire

L’IDF ne veut pas de guerre, non plus que les dirigeants politiques. Les avertissements étaient voués à la prévenir, pas à susciter un conflit. L’hypothèse était que le président russe Vladimir Poutine, s’il réalisait qu’une guerre pouvait éclater dans le nord — qui compliquerait la stabilisation de la Syrie et minerait sa position d’arbitre suprême entre les pays de la région — s’assurerait que les Iraniens soient stoppés. Cela ne s’est pas produit. Les immenses efforts déployés par le Premier ministre Benjamin Nétanyahou pour conquérir le cœur de Poutine sont restés vains.

Poutine a l’art de déverser une avalanche de termes affectueux sur les ministres israéliens majeurs, leur donnant l’impression de les admirer eux et leur pays. Ils se vantent de leurs liens avec lui auprès de leurs électeurs. Ce n’est pas un ami. Dans un entretien avec l’un des prédécesseurs de Nétanyahou, Poutine dit avec candeur : « Je n’agis qu’en fonction de l’intérêt de la Russie tel que je le comprends. »

Pour le moment, l’intérêt de la Russie est de préserver son alliance avec l’Iran, plutôt que se trouver directement prise dans une confrontation armée. La coordination militaire avec Israël vise à servir deux objectifs : c’est une tactique, tandis que l’alliance avec l’Iran est une stratégie. Israël ne peut se reposer sur le bon vouloir de Poutine, il lui faut trouver un moyen de le faire agir.

Nétanyahou croyait pouvoir faire appel à l’administration américaine afin de juguler les tentatives iraniennes d’ancrage en Iran. Le président US Donald Trump, comme nous savons, est bien plus proche d’Israël que Poutine. Peut-être viendra-t-il à notre rescousse. Malheureusement, ce mouvement aussi a raté. Le gouvernement Trump ne tient pas à prendre vraiment part à la détermination de l’avenir de la Syrie. Il concentre ses efforts à l’est, sur la frontière iraqienne. Sur notre front, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

La grande question est de savoir qui déplacera le premier ses pièces dans cette partie d’échecs, quand et comment. Le scénario apparent est l’organisation d’un autre convoi du Hezbollah afin de transférer des missiles téléguidés, ou des composants de missiles de cette sorte, depuis la Syrie jusqu’au Liban. Israël devra choisir entre fermer les yeux au risque de perdre son pouvoir de dissuasion, ou lancer une attaque au risque de déclencher une guerre.

Jusqu’à maintenant, Tsah’hal a pris grand soin de ne pas fixer de lignes rouges. Fixer une ligne rouge fait de vous son otage. Les ministres israéliens n’ont pas été aussi prudents. Dire qu’Israël agira à l’encontre de tout ancrage iranien en Syrie et au Liban est une chose ;  dire qu’Israël ne le permettra pas est autre chose.

La plupart des guerres au Moyen-Orient ont été la conséquence d’un embrayage non voulu, un jeu dangereux qui a mal tourné, un acte de terrorisme réussi au-delà de toute attente, la pression de l’opinion publique sur les dirigeants politiques. Aucun des joueurs n’a intérêt à la guerre à l’heure actuelle : ni en Israël ; ni au Liban ; ni en Syrie ; ni même — selon les estimations israéliennes — en Iran.

Les Israéliens voient la guerre comme inutile, si absurde que samedi, au cours d’une journée tragique dans le nord, 100 000 personnes ont visité les réserves naturelles et 25 000 escaladé le mont ‘Hermon. Cela fit plaisir à l’IDF, qui y vit un signe de foi des Israéliens en leur appareil de défense. Mais la vraie raison pourrait être justement le manque de foi : les Israéliens n’adhérent pas à la rhétorique belliqueuse de leurs dirigeants. Ils se refusent à paniquer à propos de quelque chose qu’ils ne peuvent pas changer.

L’État devrait donc persister à fonctionner comme programmé : l’état-major devrait continuer à surveiller les activités des Iraniens, et la police continuer à diligenter des enquêtes sur la corruptionon. L’IDF devrait soumettre ses recommandations, et la police les siennes propres. Mais, s’il vous plaît, ne mélangez pas les unes avec les autres.


L’Auteur

Diplômé en histoire et sciences politiques, membre de la rédaction du quotidien à grand tirage Yédioth A’haronoth depuis 1989, ne reculant devant aucune enquête de terrain, l’éditorialiste Na’hum Barnéa est considéré comme l’un des journalistes les plus influents du pays.