[->http://www.nytimes.com/2001/12/20/opinion/20SARI.html]

New York Times, 20 décembre 2001

La danse macabre de Sharon et d’Arafat

par Yossi Sarid [[Yossi Sarid est le chef de l’opposition a la Knesset, et président du parti Meretz. Il a été ministre de l’éducation dans le gouvernement d’Ehud Barak]]

Trad. Gérard Eizenberg pour La Paix Maintenant


Tel-Aviv – Il faudrait rappeler au President Bush que lorsqu’on donne un centimètre au Premier Ministre Sharon, il en prend un kilomètre. Que lorsqu’on lui donne un feu vert, il ne s’arrêtera plus au rouge. Washington devrait être tres attentif aux mouvements de Mr Sharon.

En tant qu’Israelien, je suis évidemment heureux que le gouvernement americain se tienne à nos côtés dans le conflit qui nous oppose aux Palestiniens. Le soutien américain est le bienvenu, mais la question est de savoir exactement ce qui est soutenu.

Ces derniers jours me rappellent l’été 1982, au moment où la guerre du Liban a commencé. Mr Sharon a impulsé cette guerre, à laquelle je me suis opposé dès le début. En ce temps-là, comme aujourd’hui, un général etait Secrétaire d’Etat. Il s’agissait d’Alexander Haig. Washington approuva l’action de Mr Sharon à Beyrouth, ou pour le moins, regarda ailleurs, tout comme il regarde ailleurs aujourd’hui.

Chaque fois que je protestais contre l’engagement d’Israël au Liban, qui au bout du compte entraîna la mort de plus de 1000 soldats israéliens, de nombreux Israéliens défendaient la guerre en arguant du soutien des USA. Jusqu’aujourd’hui, je pense que ce soutien fut une erreur. Cette maudite guerre ne nous a pas seulement coûté de nombreuses vies. Elle a aussi créé le Hezbollah. Aujourd’hui, il semble difficile de croire qu’il y a 20 ans, le Hezbollah n’existait pas. La guerre du Liban n’a résolu aucun de nos problèmes de sécurité, elle en a créé un plus grand, et plus durable.

Ceux qui se souviennent de cette malheureuse expérience devraient s’opposer
à un nouvel engagement militaire au contact d’une population arabe hostile. Le même type de structures violentes qui se sont développées à Beyrouth, se développe maintenant dans la bande de Gaza et en Cisjordanie – avec les mêmes conséquences fatales pour l’avenir.

Pour danser le tango, il faut etre deux. De nouveau, Ariel Sharon et Yasser Arafat ont entamé leur danse du sang et du désespoir. Après Beyrouth, les deux partenaires furent exilés, Mr Arafat à Tunis, et Mr Sharon chassé du ministère de la Défense sur la recommandation de la commission d’enquête formée après les massacres de Sabra et Chatila, perpétrés par les Phalangistes chretiens.

Toute cette année, Mr Arafat, de façon stupide, a fait le jeu de Mr Sharon. En déclenchant l’intifada, Mr Arafat a permis à Mr Sharon de dissoudre le processus de paix, de refuser de retourner à la table des négociations, et d’ignorer les véritables enjeux du conflit israélo-arabe. Et cependant, les deux hommes poursuivent leur danse macabre, car ils savent tous les deux qu’au moment où ils s’arrêteront, ils s’effondreront.

Les USA devraient se montrer extrêmement inquiets de l’intensification des
actions militaires par Israël contre l’Autorité palestinienne. Si Mr Arafat tombe, il ne sera pas obligatoirement remplacé par le Hamas, ou par le Jihad Islamique, comme on le dit souvent. L’hypothèse la plus plausible est qu’il sera remplacé par une anarchie totale, génératrice de davantage de violence et de terreur. Dans ce cas, Israël ne pourrait supporter le chaos et la vacance du pouvoir dans les zones palestiniennes. Il est plus que probable qu’il serait alors forcé de pénétrer militairement dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, et de réoccuper les camps de réfugiés et des villes palestiniennes comme Naplouse et Hebron. Il est possible que ce soit ce que Mr Sharon ait prevu depuis le départ. Mais cela serait un désastre, que les USA doivent aider a éviter.

Le General Anthony C. Zinni, envoyé par les Americains pour tenter de redonner vie au processus de paix, est fatigué, frustré et déçu, ce qui est assez compréhensible. Mais les USA ne doivent pas renoncer maintenant. Le général Zinni doit se donner des objectifs de semaine en semaine, pas davantage, afin de parvenir à une coordination entre l’Autorité palestinienne et Israël, au niveau de la sécurité. Yasser Arafat est incapable de mettre fin seul au terrorisme, et nous, les Israéliens, sommes incapables de défaire seuls le terrorisme.

Davantage de terreur n’aidera pas Mr Arafat. Cela ne fera que mettre encore plus en question sa légitimité politique. User de la force encore davantage n’aidera pas plus Mr Sharon. Cela ne fera que nourrir davantage la violence contre les Israéliens. En conséquence, Washington se doit de fournir à ces deux hommes une echelle, afin qu’ils puissent redescendre des positions qu’ils ont adoptées, car seule une coopération entre Isra¨ël et les Palestiniens peut réduire efficacement la terreur.

Il faut que nous recommencions à nous parler, d’abord pour rétablir une
coordination au niveau de la sécurité, et ensuite pour reprendre les négociations en tête-à-tête. Mais il est inutile d’espérer une coordination à court terme, ou un cessez-le-feu effectif, sans avoir en perspective un processus politique. Mr Arafat ne se risquera pas à une guerre civile entre Palestiniens s’il n’a pas une idée de ce a quoi ressemble le bout de la route. Le général Zinni doit fournir un plan à long terme, qui fasse partie d’une stratégie pour mettre fin à la violence. Et le seul plan valable est la proposition faite par l’administration Clinton.

Jusqu’ici, l’engagement americain n’a pas été suffisamment soutenu pour faire la différence. Les USA ont mis leur veto à une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui avait pour but d’envoyer dans la région une force chargée du maintien de la paix. Aujourd’hui, l’administration Bush a permis au General Zinni de retourner chez lui pour les fêtes.

Washington ne doit pas laisser les deux parties régler seules leurs problèmes, au moment où ce conflit menace la stabilité du Moyen-Orient, et celle du monde. De la même façon que nous, les Israéliens du camp de la paix, poursuivons nos efforts malgré des circonstances extrêmement difficiles, Washington doit intensifier son effort politique dans la région.

Le soutien américain ne se révélera positif que s’il comprend l’applicatiion des propositions faites par l’ex-Senateur George Mitchell, et au bout du compte, un cadre de paix qui ressemble au plan Clinton. Mais si ce soutien résulte en une intensification de l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, les perspectives de notre pauvre région seront désastreuses.