Le dialogue interreligieux tente de faire avancer la paix. Réunis à Bruxelles du 3 au 6 janvier 2005, à l’appel de l’association Hommes de Parole et sous le haut patronage des rois Albert II de Belgique et Mohammed VI du Maroc, 107 imams et rabbins entourés de 71 personnalités du monde entier ont affirmé leur détermination à développer la collaboration entre l’islam et le judaïsme, délégitimant toute forme de violence commise au nom de Dieu

[->http://www.haaretz.com/hasen/spages/524476.html]
Ha’aretz, le 9 janvier 2005

rabbins et imams s’unissent face à l’extrémisme religieux

par Daniel Ben-Simon
(trad. Tal Aronzon pour La Paix Maintenant)


Quelques instants avant que l’Europe n’observât, mercredi dernier, trois minutes de silence en mémoire des victimes du tsunami, les membres des clergés juif et musulman assemblés au Palais d’Egmont [à Bruxelles] décidèrent de s’y joindre. Deux jours plus tôt, les prêtres [des confessions du Livre] s’étaient retrouvés pour chercher ensemble le moyen d’un plus grand engagement religieux sur la voie d’un apaisement du sanglant conflit israélo-palestinien.

A midi juste, tous les participants se levèrent autour des tables de la majestueuse salle de conférence. Rabbins et imams, ainsi que les prêtres chrétiens présents, se tinrent côte à côte, inclinant la tête en silence. Soudain, le grand rabbin de Haïfa, Shlomo Chelouche, prononça une courte prière à la mémoire des victimes. Et toute l’assistance dit « amen » à la fin. Le zimer Omer Farouk Touran, ancien mufti d’Istanbul, récita alors quelques versets du Coran. Il n’avait pas sitôt fini que le grand rabbin de Rishon-le-Zion, Yossef Azran, chantait un psaume, la voix tremblante de larmes. Lorsque les trois minutes prirent fin, l’assistance resta debout. Quelques-uns essuyaient une larme.

« C’est la preuve que rabbins et imams peuvent oeuvrer ensemble à un objectif
commun [conduisant vers la paix] « , déclara le rabbin René-Samuel Sirat, ancien grand rabbin de France [[Le rabbin Sirat est actuellement directeur de la chaire Unesco de la Connaissance réciproque des religions du Livre.]]. « En toute une vie de rabbin, jamais je n’ai rien connu de tel », ajouta R.-S. Sirat, invoquant la bénédiction juive ouvrant une ère nouvelle [[éLoué soit le Seigneur, roi de l’univers, qui nous a fait vivre et nous a permis de connaître ce jour mémorable entre tous »]].

Le Hojat al-Islam Muhammad Mehatali, haut dignitaire iranien, regarda ses confrères avec stupeur : « Ces instants marquent l’apogée de la conférence, dit-il. Où a-t-on jamais vu musulmans et juifs prier telle une seule famille?  »

L’émotion ne fit pas défaut à cette assemblée sans précédent des « Imams et
rabbins pour la Paix », qui se tenait sous l’égide de l’association Hommes de Parole. Plus de 200 personnes étaient là réunies, juifs et musulmans aussi bien que chrétiens venus du monde entier pour porter ce message : la religion ne demande pas que l’on tue, et qui prend une vie en son nom transgresse un commandement divin.

La conférence se conclut vendredi par l’engagement commun des clercs juifs et musulmans de travailler à mettre fin à l’effusion de sang entre Israéliens et Palestiniens et de lutter par tous les moyens en leur pouvoir contre la haine, l’ignorance et l’extrémisme des deux côtés. A la lecture de la déclaration, les participants se dressèrent pour applaudir.

Les participants se rapprochèrent progressivement au fur et à mesure que la
conférence se déroulait. Des rabbins qui n’avaient jamais rencontré d’imam
parlaient avec eux librement pendant les séances. Ils mangèrent tout d’abord
à des tables séparées – les juifs ici, les musulmans là, échangeant des regards méfiants ; le lendemain, la distance était déjà moins grande ; et le troisième jour, ils s’asseyaient côte à côte, se tenant même par l’épaule sur les photos.

Le mercredi, chacun faisait l’éloge de la foi du voisin. « Nous sommes tous les enfants d’un même père, le patriarche Abraham », dit rabbi Eliyahu Bakshi Doron, [grand rabbin d’Israël].

Le cheikh Talal Sedir de Hébron [[Le cheikh Talal Sedir est le représentant de l’Autorité palestinienne pour les Affaires interreligieuses]] émut l’assemblée en invitant les participants à aller dans chaque mosquée et chaque synagogue pour prêcher la paix et le respect : « C’est là un commandement divin, nous devons former une génération à la paix et l’amour de l’autre », déclara-t-il.

« Comment se fait-il que toutes les prières juives s’achèvent par le mot paix, que toutes les prières musulmanes s’achèvent par le mot paix, et que nous nous tuions les uns les autres? », s’interrogeait cheikh Abdul Jalil Sajid, imam de Brighton, en Angleterre.

Rabbi Yaakov Ariel, grand rabbin de Ramat Gan et opposant notoire au désengagement, surprit tout le monde par son ton conciliant : « Le judaïsme et l’islam ont une mission commune, dit-il, celle d’apporter un message au monde. N’avons-nous pas un seul père ? Pourquoi alors devrions-nous nous faire mutuellement du mal ? »

La majeure partie des pays d’Afrique et d’Asie était représentée parmi les imams, vêtus de leurs robes traditionnelles et le chef couvert d’un arc-en-ciel de couleurs. L’ancien président de l’Indonésie, Abdul Rahman Wahid, dut cependant annuler sa venue du fait des ravages du tsunami dans son pays.

« Les extrémistes ont pris Dieu en otage », dit André Azoulay, conseiller du roi du Maroc. « Malheureusement, ils sont plus puissants que les hommes de paix juifs et musulmans. » Les participants s’efforcèrent ardemment de marquer leur distance vis-à-vis des horreurs perpétrées au nom de Dieu par des fanatiques.

La conférence fut marquée par le désir des clercs de s’inscrire dans le processus politique. Plusieurs d’entre eux notèrent que, sans légitimation religieuse, aucun accord politique ne durerait ; et prirent conscience que s’ils ne contrôlaient pas les extrémistes, ceux-ci pourraient répandre une traînée de haine religieuse qui enflammerait toute la région.

A la fin de la conférence, les participants se prirent par les mains en chantant Heveinou shalom aleih’em [Litt. « Nous vous avons apporté la paix »]], un chant hébreu célébrant la paix. « Nous construisons l’histoire », conclut Alain Michel, chrétien de France et président des Hommes de Parole [[Sur le site de l’association ([) figure un large dossier sur ce premier congrès mondial des imams et rabbins pour la paix, où les communautés juives et musulmanes de 34 pays d’Afrique, d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient et d’Amérique étaient représentées.

Au nombre des personnalités musulmanes, de Tachkent au Niger en passant par
l’Italie ou le Canada, notons pour le Proche-Orient la présence du porte-parole du Conseil des oulémas palestiniens, Abdul Rahman Abad ; du chef de la communauté des musulmans chiites, Syed Agha Jafri ; ou de Mohamed El Gahzwi, professeur de charia à l’université de Jordanie.

Ajoutons, pour Jérusalem, le cheikh soufi de la communauté ouzbek, Abdul Aziz Bukhari et le juge islamique Mohammed Zibdeh ; et, en Israël, le cadi Dawoud Zini, juge d’Akko [St Jean d’Acre]. Et, toujours sur le pourtour méditerranéen, l’anthropologue marocain Faouzi Skali Lami.

Plus près de nous, le secrétaire général du Conseil des imams de France, Dahou Meskine et les présidents des Fédérations musulmanes de France et de Belgique, Mohammed Bechari et Mohammed Boulif étaient présents – tout comme le président du Consistoire de France, Moïse Cohen.

Parmi les personnalités juives, dont beaucoup venues d’Israël ou des grandes
communautés des pays occidentaux, mais aussi d’Ukraine ou de Roumanie,
quelques noms encore :

Ceux, pour Israël, du président de la Cour rabbinique, Shear Yashouv Yosef
Cohen, président de la Cour rabbinique ; et du grand rabbin de la communauté
juive éthiopienne, Yosefe Hadane.

Notons aussi, pour la France, la participation des rabbins Rivon Krygier, de la communauté massorti de Paris Adath Shalom ; Daniel Farhi, du MJLF ; et Michel Serfaty, rabbin de Ris-Orangis et délégué du consistoire pour les affaires interreligieuses, tous présents de longue date sur le terrain du dialogue – de même, au-delà de nos frontières, que Joseph Levi, grand rabbin de Florence.

Pour la Belgique, celle du grand rabbin de Bruxelles, Albert Guigui.

Et celle, pour le monde universitaire et associatif, de Marc-Alain Ouaknin, aujourd’hui professeur à l’université Bar Ilan ; du professeur Adolphe Steg, au nom de la Fondation de Rothschild ; de David Susskind, président d’honneur du CCLJ de Belgique ; ou du rabbin David S. Rosen, directeur des affaires interreligieuses à l’American Jewish Committee.

Soulignons enfin la présence de Jean-Arnold de Clermont, président de la
Fédération protestante de France ; et celle d’une femme en ce monde d’Hommes
de Parole, Mme Tania Heidsieck chercheuse en herméneutique biblique et
coranique.]]