«Quels dommages pouvons-nous leur et nous causer en cette rencontre désespérée de la troisième génération après la Shoah et de la troisième génération des réfugiés de la Nakba?», se demande Yossi Sarid après un mois de combats, de destructions et de lourdes pertes en vies humaines.


Ma première rencontre avec lui eut lieu il y a quinze ans. L’hôpital psychiatrique Shalvata m’avait invité, en tant que ministre, afin de voir ce que le ministère de l’Éducation pouvait faire pour les patients.

Nous avons fait le tour des lieux, et discuté de leurs besoins avec les patients. Vers la fin de la visite, on me fit une proposition que j’aurais dû refuser – voir le département fermé, là où les patients dangereux étaient internés. Qu’est-ce que je pouvais faire? Passer pour un couard?

Nous avions à peine ouvert les serrures qu’une armoire à glace me donna un coup de poing en pleine face; je me souviens que mes lunettes valsèrent; je vacillai comme un aveugle mais ne tombai pas. Les gardes du corps furent pris au dépourvu et seul Tal Mehi, mon chauffeur et ami de Sdérot, garda son sang-froid et maîtrisa l’agresseur.

Une fois retrouvé notre calme et passé notre chemin, je me demandais si ce n’était pas là la réaction normale d’un malade mental en présence d’un hôte indésirable? Ne vous êtes-vous jamais senti devenir fou certains jours d’angoisse et de haine? Moi, si.

[…]

La semaine dernière, à la station de bus, je tombai sur le type de Shalvata. «Vous me reconnaissez?» demanda-t-il. Je dis que non. Il me dit son nom, et comment nous nous étions rencontrés. «J’allais alors très mal et je vous ai boxé», dit-il. «Cela fait des années que je voulais vous demander pardon.»

«Je vous ai déjà pardonné», ai-je répondu. Mais il me prit la main et voulut en être sûr. «Vous dites juste ça comme ça?» Je lui assurai que non, et nous donnâmes l’accolade. «Comment avez-vous atterri là-bas, quand vous alliez mal?»lui ai-je demandé.

«Je servais dans la brigade Givati, et nous n’arrêtions pas d’entrer et sortir de Gaza, dedans dehors, dedans dehors… Gaza m’a rendu fou.»

Il n’est pas le seul. Gaza rend Israël fou, depuis l’époque de David Ben-Gourion, Moshé Dayan et Ariel Sharon, jusqu’à Benyamin Netanyahu et Moshé Ya’alon le mois dernier. Gaza brouille en nous la frontière entre santé et maladie mentales. Seule une nation de sages peut avoir été assez folle pour gouverner Gaza, du dedans ou du dehors.

Quel horrible lieu, dans sa famine de pain et de vie. Et maintenant, en 29 jours, Gaza est sens dessus-dessous. Un réfugié fuit un tireur embusqué à Khitbet Khizeh, le village arabe du roman de S. Yizhar (1949), et est rattrapé par un missile à Khuza, dans la bande de Gaza, 66 ans plus tard. Et si tous les ânes de la région tombaient morts, sur quelle monture le messie du commandant de la brigade Givati ferait-il son entrée?

«Quand les chefs du Hamas vont sortir de leurs refuges, ils n’en croiront pas leurs yeux», récitent à l’unisson tous les commentateurs. Et qu’en est-il de nous? Croyons-nous en ce qu’il y a à Gaza qui nous rend fous? Cela nous fait peur – de nous-mêmes.

Quels dommages ou quel mal pouvons-nous leur et nous causer en cette rencontre désespérée de la troisième génération après la Shoah et de la troisième génération des réfugiés de la Nakba? Gaza est la plus laide des cicatrices sur notre visage, que nous tentons furieusement d’effacer. À chaque fois, nous rouvrons la blessure.

Golda Méir la moraliste a dit qu’elle ne pardonnerait jamais aux Arabes de nous avoir poussés à les tuer. L’opération Bordure protectrice commande d’actualiser cette formule – nous ne pardonnerons jamais à ces criminels qui nous transforment, nous aussi, en criminels de guerre.