Au moment où ces lignes sont écrites, on sait déjà que de nombreux Palestiniens sont morts et plus nombreux encore sont les blessés par balle. Nous ne citons pas de chiffres, car nul ne sait quels ils seront lors de la diffusion de ce texte ni dans les jours d’après, puisque cette marche est censée durer jusqu’au 15 mai. Quelle symbolique ! La population juive israélienne célèbre la sortie d’Égypte et la liberté recouvrée mais ne peut le faire que sous la protection de ses forces armées, compte-tenu d’un contexte politico-sécuritaire dans la responsabilité duquel le gouvernement a sa part.


Lettre d’information de La Paix Maintenant, le 2 avril 2018

Caricature NR : Joyeux Pessa’h, la fête de la liberté ! [DR] 


Certains diront : « Cela devait arriver ! » Non, cela devait ne pas arriver, justement parce que c’était prévisible. Il aurait fallu tout faire pour éviter un scénario écrit depuis longtemps.

L’intelligence permet de se sortir d’une embûche ; la sagesse permet, elle, de l’éviter.

Certes, il convient de ne pas tomber dans la naïveté. La Marche du Retour n’est en rien une promenade de santé. On peut s’interroger sur le bien-fondé de l’intitulé “marche pacifique” quand on sait que son objectif, selon les termes de ses initiateurs, est de « nous restituer la totalité du territoire de la Palestine »… Ce n’est donc pas de la levée du blocus, par ailleurs plus hermétique du côté égyptien que de l’israélien, qu’il est question. Tout au  plus s’agit-il d’une marche non armée…

Il n’en demeure pas moins — comme l’écrit Mossi Raz, député du Méretz, sur sa page Facebook — qu’ « il faut un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Les Palestiniens ont le droit de manifester et l’armée a le droit d’avoir recours au matériel de dispersion de manifestations. Mais il est interdit de tirer à balle réelles. Il nous incombe l’obligation morale d’éviter toute escalade. »

Les événements de Gaza viennent illustrer une fois de plus que la liberté pour soi ne se construit pas sur son éradication pour autrui. Il est mensonger, voire criminel, de vouloir faire croire que les Palestiniens finiront par composer avec la situation qui leur est imposée. Le peuple juif est pourtant bien placé pour savoir qu’il ne peut en être ainsi, alors que son retour et sa présence en Israël témoignent de la pérennité de son attachement à sa terre et sa liberté. Israël doit se libérer de l’occupation, avec les garanties et les précautions qui s’imposent.

De même ne saurait-il être acceptable, afin de rester fidèle à son histoire, ses traditions et ses valeurs, qu’Israël procède à une expulsion de masse des réfugiés africains. Une fraction importante de la société civile l’a compris et se mobilise pour éviter que cette indignité n’advienne — mobilisation commençant durant les fêtes, le 1er avril – sans pour autant remettre en cause le droit d’un gouvernement à décider de sa politique migratoire. Gouvernement qui, sur ce dossier non plus, n’a fait preuve d’aucune sagesse ni su anticiper. Pourtant des voix s’étaient élevées pour attirer l’attention sur une situation de plus en plus tendue, ainsi que sur la nécessité de mettre un terme au “laisser-faire” en vue de mener une politique cohérente et à long terme.

Combien symbolique également le fait que qu’au moment où la sortie d’Égypte et la pédagogie du respect de l’étranger (car « nous avons été nous-mêmes étrangers en terre d’Égypte ») sont au centre de la mémoire collective, le sort de ces réfugiés — qui pour nombre d’entre eux sont entrés en Israël en passant par l’Égypte — interpelle la société israélienne dans son essence !

Dayénou, comme il est dit en ces jours ! “Elle nous suffit”, cette approche des Palestiniens ou des réfugiés uniquement par la force, sans prendre en compte l’humanité dont ils sont porteurs et qui oblige non à la coercition, mais à la conciliation.


L’Auteur

Sociologue et membre-fondateur des Amis de Shalom Akhshav, devenus La Paix Maintenant, Ilan Rozenkier a été élu président de l’association en 2014.