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publié sur la liste de Bitterlemons, le 19 décembre 2005
(titre original : New frameworks for old problems)

par Akiva Eldar

(Trad. Tal pour LPM)


A l’approche des élections en Israël comme dans les Territoires, des deux côtés des bouleversements surviennent qui remettent en question tant les concepts que la carte politiques. Les partis au pouvoir, le Likoud et le Fata’h, paient au prix fort leurs difficultés à adapter leur idéologie aux changements d’état d’esprit dans la société israélienne et la rue palestinienne.

Le catalyseur premier de ces changements est le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, et la décision qu’il a prise de se retirer unilatéralement de la bande de Gaza et de supprimer quatre implantations du Nord de la Cisjordanie. Qu’il ait réussi à déplacer 7 000 colons et à libérer Israël de la responsabilité de plus d’un million et demi de Palestiniens a changé les priorités des partis au pouvoir en Israël et dans les Territoires. Ce pas décisif jette le doute sur la politique classique du Likoud, et a mené au schisme entre idéologues purs et durs et réalistes ou opportunistes.

En Palestine, c’est l’inverse qui s’est produit : cette démarche unilatérale a coupé l’herbe sous les pieds des pragmatiques, les partisans d’Oslo qui prônent une approche politique, et les a rendus obsolètes. Cela a joué en faveur à la fois du H’amas, qui s’oppose au compromis politique avec Israël, et des jeunes du Fata’h – qui savent exploiter l’impuissance de leurs aînés à persuader leurs « partenaires » israéliens de leur accorder des concessions, même maigres, comme la circulation de convois entre Gaza et la Cisjordanie, la suppression de check-points et la libération de prisonniers.

La scission au sein du Likoud et le passage en masse au nouveau parti, Kadimah, sont susceptibles de mettre un terme au règne du Likoud et de pousser l’autre parti traditionnel de gouvernement, les Travaillistes, à la seconde place. Quoi qu’en disent la plupart des analystes israéliens, et en dépit des incertitudes récentes concernant la santé de Sharon, le programme proposé par Kadimah conservera la faveur publique ; le parti ne disparaîtra pas quand Sharon quittera l’arène politique. Kadimah pourrait perdre un peu de son soutien dans l’opinion, mais sa stratégie l’a déjà inscrit au centre du débat en Israël. Des électeurs de gauche voteront pour Kadimah parce qu’ils ne croient pas que le Likoud veuille sortir des Territoires – ni que les Travaillistes le puissent.

Le Likoud symbolise la stagnation du processus de paix, alors que les Travaillistes promettent de le faire renaître. Les sondages nous disent qu’une grande majorité des Israéliens soutiennent la reprise des négociations mais ne croient pas en l’existence d’un partenaire palestinien. Kadimah propose de se séparer de la majeure partie des Palestiniens sans attendre l’émergence d’un partenaire avec lequel négocier. Les doutes qui subsistaient quant à l’absence de partenaire palestinien ont disparu avec la scission au sein du Fata’h et le succès massif du H’amas lors des élections à l’échelon local.

Dans les Territoires comme en Israël, le public ne supporte plus l’establishment politique du fait de l’image que renvoient ses dirigeants : des politiciens corrompus et assoiffés de pouvoir. Des années durant, les leaders de Kadimah, à commencer par Sharon, ont fait partie intégrante de cette même bande. Mais ils ont su se débarrasser de cette image négative et la coller, au contraire, sur le comité central du Likoud. Leur apparente détermination à démanteler la plupart des implantations et à isoler les Palestiniens derrière une barrière a consolidé leur nouvelle image.

Outre le facteur idéologique et le mode d’organisation, l’élément humain intervient des deux côtés. La détermination de Sharon à mener le redéploiement à bien a fait de lui la personnalité israélienne la plus populaire en Israël depuis David Ben-Gourion. On le voit comme seul capable de mettre en œuvre des avancées politiques majeures tout en sauvegardant le consensus national et un soutien international enthousiaste. Ni Benyamin Natanyahou ni Amir Peretz n’ont à proposer comme Sharon une combinaison de charisme, d’expérience et de relations serrées avec le président américain, le tout emballé dans un parti tout frais tout nouveau où l’on trouve en vrac droite, gauche et centre, un défenseur de la laïcité aux côtés d’un ultra-orthodoxe militant, des dirigeants syndicalistes avec des capitaines d’industrie.

Le leadership traditionnel du Fata’h souffre de l’absence d’un chef tel que Sharon, capable de chausser les souliers de Yasser Arafat. Terne et dénué de charisme, Abu Mazen (le président Mah’moud Abbas) n’a pas su remplir le vide. Sharon et le président Bush n’essaient pas de l’aider, et le H’amas ne manque aucune occasion de l’épingler et de marquer des points.

Quoi qu’il en soit, au bout du compte les forces politiques en Israël et dans les Territoires s’alignent, et l’évolution de la carte politique des deux côtés ne paraît rien annoncer de bon pour les électeurs.