Le Président de la Cour suprême dénonce un phénomène sans précédent de perturbation organisée des audiences dans les tribunaux.
La conférence annuelle de l’Association pour le droit public en Israël s’est ouverte jeudi 4 décembre 2025 à Haïfa, en présence du Président de la Cour suprême, Yitzhak Amit, de l’ancien Président de la Cour suprême, le juge Aharon Barak, et d’autres hauts responsables.
Auteurs : Tiré de l’article de Lior Alhaï et Gilad Cohen, Ynet, 4 décembre 2025
Traduction : Sylvie L. pour le collectif Défendre la Démocratie Israélienne
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Photo : A.Barak et Y. Amit à la conférence. © N. Segal
Mis en ligne le 7 décembre 2025
Extraits du discours du Président de la Cour suprême, Yitzhak Amit :
“On peut affirmer, avec prudence et espoir, que la guerre intense qui accompagnait notre quotidien depuis deux ans, a pris une nouvelle tournure. Une nouvelle réalité, à la fois ancienne et nouvelle, se révèle désormais avec acuité. Il ne fait aucun doute que l’attaque contre le système judiciaire, les juges et les forces de l’ordre se poursuit de plus belle. (…)
En tant que responsable du pouvoir judiciaire, je tiens à souligner que la critique du système judiciaire est légitime, voire nécessaire. Dans un véritable régime démocratique, aucune composante de l’Etat n’est exemptée de critique ni de contrôle de ses actions. Malheureusement, nous assistons ces jours-ci à un phénomène sans précédent de tentatives – organisées et planifiées – d’interrompre et de perturber les audiences dans les tribunaux. En démocratie, il faut que justice soit rendue et que cela se voit. On ne peut accepter que le principe des audiences publiques soit exploité pour saper le déroulement même du débat. Le préjudice ne porte pas tant sur le tribunal lui-même, que sur les citoyens qui attendent un examen sérieux de leur affaire. (…)
On s’attaque ici à la capacité même de tenir une audience. Je ne m’étendrai pas sur les graves conséquences que cela peut engendrer pour les droits humains et civiques, non seulement dans les tribunaux, mais pour tous les citoyens. C’est pourquoi nous avons rendu une décision de principe il y a trois jours, selon laquelle, lorsqu’il existe un risque de perturbation de l’audience et que celle-ci est retransmise (par la télévision), il sera possible de limiter l’accès du public à la salle d’audience.
Le phénomène des perturbations et des débordements dans la salle d’audience, allant jusqu’à entraver le déroulement du procès, s’inscrit dans une tendance plus large et regrettable qui s’est amplifiée ces dernières années : le recul de la critique argumentée au profit d’attaques débridées contre l’autorité judiciaire et contre celles et ceux qui y exercent leurs fonctions. Parfois, on peut avoir l’impression que le débat juridique sérieux est en voie de disparition, remplacé par une traque populiste et dangereuse visant le juge lui-même.
Le boycott mené par le ministre de la Justice contre le président de la Cour suprême est indissociable de cette campagne visant à discréditer le pouvoir judiciaire. Ce boycott ne me vise pas personnellement. Il vise l’ensemble du système judiciaire et son rôle dans une société démocratique. (…) Le refus du ministre de la Justice d’assister aux réunions de travail retarde considérablement de nombreux dossiers essentiels. Il refuse notamment d’organiser la mise en place de la commission chargée de nommer le président du tribunal de district de Central-Lod. [Il en va de même pour les vice-présidents et pour d’autres postes]. Or, le système judiciaire ne compte actuellement pas moins de 19 postes de vice-président vacants. Je tiens également à mentionner le refus du ministre de nommer des juges associés, c’est-à-dire des juges retraités, prêts à reprendre leur fonction pour prêter main-forte et alléger la charge de travail. En 2024, il y avait 33 juges associés en activité. Or, à la fin de l’année prochaine, il n’en restera que 16. Autrement dit, 17 postes de juges associés ne seront pas pourvus en raison du refus du ministre.
Pourquoi s’abstenir de nommer un vice-président au Tribunal d’instance des Krayot de Haïfa ? Pourquoi pénaliser l’ensemble des justiciables du district du Centre ? Président et vice-président ne sont pas de simples titres honorifiques ; ceux qui occupent ces fonctions sont des professionnels expérimentés qui contribuent à l’amélioration du service public de la justice. Refuser de procéder à de telles nominations s’inscrit dans une tentative de nuire au fonctionnement et à l’indépendance du pouvoir judiciaire.”
Le Président de la Cour suprême, à la retraite, Aharon Barak qui avait participé à la tentative de trouver un accord pénal négocié avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou au début de son procès, a ensuite pris la parole. « Pour le Premier ministre, Israël c’est l’État profond qu’il faut combattre. L’unité et la souveraineté nationale ont cédé la place au sectarisme et au séparatisme. L’égalité dans la répartition du fardeau de la guerre a été remplacée par un accord politique selon lequel il y aurait des vies qui valent plus que d’autres. Cet accord exonère toute une population ultra-orthodoxe — y compris ceux pour qui l’étude n’est pas une vocation à plein temps — du devoir de prendre part à l’effort commun. Notre pays n’est plus fidèle à ses valeurs juives et démocratiques. (…)
Les relations entre le pouvoir politique et l’armée, la police et le Shin Bet sont totalement dégradées. Le Premier ministre s’arroge le droit de dicter aux opérationnels comment mettre en œuvre ses décisions sur le terrain. Les manifestants de la contestation sont traités comme des criminels. J’ai le sentiment que nous ne sommes plus des citoyens mais des sujets.
Les salles d’audience des tribunaux sont devenues des lieux de manifestation. Il n’y a qu’un pas entre perturber une audience, envahir des espaces judiciaires et faire irruption dans le bureau d’un juge. Dans un pays démocratique, la liberté de la presse dans toute sa diversité, joue un rôle primordial. Je considère comme très dangereuse toute initiative visant à fermer ou à contrôler les médias.
Nous sommes sur une pente glissante et, je le répète, notre démocratie n’est plus celle d’autrefois. J’ai évoqué une longue liste d’actions qui dégradent notre société et érodent notre démocratie. Je pense qu’il y a là une stratégie. Une stratégie de barrage : les défenseurs de la démocratie construisent un barrage ici, colmatent une brèche là (à la Haute Cour de Justice, en annulant une nomination, dans une enquête de l’Inspection générale de la police) – mais les brèches sont innombrables. Cette politique finit par épuiser le public et les gardiens du temple, et compromet leur capacité à protéger la démocratie. Le pouvoir de la Justice, à lui seul, ne pourra pas empêcher à long terme cette dégradation.
Revenons au thème de la conférence — Entre crise et espoir. La crise entre le ministre de la Justice, Yariv Levin, et le système judiciaire lui-même s’aggrave. Hier encore, la Haute Cour de justice a invalidé la nomination par le ministre de la personne chargée de superviser l’enquête sur la Procureure militaire. Cette décision a été vivement saluée par des responsables judiciaires. “Les choses sont rentrées dans l’ordre : les juges ont fait preuve de tolérance zéro envers l’ingérence d’un acteur politique, y compris le ministre de la Justice, dans la nomination des enquêteurs de l’État”, ont-ils déclaré. Dans ce contexte de vives tensions, qui se manifestent également par des débordements dans l’enceinte de la Cour suprême, les juges de la Cour ont décidé cette semaine de limiter la présence du public. Dorénavant, il sera décidé au cas par cas si le public peut ou non assister à l’audience. Les juges ont précisé dans leur décision que “certains avocats ont signalé du harcèlement de la part de personnes se tenant devant les portes de la salle d’audience. Ce phénomène sans précédent de débordements dans l’enceinte du tribunal qui devient une arène de désordre, enraye le bon déroulement des audiences et constitue une tentative d’intimider la Cour, les parties et leurs avocats. En réalité, ces actions ont pour but d’empêcher le tribunal de remplir sa mission de service public.”

