Chers survivants de la Shoah, Monsieur le Ministre de l’Éducation Naphtali Bennet, Monsieur le Général de réserve Doron Almog, Monsieur Yitz’hak Kachty, président d’honneur de la cérémonie de régénération de la flamme du souvenir.

En avril 2015 j’ai été amené à me rendre, dans le cadre de mes fonctions, au quartier général de l’armée américaine basée en Europe. En route pour l’aéroport de Francfort, j’ai fait halte à proximité de Stuttgart, plus précisément dans un petit village du nom de Gaukonigshofen – où est née ma grand-mère et où mon père a passé sa prime enfance. C’est un village singulier, où se trouve un musée consacré à l’ancienne communauté juive du village. J’ai également visité la synagogue qui jouxte le musée. À l’entrée du musée, face à moi, une photo sur laquelle figurent tous les membres de ma famille disparus durant la Shoah.

J’ai ressenti une vive émotion, qui me poussa à déambuler plus d’une heure durant dans le musée. À la sortie, on m’a demandé d’écrire quelque chose dans le livre d’or, ce que j’ai fait par deux fois: la première à titre personnel, et la seconde sur la page laissée par mon père, paix à son âme, venu visiter le musée en 2001.

Avec votre permission, je voudrais lire ce que j’ai écrit à mon père:

Après ces 14 années depuis ton passage dans ce musée, je suis venu en tant que chef d’état-major en second de l’armée de défense d’Israël (Tsahal), honorer ta mémoire et la mémoire de tous les membres de notre famille massacrés par les nazis, leurs complices et leurs suppléants. Je sais que tu as consacré ta vie à bâtir et créer, que jamais la vengeance n’a effleuré ton esprit, et qu’en aucun cas elle n’aura réussi à te détourner de ta voie – grâce à l’immensité de ton amour pour ces valeurs.» J’ai signé de mon nom, et c’est porteur de ce message que je suis venu vous adresser quelques mots.

La Shoah, à mes yeux, doit nous conduire à réfléchir en profondeur sur la nature de l’homme, même quand nous sommes nous-même cet homme; elle doit nous conduire à nous interroger en profondeur sur les responsabilités de nos dirigeants, et sur la nature de notre société. Elle doit nous amener à une réflexion fondamentale sur la façon dont nous, ici et maintenant, traitons l’étranger, la veuve et l’orphelin, et tous leurs semblables.

La Shoah doit nous conduire à réfléchir sur notre vie publique et, plus encore, elle doit conduire tous ceux qui le peuvent – et pas seulement ceux qui le veulent –, à prendre des responsabilités publiques. Car s’il est quelque chose qui nous fait frémir dans le souvenir de la Shoah, c’est de discerner les processus nauséabonds intervenus en Europe en général et en Allemagne en particulier, il y a 70, 80, 90 ans, et de trouver la trace de leur présence ici parmi nous, aujourd’hui, en 2016. Car il n’est rien de plus facile que de haïr l’étranger; rien de plus facile que de semer la peur; rien de plus facile que la bestialité, le cynisme et l’auto-satisfaction.

Le jour de la mémoire de la Shoah, il nous appartient de débattre de notre propre capacité à déraciner les marques d’intolérance, les marques de violence surgies parmi nous, et qui vont jusqu’à l’auto-destruction à la faveur de la dégradation morale. En fait, le jour de la mémoire de la Shoah est une occasion d’introspection. Si Yom Kippour est un jour de repentance personnelle, il convient et est même indispensable que le jour de la mémoire de la Shoah soit celui d’un examen de conscience national. Un examen de conscience national dans lequel nous devons inclure quelques phénomènes dérangeants.

Il y a quelques semaines, un débat houleux a éclaté sur la question de l’usage éthique de la force [la “pureté des armes”, dans les termes consacrés]. J’aimerais dire quelques mots à ce sujet.

Des infractions aux règles d’utilisation des armes, et des violations de la “pureté des armes”, se sont produites au cours de l’histoire de l’armée d’Israël depuis l’origine. Tsahal s’est toujours enorgueillie de notre capacité à mener des investigations sur des incidents sensibles, à le faire en toute impartialité et ouvertement, et à endosser la responsabilité pleine et entière de bon, du mauvais et de l’inacceptable. Nous n’avons pas cherché d’excuses; nous ne nous sommes pas couverts; nous n’avons pas cillé; nous n’avons pas levé les yeux au ciel. Notre voie fut et sera celle de la vérité et des comptes dus, même si la vérité est rude et les comptes difficiles à rendre. Nous avons foi en la justesse de cette voie – mais tout n’est pas juste dans ce que nous faisons. Nous avons confiance dans les standards éthiques de Tsahal en tant qu’organisation, mais nous n’ignorons pas les écarts des individus. Nous exigeons de nos soldats exactement ce que nous exigeons de nous-mêmes [officiers], et requérons de chaque officier que donner l’exemple soit pour lui une seconde nature.

La jour de la commémoration de la Shoah, alors que nous nous souvenons des six millions de nos frères massacrés en Europe, il nous faut nous souvenir des six millions et demi [de personnes] qui vivent ici, et nous interroger sur le but de notre retour sur notre terre; sur ce qu’il nous faut sanctifier ou non; sur ce qu’il est juste de célébrer ou non; et, plus que tout, nous demander comment remplir notre rôle de “lumière entre les nations” et de société modèle. Seul ce genre de commémoration peut former un monument vivant, respirant, dédié à nos frères – un monument digne d’eux, un monument authentique. Le prophète Isaïe a dit: «Le vivant, le vivant, lui te célèbre.» Puissions-nous savoir comment vivre une vie digne, en mémoire des victimes et au nom des générations à venir. Et puissions-nous montrer notre reconnaissance pour les bienfaits dont nous avons été gratifiés, et les conserver. Nous nous battrons jusqu’au bout s’il le faut, contre n’importe quel ennemi, pour défendre notre droit à bâtir et le devoir de nous maintenir dans le droit chemin.

* Célébration de la vie, dans un contexte de guerre, qui fait corps avec le verset précédent: «Car le Shéol [le domaine des morts] ne te célèbre pas, la mort ne te glorifie pas […] Le vivant, le vivant, lui te célèbre.» Isaïe 38, 18-19, trad. A. Chouraqui.