La comparaison entre les gouvernements Bennett et Netanyahu n’est pas naïve. Elle est commode. Elle occulte la question politique et la remplace par des indicateurs de style, de ton, d’honnêteté et de sincérité, que Bennett utilise fréquemment, tout en ignorant la politique menée… Il a refusé de rencontrer les dirigeants de l’Autorité palestinienne, a rejeté toute initiative politique et a défini clairement sa politique : « Nous ne résolvons pas le conflit, nous le gérons. » La question de savoir si un Premier ministre favorise ou s’oppose à l’annexion est devenue secondaire par rapport à celle de savoir s’il était « agréable » ou « incorruptible ».


Auteur : Shaul Arieli, Zman Israel/ Doar haYom/ Newsletter quotidienne Amir Ben-David, le 24/12/2025

Traduction de l’hébreu : Google, revue par Y. M. 

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Photo : Benny Gantz, Yaïr Lapid, Naftali Bennett © Flash90

Mis en ligne le 25 décembre 2025


Toutes les erreurs politiques ne se mesurent pas uniquement au nombre de mandats perdus. Certaines se mesurent à l’érosion des idéaux, au déplacement des frontières morales et à la distorsion continue de la conscience publique.

La décision de Yaïr Lapid et de ses partenaires de permettre à Naftali Bennett de devenir Premier ministre avec un gouvernement à six sièges était une erreur de ce genre. Non pas une erreur tactique, mais une rupture normative. Une manœuvre qui a non seulement renversé un gouvernement, mais aussi modifié les critères selon lesquels le public israélien juge le leadership – et en particulier le leadership politique.

Cette comparaison n’est pas naïve. Elle est commode. Elle élude la question politique et la remplace par des indicateurs de style, de ton, d’honnêteté et de sincérité. Des indicateurs que Bennett utilise fréquemment aujourd’hui, tout en ignorant la question des politiques publiques. Mais il ne s’agit pas de critères de leadership, mais plutôt de conditions minimales. Un pays n’élit pas un Premier ministre pour qu’il ne mente pas, mais pour qu’il le guide dans la bonne direction.

Lorsqu’on examine le gouvernement Bennett non pas par rapport au Netanyahu des dernières années, mais par rapport à des gouvernements jugés sur leurs politiques – ceux d’Yitzhak Rabin, d’Ehud Barak et d’Ehud Olmert –, on comprend à quel point la comparaison avec Netanyahu est une manœuvre de diversion. À l’aune de ces critères, le gouvernement Bennett n’est ni « central » ni « rassembleur », comme il le prétend souvent sur Twitter, mais bien un gouvernement annexionniste de facto, un gouvernement qui a refusé toute perspective politique et a renforcé le contrôle israélien en Cisjordanie.

Ce n’est pas une fatalité. C’était l’identité politique de Bennett bien avant qu’il ne devienne Premier ministre. Le projet d’annexion de la zone C, qu’il a présenté dès 2012 et qu’il a ironiquement qualifié de « plan d’apaisement », n’a jamais été abandonné. Au fil des ans, il s’est transformé d’un manifeste idéologique en une politique insidieuse. Bennett lui-même l’a déclaré ouvertement : « Sur la question de la Terre d’Israël, nous devons passer du confinement à la résolution… Le rêve est que la Judée et la Samarie fassent partie d’Israël souverain. » Interrogé sur la réaction du monde, il a répondu avec désinvolture : « Le monde ne le reconnaîtra pas… Ce n’est pas grave. Il s’y habituera. »

Ce ne sont pas de simples citations anecdotiques. Ce sont les fondements d’une vision du monde. Une vision qui considère le droit international, la légitimité internationale et les coûts politiques comme une nuisance temporaire, et non comme un cadre contraignant. Cette vision n’a pas changé lorsque Bennett est entré au gouvernement ; elle s’est simplement parée d’un vernis plus solennel.

En tant que ministre de la Défense, Bennett a traduit l’idéologie en mécanismes : l’établissement de colonies en zone C, l’expansion des avant-postes, la construction de routes de contournement et le développement des infrastructures n’avaient qu’un seul objectif : rendre l’annexion irréversible. En tant que Premier ministre, il n’a ni figé, ni freiné, ni même laissé entrevoir un changement de cap ; bien au contraire. Il a refusé de rencontrer les dirigeants de l’Autorité palestinienne, rejeté toute initiative politique et défini clairement sa politique : « Nous ne résolvons pas le conflit, nous le gérons. »

Il faut bien le dire, gérer ce conflit n’est pas une position neutre. C’est un choix. Le choix de maintenir le contrôle, d’aggraver les inégalités de droits et de se résigner à la réalité d’un seul État entre le Jourdain et la mer. Il ne s’agit pas d’une politique de centre, mais d’une politique résolument de droite – sans pour autant l’afficher.

La responsabilité retombe ici sur Lapid et ses partenaires. Au nom du slogan « Pas Netanyahou », ils ont supprimé l’exigence minimale qui incombe au chef du gouvernement : l’engagement à préserver un horizon politique. Ils n’ont exigé ni gel des dépenses, ni procédure, ni même déclaration. Ils ont offert à Bennett le bien le plus précieux en politique – la légitimité au sein du camp libéral-sioniste – sans aucune contrepartie politique.

Cette décision a créé un dangereux précédent : celui de voir le centre-gauche renoncer à une politique concrète et obtenir en échange une image de marque. La question de savoir si un Premier ministre favorise ou s’oppose à l’annexion est devenue secondaire par rapport à celle de savoir s’il est « agréable » ou « intègre ». Ainsi est née une vision déformée des choses, au sein de laquelle Bennett peut désormais séduire les électeurs de Lapid, Yaïr Golan et Benny Gantz, et être perçu comme une alternative « raisonnable » – non pas parce qu’il a changé de position, mais parce que les exigences ont été abaissées.

C’est là que réside l’échec de Lapid et de ses partenaires. Au nom de la lutte contre Netanyahou, ils ont accepté de confier le poste de Premier ministre à quelqu’un dont la vision politique est en totale contradiction avec les positions de la majorité de leurs électeurs. Ce faisant, ils ont non seulement blanchi politiquement Bennett, mais ont aussi violé une norme fondamentale : un parti de centre-gauche ne saurait légitimer un leadership idéologiquement de droite sans aucun retour politique. Il en résulta la pleine légitimité accordée au droit à l’établissement d’un territoire, considéré comme un élément « sain » au sein du camp démocratique.

Des avertissements clairs avaient déjà été lancés sous l’administration Bennett. Yair Golan déclarait alors qu’« un gouvernement qui fige sa politique dans les faits favorise une annexion rampante » (entretien avec Galei Tzahal, 3 novembre 2021). Ces propos n’ont pas trouvé d’écho auprès du grand public, car le débat avait déjà été détourné : tant que Netanyahu était parti, il semblait permis de fermer les yeux. C’est précisément là que réside le cœur du problème.

Il n’y a pas eu non plus de prise de conscience politique dans le monde. Bennett lui-même a déclaré : « Je ne m’engagerai pas dans un processus politique et je ne gaspillerai pas mon énergie pour quelque chose d’irréalisable » (entretien avec le New York Times, le 22 août 2021). Il ne s’agissait pas d’une déclaration tactique, mais d’une véritable vision du monde. Un Premier ministre qui renonce à façonner l’avenir politique n’est pas neutre ; il choisit de maintenir le statu quo, c’est-à-dire de renforcer son emprise et de s’éloigner de la séparation.

Bennett a été l’un des principaux artisans de l’ascension de Bezalel Smotrich et d’Itamar Ben-Gvir. Non pas comme une déviation, mais dans la continuité. Smotrich met actuellement en œuvre des mécanismes conçus par Bennett, et Ben-Gvir est un agent de communication dont Bennett a normalisé le rôle. Lapid et ses associés ne l’ont peut-être pas voulu, mais ils y ont apporté une contribution cruciale.

L’erreur n’a pas été de remplacer Netanyahu, mais de remplacer les politiques par le style et les valeurs. Le prix de cette concession est aujourd’hui évident sur la scène politique et dans les sondages. On ne juge pas un gouvernement à l’aune de ses moindres méfaits par rapport à son prédécesseur, mais à sa capacité à infléchir le cap ou à le mettre en marche. Le mandat de Bennett n’a pas infléchi le cap. Il s’est contenté d’enrober l’annexion rampante d’une diplomatie polie.

S’il y a une leçon essentielle à tirer de cette période, c’est celle-ci : il n’existe pas de raccourcis politiques. On ne peut parler de « gestion responsable » d’une occupation, et le « calme » n’est jamais que temporaire. Quiconque prétend proposer une alternative à Netanyahou doit également proposer une alternative à sa politique. Sans cela, même la comparaison avec Netanyahou ne sauvera pas Israël du destin qui le poursuit inexorablement.

Si le camp libéral-sioniste aspire à un rôle de leader, il doit dire une vérité claire et dérangeante : la décision de permettre à Bennett de devenir Premier ministre n’était pas un « moment de responsabilité nationale », mais un moment de concession idéologique. Une concession dont le prix ne se mesure pas au passé, mais à l’avenir vers lequel Israël continue de se dégrader – discrètement, poliment et sans dire la vérité.