(Trad : Tal Aronzon pour La Paix Maintenant)


Le deuxième jour d’un séminaire de trois journées sur la Shoah au Centre d’études humanistes du kibboutz Loh’amei ha-Getaoth, cette semaine, on
demanda aux participants juifs de tenir le rôle d’Arabes. Les adolescents, originaires de Galilée, furent pries d’improviser une scène dans laquelle ils joueraient de jeunes Arabes choisis pour préparer les cérémonies de leur école lors de la Journée de l’Indépendance.

Entourés de leurs compagnons de séminaire arabes et druzes, les adolescents formèrent un petit cercle. Mohammed, le pitre du groupe, s’assit parmi eux jusqu’à ce qu’Orly Gal, l’animatrice, le remarque et le renvoie à sa place dans le cercle des auditeurs, déclenchant un rire général.

« Ranin » (Keren) : « Je dis qu’il faut monter une commémoration de la Naqba (la ‘catastrophe’ qu’a signifiée pour les Palestiniens la création de l’Etat d’Israël) »

« Faris » (Alon) : « Faisons les deux (célébrer l’Indépendance et la Naqba). Nous n’avons pas envie qu’ils nous vident de l’école. »

Tous les jeunes Arabes se font tout à coup attentifs. Meme le turbulent
Mohammed regarde sans mot dire le groupe au centre de la pièce.

« Nidaa » (Shelly) : « Oublie ça. Pas question. Ce n’est pas notre pays, c’est celui des Juifs. Vous n’avez pas entendu les paroles de l’hymne national ? Et le drapeau ! Oublie ça. Je n’y prendrai pas part. »

Le reste des [faux] étudiants arabes marquent clairement leur désintérêt pour l’organisation des cérémonies mais acceptent finalement de commémorer a la fois la Journée israélienne de l’Indépendance et la Naqba palestinienne.

« Faris » (Alon) : « Nous n’avons pas le choix. »

Gal, l’animatrice, se tourne vers les vrais Arabes présents et demande : « Alors, comment vous les avez trouvés ? » Sourires et applaudissements éclatent de toute part et un jeune Arabe lance : « Géants, tout simplement géants ! »

Les 63 adolescents de seize à dix-huit ans, originaires du Nord du pays, participaient à un séminaire d’été pour la promotion du dialogue entre Juifs, Arabes et Druzes par l’enseignement de la Shoah dans une perspective universelle, humaniste. Raya Kalisman, la directice du Centre, s’est inspirée de « Tirons-en les leçcons » [« Bringing the lessons home »], un projet du Mémorial de l’Holocauste à Washington [le « National Holocaust Memorial Museum » ou NHMM] visant à favoriser un meilleure compréhension mutuelle entre Afro-Américains et immigrants asiatiques. Raya Kalisman travaille en étroite collaboration avec le NHMM.

Professeur d’histoire, elle a passé une année sabbatique à Washington en 1994, et y a découvert « qu’il existe des façons d’enseigner la Shoah totalement différentes de celles dont nous usons ici. Ici, nous l’enseignons toujours d’un point de vue juif ethnocentrique. »

En 1995, Bill Parsons, alors à la tête du département pour l’Education du NHMM et aujourd’hui président exécutif du Musée, proposa à Raya Kalisman de « copier » le projet à l’usage de l’établissement juif où elle enseignait en Israël.

« Mais je voulais monter ce projet entre Juifs et Arabes. Jusque-là, se remémore-t-elle, l’holocauste était un thème completement tabou dans les groupes de dialogue judéo-arabes. J’ai dit qu’il nous fallait en parler, parce que la pespective de la Shoah nous aide à mieux comprendre ce que signifie être un être humain, ainsi que l’importance des droits de l’homme et de la démocratie ˆ censée en être garante et apprendre aux gens à ne pas rester passifs quand des minorités sont maltraitées ou les droits de l’homme violés. »

Le Centre d’études humanistes a été créé au « kibboutz des Combattants des Ghettos » [trad. littérale du nom du kibboutz Loh’amei ha-Getaoth, fondé en 1949 par des survivants, dont les derniers combattants rescapés du soulèvement du ghetto de Varsovie. NdT] où se trouvait deja un musée de la Shoah. […] Plusieurs municipalités et centres communautaires assurent le transport quotidien des participants, accompagnés d’un enseignant, vers le Centre d’études et retour. L’équipe du centre prepare également des jeunes, arabes et juifs, à devenir à leur tour des formateurs.

« Que nous le voulions ou non, il existe un lien très profond entre la Shoah et le conflit israélo-palestinien, parce que les Palestiniens se perçoivent comme des victimes. Nous pouvons en discuter et dire que ce n’est pas vrai, mais c’est ce qu’ils ressentent », explique Raya Kalisman, dont un fils est officier de parachutistes.

Raya Kalisman éprouve quelques réticences à évoquer les activités du Centre en public : « De nos jours, prêter attention à la souffrance de l’autre est devenu inacceptable, d’une certaine façon. Qu’est-ce qu’on y peut, si le gamin du village d’à côté passe pour mon ennemi et vice-versa. » Elle ajoute malicieusement : « Nous sommes censés nous battre, pas nous écouter l’un l’autre. »

Entretemps, le tour des adolescents arabes et druzes est venu de jouer le rôle de Juifs dans la salle de séminaire.

« Vous êtes des étudiants juifs de Jérusalem qui ont rendez-vous avec un groupe d’étudiants arabes pour la mise au point finale du programme que vous avez préparé ensemble un semestre durant. Un kamikaze fait sauter un bus et tue deux jeunes de votre école, qui devaient eux aussi participer à ce programme. Faut-il y aller et rencontrer les étudiants arabes ? » demande Gal.

« Gili » (Muna) : « J’y vais. »

« Ruti » (Marwa) : « Quoi ? Tu veux qu’ils te tuent !? »

« Nissim » (Wulla) : « Ils sont assoiffés de sang. S’ils sont palestiniens, ils soutiennent probablement ces attentats. »

« Merav » (Rajaa) : « Est-ce que quelqu’un va vérifier s’il n’y a pas d’armes ? »

« Nissim »: « Les Arabes sont tous pareils. Rabbi Ovadia Yosef l’a dit, ce sont des serpents. » [Declaration du grand rabbin Ovadia Yosef, fondateur du parti Shas, qui fit scandale il y a environ un an. NdT].

Rire général. Mais les adolescents juifs écoutent avec attention.

« Dana » (Nahil) : « On devrait y aller. Ils ne nous feront rien et nous voulons la paix. De toute façon, on les connaît. »

« Nissim » : « Oublie ça. Ils nous ont gratifiés de deux Intifadas. Ce peuple est stupide. »

Tout le monde rit. A la fin du jeu de rôles, une atmosphère légère, presque festive, règne dans la pièce. Il semble qu’extérioriser les peurs et les attitudes extrêmes de l’autre côté a permis aux jeunes de les dépasser.

« Dans la mesure où nos jeunes se présentent au dialogue avec leur propre
mémoire collective, dit Raya Kalisman, nous ne pouvons en faire abstraction. Nous avons le devoir moral d’écouter la souffrance de l’autre. Nous pensons que ces échanges sur la douleur frayent la voie d’une vie en commun dans la même région – tout en se comprenant mieux. »