[Du New York Times au mexicain The News, en passant par les dépêches de l’agence Guysen, peu suspecte de sympathie envers La Paix Maintenant, la presse internationale a fait écho au survol aérien du nord de la Cisjordanie organisé lundi 20 septembre par ce mouvement à l’intention d’un groupe de députés et de personnalités de la société civile. Pour Yariv Oppenheimer, secrétaire général de LPM, il s’agissait d’alerter quant à la perspective d’un État binational, du fait de la réalité nouvelle sur le terrain, ces passagers aux opinions parfois diamétralement opposées.

“Cela me réchauffe le cœur de voir sous tous les angles des Juifs habitant le moindre recoin de la Terre d’Israël”, déclarait ainsi le député Arieh Eldad, à l’extrême droite de l’échiquier politique ; tandis que le dramaturge Yehoshoua Sobol comparait les implantations “étendant leurs métastases” à ”des tiques collées au flanc des villages arabes”.

L’auteur de cet article, Uri Misgav, voyait là quant à lui un cas d’école, “l’exemple tragique d’un État agissant à l’encontre de ses intérêts propres”.]


On définit la folie comme une stupidité poussée à l’extrême et un dramatique déploiement d’inanité. Au plan national la folie consiste, pour un État, à persister à mener une action parfaitement contraire à ses intérêts propres. [Phénomène étrange, dont l’étude valut la gloire à celle qui en dressa le tableau clinique].

Dans son ouvrage célèbre, La Marche folle de l’histoire, de Troie au Vietnam [1], Barbara Tuchman indique trois conditions essentielles à l’entrée dans ce club douteux : les conséquences de la folie doivent apparaître clairement, non a posteriori mais tandis qu’elle a encore lieu ; une alternative saine doit exister en parallèle ; il faut, enfin, que la folie soit revendiquée comme la politique d’un groupe, plutôt que celle d’un dirigeant, et se poursuive sur plus d’une génération.

L’historienne a consacré la majeure partie de son travail à deux exemples flagrants : l’affrontement entre la Grande-Bretagne et ses colonies américaines au 18e siècle, et l’enlisement des États-Unis dans le marécage vietnamien dans la seconde partie du 20e siècle. Eût-elle été en vie aujourd’hui, nul doute qu’elle aurait ajouté à son livre un chapitre portant sur l’entreprise israélienne d’implantation dans les territoires occupés.

Les colonies vont à l’encontre des intérêts d’Israël en ce qu’elles rendent plus difficile la partition territoriale, menaçant ainsi la continuité de l’entreprise sioniste. Elles contraignent aussi Israël à maintenir le règne de l’occupation militaire ; l’isolent sur la scène internationale ; accentuent vivement l’animosité arabe et celle du monde contre Israël et les Juifs.

En dépit de quoi les gouvernements israéliens s’acharnent cependant, depuis deux générations déjà, à faire exister des colonies et y déverser d’énormes ressources. Les implantations sont notre folie. C’est un puissant symbole que de voir le sort du processus diplomatique dépendre, cette fois encore, de la construction de colonies, plutôt que d’arrangements de sécurité, du retour de réfugiés, ou de la souveraineté sur Jérusalem.

Dans leur majorité, les Israéliens ne sont pas convaincus

J’ai récemment survolé les implantations, à l’occasion d’un vol organisé par le mouvement La Paix Maintenant. Je connais assez bien le terrain, mais la vue aérienne donnait toute sa force à la vieille histoire. Voilà les toits rouges et les piscines bleues, comme un clou planté dans le flanc de collectivités palestiniennes grises et surpeuplées, se répandant au moyen de caravanes blanches en une structure de 95 avant-postes illégaux [2].

Non moins saillantes, surgissaient les constructions attendant la fin du “gel” pour redémarrer – des milliers d’habitations potentielles, pour la plupart réservées à des ultra-orthodoxes que rien n’intéressait sinon d’être logés à bas prix grâce aux aides gouvernementales.

J’ai aussi remarqué les vastes autoroutes construites par le gouvernement à travers la Cisjordanie. Elles étaient vides. Il se peut que les colonies soient parvenues à s’implanter dans les milieux politiques, mais ni dans les cœurs ni dans les jambes de la population : jusqu’à présent, seuls 300 000 Israéliens ont choisi de vivre au-delà de la Ligne verte. C’est tout juste si les autres excursionnent en Judée et Samarie, ou dans les gorges du Jourdain. Ils connaissent à peine la région.

Lors du récent débat autour du boycott du théâtre d’Ariel [3], on a pu voir que la plupart des Israéliens n’imaginaient pas à quel point Ariel est loin de la Ligne verte, et combien insister pour le conserver au sein d’Israël dans le cadre d’un accord final sur le statut territorial irait à l’encontre d’un traité de paix, ou dessinerait une frontière irréaliste tant en termes de sécurité que de géographie.

Cela, bien sûr, n’empêche pas le gouvernement de fonder en ce moment même à Ariel une nouvelle zone industrielle, tout en subventionnant un collège et une zone high-tech dans la ville. Pendant les vacances, j’ai rencontré un jeune et brillant entrepreneur high-tech en passe de délocaliser sa start-up à Ariel. ”Nulle part ailleurs je n’aurais obtenu des conditions pareilles”, disait-il avec tristesse. J’ai regardé son visage défait, et j’ai vu le visage de notre pays.

La seule chose que j’aurais alors voulu faire était de hurler à la face des cieux deux mots, dans le droit fil de la tradition juive faisant front à l’élément étranger qui envahit un corps sain et le pousse à une conduite totalement insensée : “Hors d’ici, Dibbouk !”

NOTES

[1] Barbara Wertheim Tuchman, The March of Folly: from Troy to Vietnam, Ballantine Books, nombreuses rééditions depuis 1985 ; en traduction française, La Marche folle de l’histoire, de Troie au Vietnam, Robert Laffont, 1992.

2] Voir la carte interactive des implantations, consultable et téléchargeable à partir des sites israélien et/ou américain de LPM : [

Vous y trouverez également une application I-Phone, Facts on the Ground : [->http://itunes.apple.com/us/app/apn-facts-on-ground-map-project/id385800990?mt=8]

[3] Il s’agit du refus personnel de nombreux artistes israéliens d’aller se produire à Ariel, par delà la Ligne verte : la frontière antérieure à la guerre des Six Jours, en partie rematérialisée par le Mur, sinon sur les cartes.