Haaretz

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Yom Kippour approche, et c’est l’occasion de proceder a un examen de
conscience et a un reexamen de la situation a la lumiere du passe. Il n’est
pas difficile d’en arriver a la conclusion que l’equipe dirigeante en Israel
est victime du meme syndrome de « conception » strategique que celle de 1973.
Comme en 1973, l’equipe dirigeante a surestime la puissance militaire
d’Israel. Aujourd’hui comme hier, Israel blame les erreurs des Americains.
Dans les deux cas, l’Etat est dirige par un leader age et conservateur, qui
ne croit rien de ce que disent les Arabes, et rejette tout changement et
toute concession. La grande difference reside dans le resultat : au lieu
d’une traversee au grand jour et reussie du canal (de Suez, ndt), Israel
saigne dans une guerre d’usure sans fin avec les Palestiniens.

Cette conception version 2003 se fonde sur la conviction profonde que les
Etats-Unis ont l’intention d’imposer par la force un changement du statu quo
dans la region, et de renverser ou de mettre en etat de choc les regimes
anti-israeliens de l’Irak, de la Syrie, de l’Iran et de l’Autorite
palestinienne. Les dirigeants de l’Etat, et ceux de l’armee et des
renseignements, ont fait des declarations tres importantes sur le fait que
l’annee 2003 serait « l’annee de la decision » dans le conflit avec les
Palestiniens. Ils s’attendaient a ce que l’occupation de l’Irak cree un
effet domino dans toute la region, et a ce que les Arabes defaits, et sans
option militaire, acceptent un diktat israelien ou Israel prolongerait son
controle sur les territoires pour de longues annees (un « accord interimaire
a long terme », comme l’appelle Ariel Sharon). Ils parlaient de
l’internalisation du big bang a Bagdad, et des luttes de pouvoir internes a
Ramallah qui allaient provoquer le depart de Yasser Arafat de la scene
politique et la reprise du processus politique dans des conditions bien plus
favorables a Israel.

Cette analyse a conduit a deux conclusions logiques, ou principes. D’abord,
Israel ne devait faire preuve d’aucune initiative politique, d’aucune
flexibilite, ne faire aucune concession, jusqu’a ce que les Arabes
ressentent la douleur du baton americain et se depechent de se rendre de
leur plein gre. La seconde conclusion etait que les Etats-Unis accorderaient
une certaine legitimite a l’usage de la force par Israel dans les
territoires, dans l’esprit de leurs propres actions en Irak. Ainsi est nee
l’equation « Saddam egale Arafat », et la tentative malheureuse de couronner
Mahmoud Abbas chef d’un regime fantoche. La seule voix discordante qui s’est
elevee dans ce concert d’optimisme a ete celle du Shin Bet, qui a fait
savoir qu’il n’y avait aucun lien entre les territoires et l’Irak, et
qu’Arafat demeurait puissant. Mais la voix du Shin Bet s’est noyee dans
l’euphorie generale.

Ces evaluations optimistes ont ete nourries par les contacts constants entre
les officiels israeliens et les neo-conservateurs a Washington, qui
croyaient aux memes scenarios, soutenaient Sharon avec enthousiasme, et
nourrissaient Israel d’espoirs quant a des changements radicaux qui se
produiraient le jour d’apres, afin qu’Israel ne se mette pas en travers de
leur route en Irak. Le scepticisme qui regnait au Departement d’Etat a
propos de la guerre etait percu en Israel comme une faiblesse « arabiste »
caracteristique, et non comme des conclusions professionnelles decoulant
d’annees d’exercice dans la region.

Aujourd’hui, ces evaluations apparaissent totalement erronees. Les
Etats-Unis ont bien reussi a abattre Saddam, mais ils sont enlises dans une
guerre d’usure en Irak. Le vieux Moyen-Orient est toujours en place. Arafat
est toujours le leader des Palestiniens, la Syrie et l’Iran ont dit non aux
Americains et s’en sont sortis sans une egratignure, l’Egypte et l’Arabie
Saoudite ont refuse toute pression qui les poussait a se democratiser.
L’Europe et les Nations Unies sont restees a l’ecart, et aujourd’hui, Bush
les appelle a l’aide.

L’annee derniere, Israel a propose aux Americains un plan d’instauration
d’un nouvel ordre dans la region apres la guerre en Irak. Il est interessant
de noter qu’aucun officiel israelien n’a fait part aux Americains des
dangers qui les attendaient, bien que chaque Israelien sache qu’au Moyen
Orient, une victoire militaire n’est que le debut de la guerre et non sa
fin, et qu’il est facile de conquerir mais difficile de se retirer, comme
Israel l’a appris dans la guerre des Six Jours, la guerre du Liban, et dans
le conflit actuel dans les territoires.

Alors que les « Jours terribles » de 5764 (annee juive, ndt) approchent, il
est temps de proceder a une nouvelle evaluation. Au lieu de renoncer a tout
effort politique et d’attendre que les Americains ecrasent les Arabes, pour
Israel, la grande lecon de la guerre en Irak doit etre retenue : meme les
super-puissances ont des limites a leur puissance, et parfois, un pays se
doit de changer de politique, meme si cela implique de ravaler son orgueil
d’antan.