Bitterlemons 36, le 27 septembre 2004
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Traduction Kol Shalom


Résumé :

Arie Lova Eliav a été secrétaire général du Parti travailliste (Avoda) et
deux fois ministre-adjoint de l’industrie et de l’absorption des
immigrants. Dès 1976, ce partisan éminent du dialogue abordait le problème
des réfugiés palestiniens avec Issam Sartawi, proche d’Arafat. Pour lui,
le retour de ces réfugiés est totalement impraticable et signifierait à
brève échéance la fin d’Israël. Par contre, pour permettre enfin à ceux-ci
de renouer avec une existence digne, il demande pour eux un Plan Marshall
de 100 milliards de dollars.



Bitterlemons : « La résolution 194 des Nations Unies prévoit que les
réfugiés qui souhaitent retourner dans leurs foyers et vivre en paix avec
leurs voisins devraient pouvoir le faire à la date la plus rapprochée
possible ». Comment réagissez-vous à cette exigence ?

Eliav : En toile de fond, il y a la guerre de 1948, qui a vu naître le
problème des réfugiés. Ce fut un jeu à somme nulle. Ce que les vainqueurs
ont toujours fait à travers l’histoire pour gagner les guerres s’est aussi
produit au cours de cette guerre. Les Arabes ont gagné une vingtaine de
batailles ; ils ont effacé les villages juifs et et les cités, ils ont
déporté les civils et en ont fait des réfugiés. Les plus connues de ces
victoires sont celle du bloc Etzion qui a vu la destruction de quatre
villages et la déportation de leurs habitants, ainsi que celle du quartier
juif de la Vieille Ville de Jérusalem où les Arabes victorieux
détruisirent toutes les maisons, de même que certaines des synagogues les
plus sacrées, et allèrent jusqu’à enlever les pierres tombales des
cimetières juifs, comme celui où fut enterré mon arrière grand-père, pour
en faire des pavés. Les Juifs, eux, remportèrent 400 victoires et firent
la même chose. Nous avons détruit les maisons, certaines mosquées, et nous
avons déporté les habitants, les transformant en réfugiés. En bref, voilà
toute la terrible histoire. Cette guerre a créé des centaines de milliers
de réfugiés. Je reconnais la misère qui est la leur mais pas le blâme.
C’était la guerre, comme elles s’est déroulée partout dans la monde et à
travers toute l’Histoire.

Bitterlemons : ainsi, vous vous référez aux précédents historiques ?

Eliav : Vous ne pouvez remonter en arrière l’horloge de l’histoire après
une telle guerre, parce que si vous accordez le droit au retour, vous
apportez le chaos à l’entièreté de l’équilibre très fragile de l’humanité.
La guerre de 1948 a été le résultat de la seconde guerre mondiale au cours
de laquelle j’ai combattu. Des millions de réfugiés russes et allemands
ont été déportés. Si vous appliquez la règle au droit au retour, ils
devraient tous réclamer le droit de revenir dans ce qui est aujourd’hui la
Pologne, à Koenigsberg (Kaliningrad) en Prusse Orientale, au pays des
Sudètes (République Tchèque). La même chose vaut pour l’Inde et le
Pakistan ou des millions de gens ont été déportés et ne bénéficient pas du
droit au retour. J’ai été parmi ceux qui furent chargés de l’installation
de centaines de milliers de réfugiés juifs en Israël ; j’y ai construit
des régions entières pour absorber les réfugiés. Plus de la moitié des
Israéliens – tout comme leurs enfants sont des réfugiés. C’es mon cas
aussi, je suis arrivé en Palestine à l’âge de trois ans. Les deux peuples
comptent une grande proportion de réfugiés. Pour notre part, nous les
avons réinstallés, et les Palestiniens devraient y parvenir avec la
technologie moderne et un Plan Marshall.

Bitterlemons : Beaucoup de Palestiniens modérés demandent qu’Israël
accepte un petit nombre -symbolique- de réfugiés.

Eliav : Le plus rand symbole est un vaste plan Marshall pour les réfugiés.
L’acceptation d’un nombre symbolique ne pourra que susciter une envie
terrible de la part de ceux qui ne sont pas inclus. Cela signifie
davantage de frictions et de haine.

Bitterlemons : La résolution 194 aussi stipule que « un dédommagement
devrait être alloué pour les propriétés perdues des réfugiés qui
choisissent le non-retour ». Comment considérez-vous cette demande de
dédommagement ?

Eliav : A l’époque où Ben Gourion et d’autres étaient prêts à régler des
dédommagements, ils pensaient que cela résoudrait le conflit. Depuis lors,
nous avons connu 50 années de bain de sang réciproque. Incidemment, si
chaque réfugié perçoit une certaine somme en guise de compensation, cela
n’aidera pas à résoudre le problème. Nous avons besoin de millions de
dollars.

Bitterlemons : Ce point de vue est assez différent de celui de la gauche
israélienne dont vous êtes un membre éminent.

Eliav : Ce n’est pas entièrement vrai. L’Accord de Genève comporte une
clause disant qu’Israël ne portera pas le fardeau de la solution du
problème mais permettra à un nombre minimal de réfugiés de se réinstaller.
Je suis opposé à cela. Je préfère le programme Nusseibeh -Ayalon qui
précise clairement qu’aucun Palestinien ne s’installera en Israël et
qu’aucun Israélien ne s’installera en Palestine.

Bitterlemons : Vous êtes un pionnier du dialogue Israélo-Palestinien, dès
1976, lorsque vous avez commencé à discuter avec Issam Sartawi, un poche
collaborateur d’Arafat. Comment les Palestiniens réagissent-ils à vos
considérations ?

Eliav : J’avais dit la même chose à Sartawi. Lui et d’autres ont compris,
tout comme Nusseibeh aujourd’hui. Je rejette les approches
gouvernementales israéliennes basées sur les dédommagements. Je leur
préfère un grand Plan Marshall, avec la participation d’Israël. Je préfère
la construction de villes modernes avec des milliers de maisons pour les
réfugiés.

Bitterlemons : n’est-ce pas une forme de dédommagement collectif ?

Eliav : Non. Je ne veux pas utiliser le terme de dédommagement mais je
veux que nous agissions comme de bons voisins, et à grande échelle, avec
l’Occident, les riches états arabes, etc.. Cette perspective d’un grand
Plan Marshall devrait être inscrite dans le futur accord entre Israël et
les Palestiniens. Elle devrait être signée par les futurs donateurs. Cela
devrait représenter dans les 100 milliards de dollars. A côté de cela,
tout dédommagement personnel semble dérisoire. Par contre, imaginons que
les Palestiniens obtiennent gain de cause et que deux millions de réfugiés
viennent s’implanter à Kiryat Gat, qui s’appelait avant 1948 Fallujah : il
leur faudrait déporter les réfugiés juives qui y vivent et que j’y avais
installé. Nous devrions alors détruire les centres de haute technologie
Intel et Indigo, et créer un nouveau Fallujah. Cela impliquerait la
destruction d’Israël en un rien de temps.