« La tension actuelle en Israël et dans la bande de Gaza sert le Hamas et le Likoud. L’Histoire bégaye mais il reste toujours de l’espoir, les populations veulent la paix. »


Entretien avec Ilan ROZENKIER par Antoine CHAMPAGNE pour REFLETS, 18 mai 2021 

https://reflets.info/articles/les-extremes-se-rejoignent-et-profitent-l-un-de-l-autre

Mis en ligne le 22 mai 2021


Alors que le bruit médiatique ne fait plus ressortir que ceux qui sont « pour Israël » ou « pour les Palestiniens », alors que la situation dégénère à nouveau dans la région, que les discours sont clivants et polarisés, nous avons souhaité recueillir une parole plus apaisée.

L’association La Paix Maintenant a pour vocation de soutenir et de faire connaître les actions du mouvement israélien Shalom Akhs,hav (La Paix maintenant). Shalom Akhshav, fondé en 1978 par 348 officiers de réserve et soldats, est devenu le plus important mouvement politique extra-parlementaire en Israël, militant pour la réconciliation avec le monde arabe. Il recherche un compromis équitable fondé sur les principes suivants : reconnaissance de l’État palestinien à côté de l’État juif, partage de la terre entre les deux États selon le tracé de la Ligne verte, partage de souveraineté sur Jérusalem, démantèlement des colonies juives de Cisjordanie et de Gaza, retour des réfugiés palestiniens sur le territoire de l’État palestinien. Une voix dissonante dans le chaos actuel. Nous avons longuement échangé avec Alain Rozenkier, sociologue, président de La Paix Maintenant en France et membre fondateur de JCall. « Il y a des années, une expression avait vu le jour : « Sharafat », un mélange de Sharon et d’Arafat. A nouveau les extrêmes se rejoignent et profitent l’un de l’autre. Cette fois, c’est le Hamas et Benyamin Netanyahou », explique Alain Rozenkier.

« Les heurts actuels sont le résultat de plusieurs facteurs, » note-t-il. Tout d’abord, des extrémistes juifs, sous la conduite du député kahaniste nouvellement élu à la Knesset, Itamar Ben Gvir, se sont livrés à des provocations. « Ils soutenaient les projets d’expulsion du quartier Sheikh Jarrah (situé à Jérusalem Est) de 13 familles palestiniennes, soit plus de 300 personnes », rappelle le JCall dans un long communiqué. « C’est la première fois qu’il y a un déplacement physique des personnes. Cela marque les esprits. Tout cela pendant le mois de ramadan, après la marche des drapeaux particulièrement raciste et agressive», indique Alain Rozenkier. A cela s’est ajoutée la fermeture d’un lieu habituel de réunion des Palestiniens après la rupture du jeûne devant l’esplanade de la porte de Damas. Des heurts s’en sont suivis, jusque sur l’esplanade des mosquées et au sein même de la mosquée El Aqsa. Ces images de heurts dans ces lieux symboliques ont enflammé la situation.

Par ailleurs, note Alain Rozenkier, « avec la guerre actuelle, le procès de Benyamin Netanyahou a disparu de la presse. Alors que les auditions de témoins ont commencé et ne lui sont pas favorables, cela ne fait plus du tout la Une ». Benyamin Netanyahou est accusé de corruption, de fraude et d’abus de confiance. Alors « qu’il était en queue de peloton pour former le gouvernement, il remonte comme dans un sprint final inespéré pour le former ». De son côté, explique Alain Rozenkier, « Le Hamas était dans une situation compliquée depuis le report annoncé par Mahmoud Abbas des élections palestiniennes prévues en juin. Il devait remporter les élections et se sentait floué. Le conflit le repositionne comme véritable défenseur de la cause palestinienne, déconsidère l’Autorité palestinienne et rétablit une sorte de jonction entre le problème de Jérusalem et Gaza ».

La violence de la réponse du Hamas, avec le tir de milliers de roquettes sur les populations civiles permet à son tour à Benyamin Netanyahou de déconsidérer tout ce qui est Palestinien, en globalisant. Mais paradoxalement, « alors que les Palestiniens étaient un peu sortis du périmètre avec les Accords d’Abraham entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn, voilà qu’ils reviennent au centre des préoccupations. La Jordanie, par exemple, commence à se poser des questions sous la pression de sa population ». Tout cela peut mener à une situation dans laquelle Benyamin Netanyahou resterait au pouvoir et tenterait d’échapper à la Justice, et à un renforcement du Hamas au sein de la population palestinienne.

Les Israéliens ont refusé la majorité au Likoud de Benyamin Netanyahou et « les initiatives conjointes entre Juifs et Palestiniens se multiplient, le président est intervenu très rapidement pour condamner les dérives violentes. Il y a une mobilisation de la société civile avec par exemple des distributions de fleurs au carrefours », tempère Alain Rozenkier. Il note toutefois que tout cela est « un coup de tonnerre que personne n’avait prévu et qui laissera des traces… Le Hamas sait ce qu’il fait et ce qu’il va provoquer quand il envoie des roquettes sur les populations civiles israéliennes. Rien n’a été fait pour protéger la population de Gaza. Cela explique aussi l’asymétrie des victimes. Israël a investi dans le système Dôme de fer », souligne Alain Rozenkier. D’un côté, le Hamas sait qu’il va provoquer une réponse violente de la droite dure aux commandes côté israélien et fait peu de cas des victimes à venir dans la bande de Gaza, de l’autre le gouvernement israélien sait que tout à été fait pour éviter de dépasser le seuil psychologique « acceptable » de morts. Deux logiques mortifères qui s’auto-alimentent. Au milieu, les populations.

Comme le rappelle Alain Rozenkier, « C’est très difficile d’être un jeune palestinien aujourd’hui. Il y a une forme de désespérance, une absence de solution politique, des leaders palestiniens déconsidérés, la corruption, une économie dégradée, la crise du covid...». Côté israélien, « le séparatisme de certains extrémistes religieux fracture la société. Benyamin Netanyahou laisse faire parce qu’il a besoin des voix. Cette montée du populisme, du nationalisme ethnique, on le retrouve dans d’autres pays, mais en Israël, il y a une situation de conflit armé, c’est beaucoup plus dangereux ».

Il faudrait dépasser la crainte de l’autre, créer les condition de la confiance pour une négociation et arriver à une solution à deux États, explique Alain Rozenkier : « Il faut que cela vienne de l’intérieur, et c’est possible parce que les choses ne sont pas figées, la majorité de la population des deux côtés est pour la paix. Il faudrait aussi des facteurs extérieurs, une intervention internationale qui ne soit ni pour l’un, ni pour l’autre, mais qui insuffle un mix de calinothérapie et de fermeté pour aller dans la direction de la paix. La voie militaire est sans issue sauf à décider d’une guerre totale avec des combats très violents au sol. Et cela, il me semble que Benyamin Netanyahou n’y est pas résolu. On a connu de meilleurs moments pour être optimistes ou sereins, mais la catastrophe peut toujours être évitée tant qu’elle n’est pas survenue ».

En attendant, l’Histoire bégaye et il serait temps que cela s’arrête.